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chargé de conduire de nouveau la négociation à la- Juin 1803. quelle on attachait tant de prix. Cet envoyé, M. Monroë, sollicitait de la France la cession d'une portion de la Louisiane, et de l'Espagne celle des Florides. Pour prix de la cession demandée à la France, il avait ordre d'offrir deux millions de dollars, près de dix millions de notre monnaie; et c'était bien peu pour un pareil sacrifice. Les négociations commencèrent. Le gouvernement français avait pris des engagements avec l'Espagne; en recevant la Louisiane des mains de cette puissance, il avait promis à la cour de Madrid que, dans le cas où il ne croirait pas devoir garder cette colonie, il ne s'en dessaisirait qu'en sa faveur. Il y avait donc lieu à opérer une réversion en faveur de l'Espagne.

Mais rendre la Louisiane à l'Espagne, ce n'était qu'en faire une proie pour l'Angleterre; et avant tout il importait que l'Angleterre n'occupât jamais cette position. Déjà maîtresse du Canada, la Grande-Bretagne, du jour où elle compterait la Louisiane au nombre de ses colonies, resserrerait au midi et au nord le développement de la puissance américaine. Or, dans la guerre qui venait d'éclater, l'Espagne se trouvait, presque aussi bien que la France, exposée aux coups des Anglais. Le premier consul ne l'ignorait pas, et il faisait fléchir, devant les nécessités de cette situation, l'obligation qu'il avait contractée de donner à l'Espagne la préférence pour la cession de la Louisiane. Il prit conseil de quelques hommes éminents, au nombre desquels figurait M. Barbé-Marbois. « Je connais, leur dit-il, tout le prix de la Louisiane. Quel

RÉVOL. FRANÇ.

CONSULAT. II.

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Juin 1803. ques lignes d'un traité me l'ont rendue; mais à peine je l'ai recouvrée, que je dois m'attendre à la perdre. Je veux, s'il en est encore temps, ôter pour jamais à l'Angleterre la possibilité de posséder cette colonie. Je songe à la céder aux Américains. Pour peu que je tarde, je ne leur céderais qu'un vain titre. Ils ne me demandent qu'une ville et ses dépendances; mais il me semble que la Louisiane tout entière sera plus utile entre leurs mains à la politique et même au commerce de la France, que si je tentais de la garder. La discussion s'ouvrit, et des avis contradictoires fu rent émis de part et d'autre. Enfin l'opinion du premier consul prévalut, et M. Barbé-Marbois fut chargé de s'entendre avec M. Monroë. Bonaparte chargea M. Barbé-Marbois d'exiger dix millions de dollars (cinquante millions de France); mais l'habile négociateur obtint seize millions de dollars; et ce fut à ce prix que la France consentit à renoncer à la possession, déjà illusoire (on ne saurait trop le répéter), de la vaste contrée qui est située entre le Mississipi et l'océan Atlantique, et à laquelle demeura attachée le glorieux nom de Louis XIV. Ajoutons que Bonaparte, en cédant la Louisiane aux États de l'Union, stipula des garanties en faveur de ces anciens colons français qui changeaient de maître. Les procès-verbaux de la négociation témoignent de la sollicitude dont il fit preuve en leur faveur : « Que les Louisianais sachent, dit le premier consul, que nous nous séparons d'eux à regret; que nous stipulons en leur faveur tout ce qu'ils peuvent désirer; et qu'à l'avenir, heureux de leur indépendance, ils se souviennent qu'ils ont été Fran

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çais, et que la France, en les cédant, leur a assuré des Juin 1803. avantages qu'ils n'auraient pu obtenir sous le gouvernement d'une métropole d'Europe, quelque paternel qu'il pût être. Qu'ils conservent donc pour nous des sentiments d'affection; et que l'origine commune, la parenté, le langage, les mœurs, perpétuent l'amitié. » Non content d'obtenir pour les Louisianais les droits civiques appartenant à tous les membres de l'Union américaine, le premier consul stipula pour les intérêts du commerce espagnol, et il les plaça sur la même ligne que ceux du commerce français. D'autres clauses honorables, et dictées par l'humanité, furent introduites dans le traité en faveur des tribus indiennes voisines de la Louisiane.

Les sommes que cette négociation fit entrer dans le trésor permirent au gouvernement français de faire face à une partie des frais exigés pour les armements de Boulogne. Une nation, alors vassale de la France, nous vint à son tour en aide. La république batave consentit à nous offrir des moyens de transport pour soixante-deux mille hommes, à nourrir l'une de nos armées, à nous livrer trois cent cinquante bateaux plats, à mettre à notre disposition quatre mille che

vaux.

avec

L'Espagne se montra moins disposée à nous prêter Négociations son concours. Cette puissance, affaiblie par les der- l'Espagne. nières guerres, et soumise à la direction d'un pouvoir timide et corrompu, était bien déterminée à ne point reprendre les armes pour soutenir la cause de la France. Se montrer trop rigoureux envers elle, exiger le concours offensif et défensif que permettait de

Juill. 1803. réclamer le traité de Saint-Ildephonse, ce n'était que la pousser à tout refuser, et à se jeter dans les bras de l'Angleterre. Bonaparte n'eut garde d'en venir à cette extrémité, et il offrit de se contenter d'un subside annuel de 72 millions. Le prince de la Paix, Godoï, que la honteuse faveur de la reine avait élevé au gouvernement de l'État, ne voulut point consentir à cet arrangement. Sous cet étrange prétexte qu'en cédant la Louisiane aux États-Unis, le premier consul avait nui aux intérêts espagnols en Amérique, la cour de Madrid se montrait froide et malveillante. Trois légations, plus ou moins franchement ennemies de la France, encourageaient le gouvernement espagnol à refuser son concours : nous avons suffisamment indiqué la politique des agents de l'Angleterre, de la Russie et de l'Autriche. Les ministres espagnols, Cevallos, Soler et Cavallero, étaient ouvertement opposés à l'influence de la France. Le prince de la Paix, circonvenu par eux et adroitement ménagé par les cours étrangères, se montrait disposé à se renfermer à notre égard dans une neutralité équivoque, et dont il importait beaucoup de se défier. Au lieu de témoigner quelque sympathie pour la France au moment où elle engageait une guerre formidable contre l'Angleterre, le cabinet de Madrid multipliait les récriminations, les griefs et les procédés blessants. Le général Isquierdo avait laissé capturer, sous le canon de Barcelone, deux frégates de la république batave, notre alliée. La France avait exigé une satisfaction, et, pour sauver les apparences, le gouvernement espagnol n'avait pu refuser de rappeler ce général. Cet

homme, à peine disgracié, fut rétabli en faveur, et Juill. 1803. promu au grade important de gouverneur général à Valence. Quelques troubles ayant éclaté à Vittoria, on crut pouvoir les attribuer aux idées françaises : on fit paraître, à cette occasion, un édit royal dont le préambule était injurieux pour la France. C'était ainsi que l'Espagne entendait demeurer fidèle aux stipulations intervenues en l'an IV, entre elle et la république, et qui l'obligeaient à nous prêter une alliance offensive et défensive. Il est vrai que l'Angleterre se montrait menaçante, et qu'elle sommait le cabinet de Madrid de faire connaître quel parti il entendait prendre dans la lutte engagée depuis la rupture du traité

d'Amiens.

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Le premier consul ne voulait pas exiger de l'Espagne qu'elle fournît un contingent de troupes de terre et de mer. Il savait bien que placer ce royaume dans cette condition, c'était l'exposer aux coups de la Grande-Bretagne sans qu'il fût possible à la France de l'y soustraire, à moins de consentir à de grands efforts, à d'onéreux sacrifices. Nous avons vu qu'il se contentait d'un subside; mais il fallait s'entendre sur le prix dont l'Espagne payerait sa neutralité. Les hommes d'État de Madrid, sans répondre positivement par un refus, louvoyaient, cherchaient à gagner du temps, et prolongeaient indéfiniment les négociations. « Si nous voulons être sûrs de ces gens-là, manda notre ambassadeur Beurnonville au premier consul, il faut que nous nous mettions en bataille. » Vers le commencement de fructidor, le gouvernement français se montra plus pressant il assigna au cabinet de Madrid une

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