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yeux vers les montagnes d'Haïti, il s'écria : « En me Août 1802. renversant, on a seulement abattu le tronc de l'arbre « de la liberté des noirs: il repoussera; ses racines « sont nombreuses et profondes. » Arrivé en France, Toussaint-Louverture fut emprisonné au fort de Joux, sous les neiges du Jura; et ce fut là qu'il expira l'année suivante, misérablement, et sans qu'on ait jamais pu savoir si sa mort doit être, attribuée à la maladie, au poison ou à la faim.

recommence.

A peine les noirs de Saint-Domingue eurent-ils La guerre appris l'enlèvement de leur vieux général, qu'une émotion de sinistre augure se manifesta sur toute la surface de l'île. Le général Leclerc sévit avec violence contre les rebelles, et, soit ruse, soit force ouverte, il parvint à se défaire de quelques chefs réputés les plus hardis. Cependant le sentiment de l'indépendance, ne pouvant plus enfanter des armées régulières, donna naissance à une guerre de sauvages, à des tentatives désespérées, qui furent réprimées d'une manière cruelle. Parmi les chefs de bandes qui prirent les armes, on remarqua Lamour de Rance, nègre colossal, à demi nu, ne portant pour signes distinctifs du commandement que des épaulettes attachées avec des cordes. Il exerça sa fureur dans les campagnes du Petit-Goave, dans la plaine de Léogane, où il mit en cendres plus de cent manufactures, et sur les montagnes voisines du Port-au-Prince, où il signala sa férocité par le massacre des blancs. La révolte dont cet homme semait les brandons fit des progrès rapides Sans-Souci, Noël, Sylla, Macaya, autant de noirs révoltés, occu

Sept. 1802. pèrent avec leurs partisans la chaîne des montagnes. qui séparent les provinces du Nord des provinces de l'Ouest. Un autre insurgé, nommé Charles Belair, prit position dans les montagnes du Cahos, où le courage de Toussaint avait laissé de nombreux souvenirs. Pour venir à bout de ces révoltes, le général Leclerc eut recours aux supplices. Ce moyen étant devenu impuissant, il opposa les noirs aux noirs, et il confia à Dessalines la mission de combattre Charles Belair. Dessalines eut recours à la trahison, et réussit. Rochambeau eut ordre de contenir les incursions de Rance; et Christophe, secondé par Maurepas, se mit à la poursuite de Sans-Souci. Leurs efforts ne furent pas toujours heureux, et à deux reprises les barbares mirent en déroute les colonnes républicaines.

Succès

rapides

Peu à peu Christophe, Clerveaux, Paul Louverture, des noirs. Dessalines, Pétion, et la plupart des chefs noirs qui s'étaient soumis à Leclerc, reprirent les armes pour le compte d'Haïti contre la France (vendémiaire an XI-septembre 1803). Les insurgés attaquèrent de nouveau le Cap, et furent repoussés; mais il fallut leur abandonner le Port-de-Paix, le fort Dauphin, les Gonaïves. En quelques semaines, il ne resta plus aux Français que le Cap, le Port-au-Prince, le môle SaintNicolas et Saint-Marc. Christophe reparut bientôt sur les hauteurs qui dominent le Cap; et les Français se virent assiégés dans cette résidence, eux qui, moins de neuf mois auparavant, avaient pour ainsi dire entouré Saint-Domingue d'une ceinture de canons et de

du général

Leclerc.

vaisseaux. Sur ces entrefaites, et dans les premiers Oct. 1802. jours de brumaire an XI, mourut le capitaine général Mort Leclerc. On attribua sa mort au poison, et non à la fièvre jaune; mais l'histoire ne s'est point attachée à éclaircir ce mystère. On assure que, sur son lit de souffrances, Leclerc blâma l'expédition de Saint-Domingue, ordonnée par le premier consul. Ses dernières paroles furent pour l'armée et pour la patrie. Il mourut, d'ailleurs, avec un visage calme, et en montrant un cœur plus fort que l'agonie. De l'armée républicaine, naguère si brillante, à peine si sept à huit mille combattants survivaient à leur général.

Rochambeau succéda à Leclerc dans le comman- Rochambeau. dement de l'armée : c'était un homme imbu de tous. les préjugés de la race blanche contre les nègres, et qui, dans l'emportement de sa fureur, donna un libre cours aux réactions les plus sanglantes. Aidé de quelques renforts, il rejeta dans les montagnes Christophe et Dessalines; il reprit sur les noirs deux forteresses que, faute de troupes, il fut réduit à évacuer. Tout pouvait encore être sauvé; mais le supplice in- D'injustes juste de quelques hommes de couleur, notamment celui du mulâtre Bardet, augmenta dans une vaste proportion le nombre des insurgés. Sur toute la surface des provinces qui nous étaient demeurées fidèles, des révoltes éclatèrent. Rochambeau essaya vainement de les comprimer par les armes et par les châtiments. S'étant emparé du général nègre Maurepas, contre lequel on ne pouvait élever que des soupçons, Rochambeau ordonna de le mettre à mort, et ce supplice s'accomplit avec des raffinements de cruauté inouïs.

rigueurs hâtent les progrès de l'insurrection.

Nov. 1802. Selon les traditions que les noirs ont conservées (1),

Les mulâtres réunissent

à ceux

des noirs.

Maurepas fut attaché au mât d'un navire qui servit de
poteau; on cloua sur sa tête et sur ses épaules un
chapeau et des épaulettes de général; et pendant son
agonie on noya sous ses yeux ses amis, ses enfants et
sa femme, et il ne mourut que le dernier. L'horreur
ne fit que s'accroître, et Rochambeau fit passer par
les armes cinq cents prisonniers. La mémoire se lasse
au récit de ces cruautés; l'imagination frémirait si
nous énumérions les tristes exploits de Dessalines et
les représailles africaines. Il nous suffira de dire que
les persécutions dirigées autrefois contre les Indiens
par
les satellites de Pizarre ne furent que trop sou-
vent renouvelées contre les nègres d'Haïti. Exaltés
par le récit de ces attentats, les noirs rendaient avec
usure œil pour œil, sang pour sang.

Rochambeau aurait pu maintenir sous les drapeaux leurs efforts de la France le plus grand nombre des mulâtres. Les hommes de couleur, en effet, avaient été autrefois persécutés par Toussaint-Louverture, et ils avaient offert leurs services à Leclerc. Plusieurs d'entre eux, dans les dernières luttes, avaient combattu avec les républicains et s'étaient distingués par leur courage. Rochambeau, qui déjà avait irrité les mulâtres par des rigueurs iniques, continua de ne garder avec eux ni ménagements ni justice. En peu de jours les mulâtres se rangèrent tous du côté des noirs, et ils promenèrent dans la région méridionale de l'île la dévasta

(1) D'après le récit des Français, on se borna à noyer Maurepas dans la rade du Cap.

tion et l'incendie. Le général Laplume, ayant reçu Fév. 1803. quelques renforts, réussit un moment à les contenir

perdent

ment

leurs postes, échappe

et l'ile

à leur

(nivôse an XI février 1803); mais bientôt l'insur- Les Français rection prit des proportions plus redoutables, et le successivesoulèvement devint général dans le département du Sud. Un mulâtre nommé Férou se mit à la tête des hommes de couleur et des noirs libres, et sa bande domination. s'accrut rapidement. Dans les derniers jours de ventôse, Rochambeau s'embarqua avec douze cents hommes pour le Port-au-Prince, et vint prêter secours au général Laplume. La ville du Cap fut laissée sous la garde du général Clausel. En débarquant au Portau-Prince, le capitaine général apprit que les noirs venaient de s'emparer du Petit-Goave, l'un des postes les plus importants du Sud. Il confia au chef de brigade Nether-Wood, jeune Suédois, l'honneur de reconquérir cette position.

A l'approche de cet officier, les noirs évacuèrent le Petit-Goave, et se retirèrent dans un fort d'un accès difficile. Nether-Wood les suivit de près, et ordonna l'assaut. Les Français obéirent avec ardeur; mais ils furent repoussés, et Nether-Wood tomba au premier rang, atteint d'une blessure mortelle. Enivrés d'orgueil, les noirs se portèrent eux-mêmes en vue du Port-au-Prince, et dévastèrent la campagne qui environne cette ville.

Sur ces entrefaites, le général Sarrazin, à la tête d'un fort détachement, parvint à opérer sa jonction avec le général Laplume, qui se trouvait alors aux Cayes. Malgré leurs efforts combinés, les noirs et les mulâtres prolongèrent la lutte avec un redoublement

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