Page images
PDF
EPUB

Janv. 1802. moigner dans ses lettres officielles il ajoutait que le premier consul se plaisait à reconnaître et à proclamer les grands services dus à l'amitié et au courage de Toussaint-Louverture; que si le pavillon de la France flottait sur Saint-Domingue, c'était à Toussaint qu'en revenait la gloire; qu'appelé par ses talents et la force des circonstances au premier commandement, ce chef des noirs avait détruit la guerre civile, posé un frein à la persécution de quelques hommes féroces, remis en honneur la religion et le culte de Dieu, de qui tout émane; que la constitution donnée à Saint-Domingue par Toussaint-Louverture renfermait beaucoup de bonnes choses, mais qu'il fallait en faire disparaître certaines dispositions contraires à la dignité et à la souveraineté du peuple français; que les circonstances où s'était trouvé Toussaint-Louverture, environné d'ennemis, sans que la métropole pût le secourir, avaient rendu légitimes les articles de cette constitution, qui auraient pu ne pas l'être; mais que, les circonstances étant changées, il fallait rendre hommage à la souveraineté de cette nation française, qui comptait Toussaint-Louverture au nombre de ses plus illustres citoyens. Une conduite contraire, ajoutait Bonaparte, ferait perdre au chef des noirs tous les droits acquis à la reconnaissance de la république; elle creuserait sous ses pas un précipice qui l'engloutirait, lui et ses partisans aveugles. La lettre se terminait en annonçant à Toussaint-Louverture le renvoi de ses fils, la France ne voulant pas les garder en otages. Le premier consul avait compté avec raison qu'une semblable démarche

chatouillerait agréablement l'orgueil de l'affranchi qui Janv. 1802. osait se faire appeler « le Bonaparte de Saint-Domingue, et qui, en écrivant au vainqueur de Marengo, ne craignait pas de placer en tête de ses lettres cette suscription audacieuse : « Le premier des noirs au premier des blancs. »>

Louverture

dispositions
pour
la défense
de l'île.

Le rendez-vous de l'armée expéditionnaire était Toussaintdonné dans la baie de Samana; les divisions fran-fait ses çaises s'y trouvaient réunies le 9 pluviôse (26 janvier). Dès le lendemain, elles reçurent chacune leur destination, et les jours suivants elles menacèrent à la fois Santo-Domingo, Port-au-Prince et le Cap.

Averti par les Anglais des armements dirigés contre lui, Toussaint-Louverture avait d'abord refusé d'ajouter foi à de pareils avis. Mais bientôt il ne lui fut plus permis de se faire illusion, et il se prépara à combattre. Toutes les forces dont il disposait ne s'élevaient qu'à seize mille hommes: cinq mille dans le nord de l'île, quatre mille dans l'ouest, le même nombre dans le sud, et trois mille dans la province espagnole. Ces troupes, aguerries par de longues années de luttes et de brigandage, n'étaient pas pour les armées républicaines un obstacle à mépriser. D'ailleurs Toussaint-Louverture, convaincu de l'impossibilité de tenir tête aux soldats de la métropole en bataille rangée, avait prescrit à ses lieutenants de se borner à une guerre de partisans et d'embuscades, et d'opposer à une armée régulière et disciplinée la résistance de la destruction et du désespoir. Christophe, Dessalines et Maurepas, les principaux chefs

Fév. 1802. des troupes noires, avaient ordre d'incendier ce qu'ils ne pourraient défendre.

Christophe.

Toussaint-Louverture voulut juger par lui-même de la force de nos armements et de l'étendue du péril qui le menaçait. Il se transporta à l'extrémité orientale de l'île, et put se rendre compte de la force de notre armée expéditionnaire : jamais ses yeux n'avaient contemplé un si formidable rassemblement naval. D'abord il se montra découragé : « Il faut périr, dit-il à ceux qui l'escortaient la France entière vient se jeter sur Saint-Domingue! » Toutefois, et malgré cette inquiétude profonde, il ne renonça point à résister avec énergie. Il expédia de nouveau à tous les postes de la colonie l'ordre d'opposer aux Français une résistance opiniâtre. Ces instructions furent reçues comme elles devaient l'être, c'est-à-dire avec un farouche assentiment, par un peuple affranchi, aux yeux duquel on déroulait déjà des chaînes.

Christophe était au Cap lorsqu'une escadre française parut en vue de la ville il refusa l'accès du port à nos vaisseaux, menaçant de livrer le Cap aux flammes si l'on osait tenter le débarquement. Leclerc donna ordre de s'approcher de la baie de l'Acul; et ses troupes, ayant mis pied à terre, se dirigèrent à grands pas vers le bourg du Haut-Cap.

Christophe ne se laissa point intimider par leur approche. C'était un ancien esclave, originaire de l'île de Grenade. Affranchi par la révolution, il avait été successivement maître d'hôtel, marchand, conducteur de bestiaux, et il était réservé à devenir roi.

Le Cap est livré aux flammes.

Homme sans instruction, mais sagace autant que Fév. 1802. hardi, il savait souffrir, se taire, et agir. Quand les Français parurent en vue du Cap, cette malheureuse ville était déjà en proie à un horrible incendie qui n'épargna que soixante maisons: l'explosion des magasins à poudre couronna cette œuvre de désespoir. Indépendamment des sacrifices sanglants que cet événement avait provoqués, la perte matérielle dépassait cent millions. Le feu avait dévoré l'arsenal, les magasins, le greffe, les hôpitaux, le palais du gouvernement, la grande église; et Christophe luimême avait donné l'exemple en dévouant aux flammes sa propre maison. Les jours suivants, d'autres postes, d'autres villes, devinrent la proie de l'incendie, et les Français ne triomphaient que sur des toits en cendre. Dans la partie méridionale de l'île, la guerre se présentait sous un aspect à peu près semblable.

Affaire de

Prince.

Le 17 pluviôse (3 février), vers le soir, la division Boudet était arrivée en face de Port-au-Prince, le Port-auchef de brigade Sabès débarqua dans cette ville, et reçut pour mission d'obtenir la soumission des habitants, en ayant recours à la persuasion ou à la menace, selon les obstacles. Il fut d'abord bien accueilli; mais bientôt après les habitants l'arrêtèrent, et le gardèrent à vue. Informé de cet acte audacieux, le général Boudet fit connaître qu'il exigeait une prompte satisfaction; faute de quoi ses troupes mettraient pied à terre, et tireraient vengeance de la violation du droit des gens. Les noirs répondirent que, s'il osait tenter un débarquement, on ferait entendre trois fois le ca

Fév. 1802. non, et que ce signal, répété de morne en morne, serait celui de l'incendie de la colonie et de l'égorgement de la population blanche. Nonobstant ces menaces, la division opéra son débarquement, dans la matinée du 18 pluviôse, sur la côte du Lamentin, sans rencontrer aucune résistance. Mais à peine le dernier soldat avaitil pris terre, que le canon de la ville retentit trois fois : les mornes qui entourent le Port-au-Prince répétèrent au loin ce terrible signal, et bientôt, aussi loin que les regards pouvaient s'étendre dans la plaine, sur les hauteurs et le long du rivage, on vit s'élever d'épais tourbillons de fumée. L'incendie s'accomplissait.

Le général Boudet contint sa douleur profonde, et donna l'ordre de marcher sur la ville, en affectant des dispositions de pardon et de paix. Un bataillon européen qui gardait l'un des forts accueillit nos troupes aux cris de vive la France! vivent nos frères! De son côté, l'escadre du contre-amiral Latouche prit une ligne d'embossage en face du quai, et sous le feu du canon ennemi. Les troupes noires chargées de défendre le port et les murailles de la ville s'élevaient à plus de quatre mille hommes. Quand elles virent venir à elles les Français, elles les appelèrent du nom de frères, et les invitèrent à avancer sans défiance. Bientôt après elles firent feu, et trois cents hommes de la division Boudet tombèrent tués ou blessés. Saisies d'indignation et de fureur, les troupes expéditionnaires s'élancèrent à la baïonnette sur les barbares, et l'enceinte de la ville fut franchie. Après un combat de courte durée, qui coûta beaucoup de monde aux nègres, la ville tomba au pouvoir des Français, et les

« PreviousContinue »