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ses yeux les lettres des royalistes rentrés en France, 1803-1804. en lui communiquant les espérances de quelques nobles, derniers débris de la cour de Louis XVI ou des armées royales de l'Ouest. Dans ces réunions d'amis fidèles, on interrogeait le vent des tempêtes politiques, et on voyait qu'il soufflait du côté de la guerre; s'il fallait attendre, et pour longtemps, on s'égayait à tourner en raillerie le mauvais goût des salons consulaires, les mœurs de Saint-Cloud, les habitudes militaires de Bonaparte et de ses lieutenants; et les heures se passaient à prendre contre le règne de la majorité et de la force ce qu'on croyait être la légitime revanche de l'esprit et du bon droit. Rien de tout cela ne faisait courir à la république française de sérieux dangers. Il n'en était pas de même lorsque les regards se tournaient du côté de Londres. Les émigrés, en Angleterre, se considéraient toujours comme à l'état de lutte et de guerre; ils organisaient contre la république et Bonaparte une chouannerie d'outre-mer qui n'entendait nullement désarmer : à leurs yeux, toute entreprise contre les jours du premier consul n'était qu'un acte de guerre légitime d'ennemi à ennemi; et, comme les émigrés de Londres, du moins pour la plupart, ne voyaient dans Bonaparte qu'un sujet révolté contre son souverain légitime, à ce point de vue ils trouvaient tout naturel que le souverain usât de son droit pour punir le rebelle. A l'aide de ces sophismes, dont ils croyaient la démonstration au-dessus de toute logique plus ou moins révolutionnaire, ils acceptaient comme les accidents inévitables de la lutte les complots ourdis contre les jours du pre

1803-1804. mier consul: ils étaient prêts à y prendre part sans remords, sans scrupule, comme à l'accomplissement d'un devoir.

Le gouvernement anglais, cédant à de machiavéliques inspirations, songeait à tirer parti pour son propre compte de ces dispositions d'une minorité de royalistes aveugles: il ne mettait pas le poignard aux mains des conjurés, mais il s'accommodait fort bien de cette idée que, d'un jour à l'autre, un ennemi heureux débarrasserait l'Angleterre, la royauté capétienne et l'Europe, de cet obstacle qu'on appelait Bonaparte. Sauf le coup de poignard ou le guet-apens dont personne ne parlait, et que personne ne voulait avouer, on disposait tout, à Londres, pour la réussite d'un coup de main audacieux tenté contre le premier consul. Les anciens chefs de la chouannerie réfugiés en Angleterre, et plus ou moins groupés autour des Georges princes français, reconnaissaient pour chef Georges les autres Cadoudal, le Breton à la tête dure et au cœur opiniâtre, qui n'avait voulu ni de l'amitié ni des faveurs du premier consul. C'était un de ces hommes que les partis désespérés aiment à trouver à leur tête, dans ces périodes où, la guerre ne pouvant plus se faire avec des armées régulières combattant en batailles rangées, la lutte entre le vainqueur et le vaincu se prolonge, transformée désormais en escarmouches de partisans ou en conjurations secrètes. Des ennemis de cette trempe, quand on a fait tomber l'épée de leurs mains, ne croient pas descendre en s'armant du poignard : ils n'assassinent pas, ils tuent. Aux côtés de Georges, comme à la suite d'un chef de clan, se rangeaient,

Cadoudal et

conjurés.

animés d'une haine égale et d'une énergie diverse, 1803-1804. d'autres chouans, d'autres émigrés, pour la plupart nés du sang breton : c'étaient Louis Léridan, jeune homme de vingt-six ans et morbihannais; Alexis Joyaux, son compagnon, du même âge; Marie Burban, conspirateur tenace et intrépide; Bouvet de Lozier, officier, ancien émigré, et peu digne de pareils amis; Guillaume Lemercier, Noël Ducorps, Coster SaintVictor, Louis Picot, et d'autres dont l'énumération serait trop longue. Ces gens-là vivaient à part, s'entretenant dans l'exaltation mutuelle de leurs espérances ou de leur fanatisme : ils avaient des rapports politiques avec les princes français; ils visitaient le comte d'Artois, le duc d'Orléans et son frère le duc de Montpensier. Dans ces conciliabules, on ne laissait point échapper le complot d'un parti contre la vie d'un homme, mais on méditait une nouvelle Vendée, et l'on représentait aux rejetons de Henri IV combien il serait glorieux de conquérir la France comme avait fait leur aïeul. Il y avait, dans ces entretiens, un mélange de projets coupables et de préoccupations chevaleresques celles-ci coloraient les autres d'une fausse teinte de justice ou de dévouement. Les princes s'y laissaient prendre volontiers, et avec eux leurs amis dévoués, M. de Rivière et MM. de Polignac, fils de cette noble dame dont le nom était devenu inséparable du nom de Marie-Antoinette. Mme de Polignac s'était éteinte dans l'exil en apprenant la triste fin de sa royale amie; et, par ses ordres, on n'avait gravé d'autre inscription sur sa tombe que ces trois mots : « Morte de douleur! »

1803-1804. Le souvenir de cette mère ne contribuait que trop à pousser dans les voies de la vengeance et du sacrifice ses deux fils, l'un et l'autre aides de camp du comte d'Artois.

Caractère

du

Plan de

Georges.

Quand de pareils hommes se concertaient, se réucomplot. nissaient pour mener à fin une entreprise commune, il ne pouvait être question de poison, de machine infernale ou d'assassinat. Il ne s'agissait que d'attaquer le premier consul corps à corps, au cœur de la France, et de s'assurer de sa personne, pour le cas où il voudrait bien ne pas résister. Dans le cas contraire, on le traiterait comme un ennemi sur un champ de bataille on le tuerait. C'était le plan de Georges; les autres l'acceptaient, et cette entreprise leur semblait d'autant plus légitime que les princes y donnaient leur assentiment. On se disait qu'en usant des ruses ordinaires des contrebandiers, on pourrait s'introduire clandestinement en France et à Paris; qu'en rassemblant dans cette ville une compagnie de chouans intrépides et dévoués, on pourrait se porter sur la route de Saint-Cloud, et attaquer en plein jour, face à face, le premier consul et son escorte, et que, dans cette lutte, l'avantage resterait au nombre. Ces projets furent communiqués aux agents du gouvernement anglais. Le cabinet de Londres, se contentant de connaître la vérité à demi-mot, et laissant aux conspirateurs la responsabilité morale de leur entreprise, accepta une véritable complicité en distribuant à Georges ou à ses agents des sommes considérables, et en mettant à leur disposition un navire anglais chargé de les trans

porter ensemble, ou l'un après l'autre, sur le point de 1803-1804. la côte française par eux désigné. Des conciliabules eurent lieu on se mit d'accord.

Restait à s'arranger après la réussite du complot, et c'est ici que surgissaient des difficultés assez sérieuses. Tuer le premier consul et arborer le drapeau blanc à Paris, c'était provoquer une explosion formidable du peuple; explosion dont s'empareraient les jacobins, et qui ne pourrait tourner qu'au profit de l'ancienne Montagne. Fouché et les hommes de septembre étaient là, prêts à recueillir les fruits du dévouement de Georges et de l'audace de ses chouans. Il ne fallait donc arriver à rétablir les Bourbons qu'en se concertant avec des chefs militaires assez forts, assez populaires en France pour pouvoir agir sur l'armée, lui donner des ordres, et organiser d'une manière réfléchie et régulière la restauration de la royauté. Et quel homme, autre que Moreau, pouvait mieux remplir cette mission? On savait cet homme illustre mécontent et jaloux; depuis deux ans on n'avait rien négligé pour rallier à lui tous les opposants de l'armée. On suivait à l'égard de Bonaparte et de Moreau cette marche si ordinaire aux partis, et que facilite si bien la malignité humaine. On représentait Bonaparte comme un soldat heureux, qui, sans courage et sans génie, avait eu la perfide adresse de se faire un piédestal du génie et du courage des autres généraux et de l'armée. On disait qu'il était indigne pour la France de subir le joug de cet usurpateur corse, tandis qu'elle avait Jourdan, Ney, Masséna, et surtout Moreau, le vainqueur de Hohenlinden, le rival de

Les conjurés

cherchent à général

s'adjoindre le

Moreau.

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