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Déc. 1801. Paris, un de ceux qui possédaient le mieux la science. aride des lois c'était un esprit ferme et honnête, un magistrat droit et intègre. Son digne émule, le conseiller d'État Portalis, avait occupé, avant la révolution, une place distinguée au barreau d'Aix. Il était renommé par ses talents oratoires, par son savoir, et plus encore par la loyauté du cœur. On se rappelait le jour où, devant les magistrats du parlement de Provence, il avait balancé la haute influence de Mirabeau. Persécuté sous la terreur, mais rendu à la liberté à la suite du 9 thermidor, il avait siégé au conseil des anciens, et, dans le sein de cette assemblée, il avait courageusement flétri la liberté démagogique et les oppresseurs de la liberté religieuse. Proscrit au 18 fructidor, il n'était rentré en France qu'après le 18 brumaire; et Bonaparte l'avait choisi pour être l'un des principaux négociateurs dans l'affaire du concordat. Deux conventionnels, Thibaudeau et Cambacérès, prirent une part active à la rédaction du code civil: le premier, quoique assez instruit, manquait de modération et d'expérience; l'autre, plus avocat que législateur, se complaisait dans les détails et dans la recherche des objections. Nous serions injustes en ne mentionnant point ici les noms de MM. Bigot de Préameneu et de Maleville leurs utiles labeurs concoururent en première ligne au succès de l'œuvre dont Bonaparte allait doter la France. Les rédacteurs du code civil a dit l'un d'eux, ne se bornèrent pas à compiler, à choisir, à reviser: leur tâche était plus difficile et plus grande. Ils étaient appelés à lier par une transition sans secousse, le présent et le passé; à concilier tous

générales.

les intérêts sans faire fléchir aucun droit; à opérer une Déc. 1801. douce composition entre des opinions et des usages opposés. Leur travail reposa sur ces trois grandes bases la complète sécularisation de l'ordre politique et civil; l'égalité des citoyens devant la loi, et des enfants dans la famille; l'affranchissement de la propriété et le droit d'en user et d'en disposer sans autres limites que celles qu'impose la loi dans l'intérêt de l'utilité publique (1). Sous plus d'un point de vue, ils réalisèrent leur pensée, ils atteignirent leur but; qu'on nous permette de citer ici le témoignage d'un contemporain (2): « Le code civil, riche des lumières Observations combinées de l'école romaine et de l'école française, est un code essentiellement civilisateur. Il renferme trois caractères: tradition des anciens principes; transaction entre les coutumes et le droit romain; originalité puisée dans les idées de la révolution de 1789. Il réfléchit l'idée du christianisme, des coutumes et de la révolution dans le droit des personnes, ce droit personnel, dont l'antique racine se trouve même dans les usages germaniques; il réfléchit l'esprit du christianisme et des lois romaines dans le droit des choses et des obligations qui s'y rapportent, ce droit réel, dont les premiers fondements sont dans Rome antique. La propriété territoriale, dans les nouvelles phases que lui ouvre de notre temps le progrès de l'industrie, verra sans doute s'unir à son esprit d'égalité et de liberté un principe plus large de

(1) M. Portalis.

(2) M. Laferrière.

+

Déc. 1801. mobilisation; l'économie politique s'associera efficacement à la législation civile, mais ce ne sera encore qu'une application du principe de 89. Tout ce que le code a d'imparfait ou d'incomplet disparaîtra successivement, au flambeau de la philosophie chrétienne et sociale. » Puisse ce vœu être promptement réalisé au milieu du mouvement qui emporte les idées et les choses de ce temps vers des destinées nouvelles, et à travers des espaces parsemés d'obscurités et d'orages! Déjà même, sous plus d'un rapport, le code civil a été amélioré une loi a fait disparaître le droit d'aubaine; une autre loi a effacé le divorce; d'autres ont aboli les substitutions que le code avait maintenues; d'autres ne tarderont pas à opérer la réforme du régime hypothécaire. Ces améliorations lentes, mais sûres, n'enlèveront point au code son caráctère d'unité, de clarté et de sobriété, qui, sous plusieurs rapports, en fait le modèle des lois civiles dont un pays peut s'honorer. Espérons que le temps effacera peu à peu les imperfections qui font tache au milieu de ce beau travail. La condamnation à la mort civile, dans ses effets relatifs au mariage et à la famille, présente des conséquences odieuses et repoussées par nos mœurs; la pensée qui, dans la tenue des registres de l'état civil, repousse toute intervention des ministres du culte, semble avoir pour but de faire pré-sider l'athéisme à la naissance, au mariage, à la mort, la puissance paternelle est réduite, dans le code, à n'être plus qu'une vaine suprématie; le régime de la communauté, stipulé comme devant être la règle ordinaire du contrat de mariage, a été peu à peu re

poussé pour faire droit au régime dotal, qui semblait Déc. 1801. ne devoir être qu'une exception.

Le code civil renferme trois livres, subdivisés en un grand nombre de titres, et un peu plus de deux mille articles. Les différentes parties de cette œuvre furent discutées et votées séparément, et ce fut là une préoccupation qui dura près de trois ans. Les tribunaux d'appel furent consultés; le premier consul voulut que de tous les points du territoire les avis parvinssent au conseil d'État, et formassent comme un faisceau de lumières destiné à éclairer la route du législateur. Pour lui, quoique étranger à la science du jurisconsulte, il prit la part la plus active à la discussion du code, présidant le conseil, émettant un avis motivé sur les notions immuables de la justice et du bon sens, plutôt que sur les traditions parlementaires ou sur les Pandectes. Dans une certaine limite, il tolérait la contradiction; cependant si on lui résistait trop vivement, on ne tardait pas à sentir la griffe du lion percer sous le gant de velours. Comme les articles étaient tour à tour mis aux voix, on avait la ressource d'un refus silencieux pour écarter de notre législation certaines idées spécieuses, mais inapplicables, que le jeune général voulait introduire. Parfois aussi il arrivait que le don du génie portait ses fruits, et qu'une idée vraie et forte, émanée du consul, illuminait le comité, et contribuait à vivifier la loi. Le plus souvent (et c'était encore un bonheur), la présence de Bonaparte dans le conseil d'État n'avait d'autre effet que de stimuler les hommes spéciaux, que de mettre chacun en demeure de faire acte d'attention, de savoir

Marche imprimée

à la discussion du code.

Déc. 1801. ou d'intelligence. Quand la question du divorce fut soulevée, le premier consul insista pour que le principe fût maintenu dans nos codes, quoique entouré de restrictions et de difficultés assez nombreuses. Son regard se portait vers l'avenir, comme si, sous le masque du citoyen, Bonaparte eût voulu frayer la route à Napoléon, comme s'il eût déjà ambitionné l'honneur d'être le gendre des Césars.

Diverses nuances de

royaliste.

Avant d'en venir là, il avait à compter avec les partisans de l'ancienne monarchie et, sous ce rapport, le pouvoir consulaire n'avait point tellement pacifié la France, que la république se crût affranchie de craintes.

Les anciens royalistes se divisaient en trois clasl'ancien parti ses la première comprenait les ralliés, tels que Portalis, Siméon, Barbé-Marbois, Barthélemy, Mounier, Malouet, Tronchet, et l'école presque entière des feuillants, des monarchistes constitutionnels de 1791. Bonaparte aimait ces hommes de modération et d'expérience, qui, tout en conservant des regrets pour le sang des Capétiens, acceptaient sans arrière-pensée le pouvoir nouveau, la république consulaire. Il espérait bien ne point laisser perdre, sans en tirer parti, le penchant qui les entraînait vers la royauté: en attendant, il s'entourait de leurs conseils et de leur adhésion, parce que, derrière cette opinion, pour ainsi dire inaperçue à l'état de parti politique, ses regards rencontraient la France.

Une autre classe de royalistes se composait des hommes qui voulaient arriver à la restauration des Bourbons par l'entremise du premier consul. A leurs

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