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verser le gouvernement consulaire et à replonger la Janv. 1804. France dans les horreurs de l'anarchie.

L'Anglais Drake n'avouait pas, et il ne pouvait le faire sans autorisation ou sans preuves, que le gouvernement britannique favorisait la conspiration de Georges Cadoudal : toutefois il s'exprimait à cet égard d'une manière qui trahissait la pensée secrètè des hommes dont il recevait les ordres. Méhée de la Touche lui ayant demandé des explications précisés sur l'organisation d'une association de conspirateurs, destinée à attenter aux jours du premier consul, M. Drake mandait à cet agent qu'il ignorait l'existence de cette société; il ajoutait : « Au reste, si le fait était avéré, et si vous étiez pleinement convaincu que les vues et le but que cette société se propose sont d'accord avec les vôtres (la destruction du pouvoir consulaire par tous les moyens possibles), je n'hésiterais pas à vous exhorter à faire usage de toute votre habileté et de toute votre discrétion pour combiner vos opérations de manière non-seulement à ne pas mettre obstacle aux travaux et aux entreprises de cette dernière, mais à les favoriser et à tâcher d'assurer leur succès, qui (dans les cas que je suppose) servirait très essentiellement à assurer la réussite de vos propres desseins... Je vous répète, de la manière la plus précise, que je n'ai aucune connaissance de l'existence de cette société; mais je vous répète aussi que, si elle existe en effet, je ne doute nullement que vous et vos amis vous ne preniez toutes les mesures convenables, non-seulement pour ne pas embarrasser, mais pour aider sa marche. Il importe fort peu par qui l'animal soit ter

Janv. 1804. rassé; il suffit que vous soyez tous prêts à joindre la chasse. » L'ensemble de la correspondance, qu'il serait fastidieux de placer sous les yeux de nos lecteurs, se rattachait aux mêmes projets et aux mêmes intrigues.

Lorsque ces pièces, dont on ne pouvait contester l'authenticité, furent communiquées aux représentants des puissances, le corps diplomatique crut de son honneur d'en accuser réception et de protester contre d'aussi coupables menées. Les ambassadeurs et les ministres plénipotentiaires agirent d'ailleurs individuellement, et chacun d'eux se renferma, autant que possible, dans les limites de la prudence. Le cardinal Caprara écrivit : « Daignez assurer le premier consul que le souverain pontife a vu et verra toujours avec horreur tout ce qui tendrait à troubler la paix intérieure de son gouvernement, sur laquelle repose l'édifice entier du rétablissement de la religion catholique en France. Tout attentat contre ses jours précieux serait, aux yeux de Sa Sainteté, un crime aussi atroce en lui-même que funeste pour l'Église. » Le ministre plénipotentiaire des États-Unis se montra moins réservé dans son langage, en faisant allusion à la complicité de l'Angleterre dans les manoeuvres de Drake : « Le ministre de S. M. Britannique à Munich, dit-il, a entretenu en France une correspondance coupable avec des traîtres, pour des projets que toutes les nations civilisées regarderont avec horreur, et cette horreur doit redoubler encore, en voyant que c'est un ministre qui prostitue son caractère sacré à d'aussi indignes manœuvres. Qu'un agent subalterne

commette une action basse et atroce, on peut croire Janv. 1804. qu'il est porté par l'intérêt personnel ou par tout autre motif semblable; mais on attribue communément les actions d'un ministre à la nation qu'il représente, et, lors même qu'il a agi contre ses ordres (ce qui, j'espère, a lieu dans cette circonstance), sa conduite est tellement identifiée à son gouvernement, que de pareils actes tendent à renverser l'ordre social et à ramener les nations vers la barbarie. » Les réponses du comte de Cobentzel, ambassadeur d'Autriche, et du chargé d'affaires russe, M. Oubrill, furent pleines de circonspection et de dignité. Les lettres des ministres de Prusse, de Danemark, d'Espagne, de Portugal, de Suisse, de Hollande, celles des chargés d'affaires des princes d'Italie et d'Allemagne, renfermèrent l'expression d'un intérêt plus ou moins sincère, mais en apparence très-sérieux, pour la personne et le gouvernement du premier consul. Accablé sous le poids de ces protestations et de ces témoignages réprobateurs, M. Drake s'esquiva furtivement de Munich, et courut cacher sa honte dans une retraite obscure. Peu de temps après, le gouvernement français acquit la preuve qu'un autre agent de la Grande-Bretagne, M. Spencer-Smith, ministre auprès de l'électeur de Wurtemberg, avait, de son côté, participé à des menées non moins odieuses que celles de Drake. Plus tard, on sut que le ministre d'Angleterre auprès de l'électeur de Hesse-Cassel, M. Taylor, s'était mis en relation avec les chefs d'une prétendue confédération cisrhénane qui avait pour but la destruction du pouvoir de Bonaparte.

Janv. 1804.

Le gouvernement anglais ne crut pas devoir garder le silence en face des accusations dirigées contre lui, et que le corps diplomatique acceptait comme justes. Lord Hawkesbury adressa à tous les ministres étrangers résidant à Londres une note circulaire dans laquelle il déclarait qu'on n'aurait opposé que le mépris aux inculpations de la France, si les réponses vraiment extraordinaires et non autorisées de plusieurs ministres des puissances étrangères ne leur eussent donné un plus haut degré d'importance. que sans cela elles n'eussent pas obtenu. » Après avoir repoussé avec une louable énergie le reproche de toute participation à un projet d'assassinat, le ministre anglais établissait sans scrupule en vertu de quel principe il avait cru pouvoir agir: « C'est, disait-il, un droit reconnu des puissances belligérantes, de profiter de tout mécontentement qui existe, dans les, pays avec lesquels elles peuvent se trouver alors en guerre..... Les membres du gouvernement de S. M. seraient inexcusables de négliger le droit qu'ils ont de soutenir, autant que cela s'accorde avec les principes du droit des gens que tous les gouvernements civilisés ont reconnu jusqu'à présent, les efforts de ceux des habitants de la France qui font profession de sentiments hostiles contre son gouvernement... Un ministre dans les pays étrangers est tenu, par la nature de sa place ainsi que par les devoirs de sa situation, de s'abstenir de toute communication avec les mécontents dans le pays où il est accrédité, ainsi que de toute action qui porterait préjudice aux intérêts, de. ce pays; mais, il n'est pas sujet à la même réserve à l'égard des pays

avec lesquels son souverain est en guerre. Ses actions Janv. 1804. à leur égard peuvent être dignes d'éloge ou de blâme, suivant la nature des actions elles-mêmes; mais elles n'impliquent point de violation de son caractère public, à moins qu'elles ne soient hostiles à la paix ou à la sûreté du pays près duquel il est accrédité. » Ces maximes étaient nouvelles, sous quelque rapport; mais Bonaparte, en les signalant à l'indignation de toutes les cours, oublia que ses propres agents, dans toute l'Europe continentale, les avaient bien souvent prises pour règle de leur conduite. Le cabinet anglais repoussait comme une odieuse calomnie toute complicité dans une manœuvre d'assassinat': il' acceptait les autres actes comme des fait's légitimés par la guerre L'Europe fut prise pour juge; mais elle s'abstint de rendre une sentence, et il parut que ce haut tribunal se bornait à requérir un plus ample informé.

En racontant ces menées et ces incidents diplomatiques, nous avons été contraint d'anticiper sur les événements nous devons reprendre le récit de la conjuration royaliste.

Le

complot

découvert.

Georges, M. de Rivière, Pichegru, MM. de Polignac et leurs affidés, depuis qu'ils avaient renoncé à la royaliste est complicité de Moreau, ne s'étaient point laissé abattre, mais ils n'avaient rien négligé pour saisir l'occasion d'agir et de tenter un hardi coup de main. Plus d'une fois ils se trouvèrent maîtres de la vie du premier consul; mais ils ne voulaient point devoir à un guetapens le succès de leur cause, et ils épiaient les occasions de combattre dignement leur ennemi. En`attendant, les jours se passaient, et n'amenaient d'autre

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