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les institutions de chevalerie qui méritent une place Mai 1802. dans l'histoire remontent à ces temps reculés : ce n'est ensuite, dans les temps modernes, que par esprit d'imitation, souvent de politique et quelquefois de galanterie, que les rois et les princes ont fait des chevaliers et distribué des cordons. Mais certes,. depuis plusieurs siècles, nul souverain n'a songé à confier la police de ses États à des chevaliers errants ou à des ordres de chevalerie...

« Comme institution militaire, la loi qu'on vous propose est destructive de la liberté publique: elle crée un ordre privilégié, dont la tendance secrète est la noblesse héréditaire, et qui en produira tous les effets avant même qu'elle soit établie, parce que les distinctions personnelles, comme les honneurs transmissibles, introduisent un esprit particulier dans l'esprit général, séparent les citoyens des citoyens, et sèment entre eux des germes inépuisables de confusion et de discorde.

«< Et que veulent dire ces mots Légion d'honneur?... Il n'est pas plus possible d'assigner une place fixe à l'honneur, que de régler ses caprices. Tel corps a eu éminemment et constamment de l'honneur, parce qu'il en a eu une fois. Tel corps n'a jamais pu recouvrer dans l'opinion l'honneur qu'il avait perdu, quoiqu'il l'eût mille fois racheté. Il est encore dans la nature. de l'honneur de ne point être donné, mais de s'acquérir. Pourquoi lui prescrire des lois? Il n'en reçoit jamais de l'autorité, il n'en reçoit pas toujours de l'opinion. Je vote contre la proposition du gouverne

ment. >>

RÉVOL. FRANC.

CONSULAT. II.

8

Mai 1802.

Nous avons rapporté ces paroles, et les discours Observations. des orateurs qui firent valoir les arguments les plus sérieux en faveur de l'institution, ou contre elle. Il faut bien le reconnaître, l'établissement de la Légion d'honneur froissait profondément les idées républicaines, non-seulement parce que cette innovation contrariait le sentiment exagéré et mal compris de l'égalité, mais parce qu'on y voyait un moyen indirect de rétablir la noblesse. Le temps a fait justice de ces craintes; mais les abus ont affaibli, dans l'esprit des populations, le caractère primitif d'une distinction trop souvent distribuée aux courtisans et aux serviteurs politiques. Quoi qu'il en soit, le projet du gouvernement ne prévalut qu'après avoir rencontré une opposition sérieuse. Au tribunat, la majorité fut de cinquante-six suffrages contre trente-huit; au assez faibles. corps législatif, la Légion d'honneur ne fut consacrée que par cent soixante-six voix contre cent dix: cette victoire ressemblait presque à un échec.

La loi est acceptée par des majorités

Le premier consul

organiser

Tous les gouvernements qui s'étaient succédé decherche à puis 1789 avaient songé, dans leurs heures de loisir, l'instruction à organiser l'instruction publique le principe de la Considéra- liberté, toujours inscrit en tête des codes, n'avait historiques. guère reçu d'application dans ces diverses tentatives.

publique.

tions

La philosophie qui gouvernait triomphante ne rencontrait d'obstacles à ses desseins que dans les mœurs publiques; et, pour détruire la morale du pays, la propagande du désordre dans les idées ne suffit pas : il faut s'en prendre à l'éducation, il faut se réserver le droit de façonner l'esprit et l'âme de l'enfant. Ce moyen est bien simple, tous les pouvoirs l'ont pra

tiqué; et plus un gouvernement est en contradiction Mai 1802. avec les habitudes religieuses, politiques et sociales d'un pays, plus il se voit dans la nécessité rigoureuse de déshériter la famille du droit d'enseigner, et de s'attribuer à lui-même le monopole de l'instruction nationale. Chez quelques peuples païens, les castes sacerdotales, les prêtres d'Égypte, les druides de la Gaule élevaient l'enfance et l'initiaient à certaines doctrines sur lesquelles reposait la durée de leur propre pouvoir. Le secret de cette influence n'a pas été perdu pour ceux qui ont voulu l'étudier; et il ne fallait pas beaucoup de peine aux théoriciens de la législative et de la convention, à Condorcet, à Monge, à Daunou, pour conclure que la philosophie ne se maintiendrait sur le terrain conquis par elle qu'en infusant de gré ou de force ses idées dans le cœur des générations naissantes. Ainsi se forma dès cette époque la prétention de considérer l'enfant, non plus comme l'élève naturel du père et de la mère, mais comme un petit citoyen, fils de la patrie, et destiné à recevoir de la patrie sinon le lait qui fait vivre le corps, au moins la nourriture de l'âme, la foi, l'amour, l'intelligence. Vainement la mère revendiquaitelle comme un privilége nécessaire la tutelle morale de son enfant les réformateurs l'en dépossédaient au nom de l'État; ils reléguaient au rang des préjugés contre-révolutionnaires la tendresse maternelle et l'imprescriptible droit de la famille.

Or il ne leur avait pas été donné d'accomplir leur œuvre; ils avaient pu détruire l'ordre ancien, ils ne l'avaient remplacé par aucun fait utile, par aucune

Mai 1802. vérité sociale. Ils avaient dispersé dans l'exil et dans

Ce qu'était l'enseigne

ment

en l'an X.

l'oubli les pieuses corporations chargées autrefois d'instruire la jeunesse; mais ils n'avaient mis à leur place qu'un enseignement municipal ou gouvernemental, basé sur la théorie philosophique, et contre lequel le bon sens des populations n'avait cessé de se tenir en garde. Le prêtre était remplacé par l'instituteur; là où autrefois le prêtre enseignait l'Évangile, le maître d'école commentait la série des droits de l'homme et la constitution de la république. Tout cela se faisait sans ordre, à grands frais, au prix de mille affligeants scandales; et, comme contre-poids aux dangers de cet ordre de choses, la répugnance qu'il inspirait aux familles faisait qu'un très-petit nombre de citoyens avaient recours aux bienfaits de l'éducation nationale.

Vers la fin de son règne, la convention avait essayé de remédier à cette fâcheuse situation : elle avait successivement établi des écoles de médecine, une École normale, l'École polytechnique, deux écoles d'économie rurale, et, sous le titre d'écoles, des services publics, un enseignement complet pour l'artillerie, le génie, les ponts et chaussées, les mines, la géographie, la navigation elle avait établi dans chaque département une école centrale. Mais la plupart de ces établissements avaient une destination spéciale: ils ne s'adressaient qu'au plus petit nombre, qu'à l'élite des familles, et le reste de la nation demeurait oublié. La création des écoles centrales aurait pu avoir un résultat utile; mais elles furent conçues sur un plan trop large, et ces établissements, où se faisaient des cours pu

blics, n'imposaient point assez à l'enfance le devoir Mai 1802. de l'assiduité et du travail; et l'instruction incomplète qu'on y dispensait deux ou trois heures par jour ne faisait que glisser, en quelque sorte, sur l'esprit du jeune auditoire. Aussi les cours étaient-ils peu suivis. Trente départements à peine, sur cent deux qui composaient alors le territoire de la république, avaient conservé l'institution des écoles centrales dans les autres localités, l'enfance était élevée, ou pour mieux dire exploitée par des maîtres particuliers mal surveillés, généralement peu instruits, et qui faisaient du sacerdoce de l'instruction une question vulgaire d'industrie. Sans doute les écoles centrales n'étaient point sans valeur; dans quelques-unes professaient des hommes d'un rare mérite mais, du reste, l'enseignement était dépourvu d'unité, de durée, trop souvent même de moralité. Et pouvait-il en être autrement, lorsque Dieu avait été exclu du temple, lorsque la plupart des chaires étaient livrées au matérialisme, ou aux doctrines d'une dérisoire théophilanthropie?

Le

premier consul avait à cœur d'organiser l'édu- Pensée du cation publique sur un plan moral et rationnel.

premier consul.

Certes, si l'on juge l'œuvre qu'il entreprit selon Observations la donnée des idées actuelles, ce sera pour nous un devoir de dire qu'il ne fit pas une part légitime à la famille et à la liberté : mais, pour bien comprendre la nécessité qui lui fut imposée de ne faire qu'une œuvre transitoire, et de ne point asseoir l'enseignement sur les principes dont aujourd'hui nous aimons

à

proclamer la vérité, il importe de se faire une idée

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