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1803-1804. Fabius et de Turenne. Ces stupides attaques portaient

Pichegru est

chargé de

faire de

avances à

coup la plupart des généraux, soit haine cachée, soit ambition, se montraient assez disposés à les accepter; les mécontents vulgaires y ajoutaient une foi aveugle; les meneurs du jacobinisme et de l'émigration s'entendaient fort bien pour les accréditer, et personne plus que Moreau ne se montrait disposé à les prendre au sérieux.

De Georges Cadoudal à Moreau il existait toute la distance qui de la république séparait la chouannerie. nouvelles Pour franchir cet intervalle, pour trouver un interméMoreau. diaire, il fallait un homme dont le passé fût double, et appartînt aux deux causes. Les émigrés de Londres ne se trompèrent point en jetant les yeux sur le général Pichegru, l'un des proscrits de fructidor, qui, échappé à l'exil de Sinnamary, vivait réfugié à Londres. Pichegru avait glorieusement conquis la Hollande pour la république; mais il avait ensuite, et moyennant salaire, trahi son armée et son drapeau en faveur des princes exilés. Ce fut donc à lui que confiée la mission de gagner Moreau à la cause des conjurés de Londres.

Plusieurs conjurés dé

clandestine

ment en France.

fut

Entre Dieppe et le Tréport, le long d'une côte inabarquent bordable, la falaise de Biville, un chemin connu des contrebandiers est pratiqué dans une fente de rocher; Premières mais on n'y arrive qu'en se hissant à un câble que tentatives. des affidés retirent à eux, et qui descend le long d'un

précipice de deux ou trois cents pieds. C'est par cette issue mystérieuse que Georges d'abord, et peu de temps après Pichegru et les chouans venant de Londres, réussirent à pénétrer en France. De la falaise

de Biville à Paris, l'espace était grand; mais les con- Janv. 1804. jurés le franchirent de nuit, en évitant les grandes routes, et en se cachant dans des fermes où ils avaient établi des intelligences sûres. On était au mois de fructidor de l'an XI (août 1803) lorsque Georges vint à Paris. A peine arrivé, il reconnut que l'entreprise, jugée si facile à Londres, devait rencontrer de sérieux obstacles. Le plus puissant de tous, celui que des émigrés et des chouans remplis d'illusions n'avaient pu sonder, c'était l'immense popularité dont jouissait le premier consul. Georges ne tarda pas à s'en faire une idée; mais, comme il était doué d'une de ces natures énergiques que les difficultés encouragent, il résolut de marcher jusqu'au bout dans la voie où il était entré. Il fit sonder la Vendée par des émissaires; mais là aussi la royauté ne pouvait plus soulever le peuple. La religion avait reconquis ses autels et ses chaires : il ne fallait plus compter sur une prise d'armes nationale. Or, tandis qu'il se préoccupait de cet examen, et qu'il employait ses soins à rallier un petit nombre de chouans subalternes mais dévoués, les agents de Pichegru se mettaient en rapport avec Moreau, et cherchaient à pressentir ses dispositions. Parmi ces agents figurait un général du nom de Lajolais, entrepreneur d'intrigues, ruiné, et que ses besoins d'argent poussaient à des tentatives désespérées. Cet homme, interprétant à sa façon le silence ou les réponses ambiguës de Moreau, se persuada qu'il correspondait à ces ouvertures et qu'on pouvait compter sur lui. Il se rendit à Londres par Hambourg, pour mieux donner le change à la police consulaire; et il alla porter aux

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Janv. 1804. princes émigrés, aussi bien qu'à Pichegru, des espé

Entrevues de Moreau

et de

rances positives qui ne permettaient désormais aucun doute sur le consentement de Moreau et sur les dispositions de l'esprit public. Pichegru, M. de Rivière et MM. de Polignac vinrent en France pour participer à la conjuration. On touchait aux premiers jours de nivôse an XII (janvier 1804).

Pichegru obtint de Moreau une entrevue clandestine. Comme ils se trouvaient réunis, Georges survint, Pichegru. et sa présence fut pour Moreau la désagréable révélation de la situation fausse où il venait de se laisser engager. Moreau ne voulut prendre aucun engagement; mais, peu de jours après, il eut dans son propre domicile un nouvel entretien avec Pichegru. De part et d'autre on s'expliqua avec franchise. On se trouva d'accord pour aspirer au renversement du gouvernement consulaire, pour travailler clandestinement ou à ciel ouvert à atteindre ce but; et alors se produisirent les différences: Moreau voulait profiter de la révolution prochaine pour hériter du pouvoir; il comptait sur l'appui de ses partisans dans le sénat et dans l'armée; il s'engageait à rémunérer, par les concessions les plus magnifiques, le concours qu'il réclamait de Pichegru. Ce n'était point le compte du vainqueur de la Hollande, complice de Georges. Aussi Pichegru n'épargnait-il rien pour enlever à Moreau ses illusions, et pour le convaincre que Bonaparte ne pouvait avoir de successeurs sérieux et durables que les Bourbons. On ne put s'entendre; et Georges, qui ne cherchait nullement à renverser le premier consul pour dresser un piédestal à l'ambition de Moreau, ré

solut de se passer du concours de ce général. Les Janv. 1804. émigrés souscrivirent sans peine à sa détermination à cet égard; mais le plus solide appui sur lequel les uns et les autres avaient basé leurs espérances venait de leur manquer sans retour. Bien plus, après de longs pourparlers, les plus exaltés d'entre les conjurés royalistes reconnurent que Pichegru ne leur offrait qu'une amitié douteuse.

cherche à se mettre sur la trace

Au milieu de ces incertitudes, il arriva ce que les La police chefs les plus sagaces avaient depuis longtemps prévu, c'est que la police consulaire chercha à se mettre sur des conjurés. la trace des conjurés et de la conjuration. L'ancien ministre Fouché était entré au sénat; le ministère de la police générale avait été supprimé, et réuni aux attributions de M. Régnier, grand juge, ministre de la justice. Le conseiller d'État Réal, placé sous les ordres du ministre, dirigeait ce service; mais il s'acquittait médiocrement de cette fonction, et la police, ne recevant aucune impulsion sérieuse, se trouvait toujours mal renseignée. Par bonheur pour elle, Fouché n'avait point renoncé entièrement à une attribution qui était dans ses goûts, et il avait une petite police qui adressait des rapports au premier consul. Bonaparte, éclairé par les agents de Fouché et par les rapports de la gendarmerie, était profondément convaincu que des complots se tramaient contre sa personne. Il recevait, en outre, de la Vendée, des avis qui lui laissaient peu de doute sur l'existence d'un projet audacieux; mais aucun indice n'était encore assez positif pour mettre la vérité au grand jour.

Le gouvernement anglais ne se bornait pas à prêter

RÉVOL. FRANÇ.

CONSULAT. II.

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de l'Anglais

Drake.

Janv. 1804. appui à l'entreprise de Georges; il entretenait sur le Affaire continent des machinations dangereuses, et ses principaux agents, pour se livrer avec impunité à de pareilles menées, étaient revêtus de l'inviolabilité du caractère diplomatique. Au nombre de ces instigateurs de crimes figurait M. Drake, ministre d'Angleterre près la cour de Bavière. M. Drake n'était point à son début en fait d'intrigues de ce genre, et le premier consul se défiait justement de lui. C'était d'ailleurs un homme vaniteux, immoral et maladroit. Il avait pour principal agent le nommé Méhée de la Touche, que Bonaparte avait chassé de France comme septembriseur cet individu, après avoir reçu de l'Angleterre et des émigrés le salaire de ses honteux services, trouva commode de recevoir des deux mains, et il se vendit secrètement à la police des Tuileries. Dans cette position, il livrait à l'Angleterre et aux émigrés, à beaux deniers comptants, les secrets que le premier consul lui faisait communiquer, avec la permission d'en faire trafic; et, comme en échange de ses confidences il se faisait initier aux secrets les plus importants des conspirateurs britanniques, il en donnait clandestinement avis au premier consul. Les rapports de Méhée de la Touche contribuaient donc beaucoup à mettre Bonaparte sur la voie des tentatives de Georges et de ses complices. Quand le gouvernement consulaire crut n'avoir plus rien à apprendre, il ébruita les renseignements qu'il avait recueillis; il fit publier la correspondance de M. Drake; et une note adressée à tous les cabinets de l'Europe leur fit connaître par quels moyens le gouvernement britannique cherchait à ren

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