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épris d'une passion chevaleresque pour la princesse Mars 1804. Charlotte de Rohan-Rochefort; et ce sentiment, plus que tout autre, motivait sa présence dans le pays de Bade. I ignorait les entreprises que méditaient les émigrés réfugiés à Londres, et ce fut seulement par les journaux qu'il eut connaissance de la conspiration de Georges. A cette nouvelle, il révoqua en doute le complot : « S'il se fût agi d'une conspiration de cette nature, dit-il, mon père et mon grand-père m'en auraient confié quelque chose pour ma sûreté personnelle. Aussi, ne craignant nullement de voir son nom compromis, il ne voulut point s'éloigner de la frontière de France. Son père, qui résidait à Londres, lui avait écrit d'être prudent: « Mon cher enfant, lui avait-il mandé, on assure ici, depuis plus de six mois, que vous avez été faire un voyage à Paris; d'autres disent que vous n'avez été que jusqu'à Strasbourg. Il faut convenir que c'était un peu risquer inutilement votre vie et votre liberté... Ne négligez aucune précaution pour être averti à temps et faire votre retraite en sûreté. au cas qu'il passât par la tête du premier consul de vous faire enlever. » Cet avertissement ne parut au duc que l'excès aveugle d'une sollicitude paternelle,

et il refusa d'en tenir compte.

semblent

consistance

plus

sérieuse.

La police consulaire envoya à Ettenheim un offi- ces rapports cier de gendarmerie, chargé d'observer les mouve- prendre une ments du duc d'Enghien et des émigrés de Bade. Cet officier, à son passage à Strasbourg, entendit raconter, comme un fait notoire, que le prince venait quelquefois au théâtre de cette ville. C'était un bruit répandu à Strasbourg, et qui peut-être ne reposait sur

Mars 1804. aucune donnée exacte. L'agent français, arrivé à Ettenheim, était déjà à demi convaincu de la réalité de ce fait, que le prince osait, de temps à autre, entreprendre des excursions sur le territoire de la république. A Ettenheim, tout le monde lui apprit que le prince s'absentait quelquefois, et qu'il passait des journées consécutives à la chasse. L'agent ne vit là qu'un prétexte, et il se persuada aisément qu'au lieu de se rendre dans les forêts de la Franconie le jeune duc venait clandestinement en France. Ce n'est pas tout parmi les émigrés qui entouraient le prince, se trouvait un officier du nom de Thuméry. L'agent français, trompé par la prononciation allemande, n'hésita pas à croire qu'il s'agissait du général Dumouriez; erreur grossière dont il fit part au gouvernement, et que la police de Paris partagea. Le général Moncey, commandant en chef la gendarmerie nationale, recevait de son subordonné en mission à Ettenheim des rapports exagérés, qui ne lui permettaient pas de révoquer l'existence d'un vaste complot organisé à Londres, à Paris et dans le pays de Bade, contre la vie du premier consul. Il fit part au gouvernement de ces avis, qui n'étaient, après tout, qu'une édition revue et augmentée des divers rapports envoyés au directeur de la police. Tout se réunissait pour démontrer à des amis égarés par la prévention, ou troublés par la crainte, la réalité d'une conspiration dont les principaux auteurs, parce qu'ils appartenaient au sang royal, et surtout parce qu'ils s'abritaient dans l'exil, semblaient échapper à la justice ordinaire.

Conseil des

ministres Tuileries.

tenu aux

Mais Bonaparte ne devait pas fléchir devant de Mars 1804. pareils scrupules, et plût à Dieu qu'il les eût respectés! Dès qu'il eut partagé la conviction de l'agent d'Ettenheim, il se dit qu'en franchissant le Rhin, et en opérant une pointe de quelques heures sur le territoire étranger, il était possible d'étendre la main sur l'un de ces princes que tant de rapports signalaient comme acharnés à sa perte. Sur-le-champ il convoqua aux Tuileries un conseil extraordinaire, composé des trois consuls, des ministres et de Fouché, qu'on allait associer aux secrets de cette délibération. En attendant, saisi d'émotion et de colère, il étudiait la carte du Rhin, pour combiner la réussite du coup de main dont il méditait la pensée.

Le conseil s'étant assemblé, le premier consul fit connaître qu'il s'agissait de faire enlever à force ouverte, sur les domaines de l'électeur de Bade, le duc d'Enghien et le général Dumouriez : il ajouta que sans doute ce serait là une violation du territoire germanique, mais qu'il ne fallait point s'en inquiéter, la France étant assez forte pour faire agréer des excuses. Le consul Lebrun, attaché à l'ancien régime par de nombreux souvenirs, parut consterné d'une semblable communication. Cambacérès eut la hardiesse de prendre la parole, et de démontrer, au nom des principes, que le projet de Bonaparte constituerait un grave attentat contre la justice et le droit : il annonça que l'opinion publique ne tarderait pas à se révolter en face d'une si audacieuse entreprise. Il conjura le premier consul de ne point abaisser ainsi sa glorieuse renommée; il lui montra le jugement sévère des con

Mars 1804. temporains et de l'histoire; enfin, il l'adjura d'attendre au moins que le duc d'Enghien fit sur le territoire. français l'une de ces excursions qui permettraient de se saisir de sa personne, et d'invoquer contre lui la sévérité des lois révolutionnaires. On raconte que Bonaparte interrompit le régicide Cambacérès par cette réflexion amère « Vous êtes devenu bien avare du sang des Bourbons! » D'autres disent que, pour adoucir l'effet de cette remarque, il ajouta : « « Je sais quel motif dicte vos discours, c'est votre dévouement. Je vous en remercie; mais je ne me laisserai pas tuer sans me défendre. Je veux faire trembler ces gens-là, et leur enseigner à se tenir tranquilles. » La pensée du drame que nous allons raconter est, sous quelques rapports, dans cette parole.

Le

premier

des

l'arrestation

du duc d'Enghien

sur le

Bade.

Bonaparte mande les généraux Ordener et Caulainconsul donne court, deux de ses officiers les plus dévoués. Il charge ordres pour le premier de se rendre sur les bords du Rhin avec trois cents dragons, quelques pontonniers et plusieurs territoire de brigades de gendarmerie; il lui prescrit de franchir le fleuve à Rheinau, de courir sur Ettenheim, d'envelopper la ville, et de se saisir de la personne du prince. Des ordres doivent être donnés pour qu'un autre détachement, se portant de Kehl sur Offenbourg, se tienne en observation, et protége le coup de main tenté par le général Ordener. Pour le général Caulaincourt, sa mission est moins terrible cet officier doit se borner à se rendre auprès du margrave de Bade, et à justifier à ses yeux l'acte inouï qui se commet sur ses terres. M. de Caulaincourt, de famille noble et fils d'émigré, tenait, par beaucoup de souvenirs et de

bienfaits, à la maison de Condé. Bien qu'on n'exigeât Mars 1804. pas de lui qu'il enlevât le prince, on lui prescrivait en quelque sorte de s'associer à cet acte, en remplissant une mission diplomatique qui s'y rattachait directement. Ce dut être pour lui une douleur bien vive, et personne n'ignore que ce souvenir empoisonna le reste de ses jours. Remarquons, à la louange des généraux Ordener et Caulaincourt, qu'ils ignoraient l'un et l'autre le sort réservé au duc d'Enghien, et qu'ils croyaient ne participer qu'à une mesure de précaution ou de guerre.

L'intérêt de l'histoire nous commande de citer les ordres officiels que Bonaparte donna au ministre de la guerre pour régulariser la mission des deux généraux; c'est une pièce de ce grand procès.

« Vous voudrez bien, citoyen général, donner ordre au général Ordener, que je mets à cet effet à votre disposition, de se rendre dans la nuit en poste à Strasbourg i voyagera sous un autre nom que le sien, et verra le général de la division.

« Le but de sa mission est de se porter sur Ettenheim, de cerner la ville, d'y enlever le duc d'Enghien, Dumouriez, un colonel anglais, et tout autre individu qui serait à leur suite. Le général de la division, le maréchal des logis qui a été reconnaître Ettenheim, ainsi que le commissaire de police, lui donneront tous les renseignements nécessaires.

<< Vous ordonnerez au général Ordener de faire partir de Schelestadt trois cents hommes du 26e régiment de dragons, qui se rendront à Rheinau, où ils arriveront à huit heures du soir. Le commandant de

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