Page images
PDF
EPUB

Mars 1804. paraître immédiatement devant le conseil de guerre. Le capitaine rapporteur Dautancourt se présenta à Premier lui, et lui fit subir un premier interrogatoire : « Je

interroga

par le

toire subi suis, répondit le prince, Louis-Antoine-Henri de prince. Bourbon, duc d'Enghien, né à Chantilly, et âgé de près de trente-deux ans. J'ai quitté la France au mois de juillet 1789; je suis parti avec le prince de Condé mon grand-père, avec mon père, le comte d'Artois et ses enfants; en sortant de France, j'ai passé avec mes parents, que j'ai toujours suivis, par Mons et Bruxelles; de là nous nous sommes rendus à Turin chez le roi, où nous sommes restés à peu près seize mois. De là, toujours avec mes parents, je suis allé à Worms et aux environs, sur les bords du Rhin. Ensuite le corps de Condé s'est formé, et j'ai fait toute la guerre. J'avais, avant cela, fait la campagne de 1792 en Brabant, avec le corps de Bourbon, à l'armée du duc Albert. » Et comme le capitaine rapporteur lui demanda ce qu'il avait fait depuis que la paix était intervenue entre la république française et l'Empereur, le prince dit encore : « Nous avons terminé la dernière campagne aux environs de Gratz; c'est là où le corps de Condé, qui était à la solde de l'Angleterre, a été licencié, c'est-à-dire à Wendisch-Faetrictz, en Styrie; je suis ensuite resté pour mon plaisir à Gratz ou aux environs, à peu près six ou neuf mois, attendant des nouvelles de mon grand-père le prince de Condé, qui était passé en Angleterre, et devait m'informer du traitement que cette puissance me ferait. Dans cet intervalle, j'ai demandé au cardinal de Rohan la permission d'aller dans son pays, à Ettenheim, en Brisgaw, ci

devant évêché de Strasbourg; depuis deux ans et demi, Mars 1804. je suis resté dans ce pays. Depuis la mort du cardinal, j'ai demandé à l'électeur de Bade, officiellement, la permission de séjourner sur ses terres; elle m'a été accordée. »>

Le prince ajouta : « Je ne suis jamais allé en Angleterre cette puissance m'alloue une pension; je n'ai que cela pour vivre. Comme les raisons qui m'avaient déterminé à rester à Ettenheim ne subsistaient plus, je me proposais de me fixer à Fribourg, en Brisgaw. »

Aux questions qui lui furent encore posées, le duc d'Enghien répondit : « J'ai entretenu fort naturellement des correspondances avec mon grand-père et mon père. A l'armée de Condé, je commandais l'avantgarde en 1796. Avant cette campagne, je servais comme volontaire; depuis la même époque, j'ai été nommé par l'Empereur colonel d'un régiment de dragons composé d'émigrés, et c'est en cette qualité que je suis revenu aux armées du Rhin. Je n'ai, je crois, jamais vu Pichegru; je n'ai point eu de relation avec lui; je sais qu'il a désiré me voir. Je me loue de ne pas l'avoir connu, d'après les vils moyens dont on dit qu'il a voulu se servir, s'ils sont vrais. Je ne connais pas davantage Dumouriez. Enfin, depuis la paix, je n'ai entretenu aucune correspondance politique avec les amis que j'avais en France. » Et comme l'interrogatoire venait d'être clos, le prince, avant de signer, dit au capitaine Dautancourt: « Je fais avec instance la demande d'avoir une audience particulière du premier consul. Mon nom, mon rang, ma façon de pen

REVOL. FRANC.

CONSULAT. II.

22

Mars 1804. ser, et l'horreur de ma situation, me font espérer qu'il ne se refusera pas à ma demande. » Cette dernière prière d'un Bourbon ne fut point transmise au premier consul; Bonaparte avait donné ordre de juger le prince sans désemparer: il ne fut que trop fidèlement obéi. Il est bien vraisemblable que l'entrevue que sollicitait le duc d'Enghien aurait sauvé ce prince. Les coupables amis du premier consul crurent le servir en évitant de le placer dans la nécessité de faire grâce.

Séance de la

Il était deux heures du matin, par une froide nuit commission du mois de ventôse. La commission militaire étant

militaire

pour juger le

duc

d'Enghien.

assemblée assemblée, on fit comparaître le duc d'Enghien. Certes, ce serait un bien étrange tableau que celui de ce drame nocturne dont les acteurs étaient réunis, sous les voûtes de Vincennes, autour d'une table ronde, dans une vaste salle qu'éclairaient à peine des chandelles placées dans des lanternes de fer ou d'étain. Le prince était assis dans un fauteuil de cuir, en face des juges: le colonel Savary assistait à la séance, le dos tourné contre la cheminée. Quelques soldats et gendarmes formaient tout l'auditoire.

Le conseil de guerre se composait des militaires dont les noms suivent:

Le général, Hullin, commandant les grenadiers à pied de la garde des consuls, président;

Le colonel Guitton, commandant le premier régiment de cuirassiers;

Le colonel Bazancourt, commandant le quatrième régiment d'infanterie légère;

Le colonel Favier, commandant le dix-huitième régiment d'infanterie de ligne;

Le colonel Rabbe, commandant le deuxième régi- Mars 1804. ment de la garde municipale de Paris;

Le colonel Barrois, commandant le quatre-vingtseizième de ligne;

Le citoyen Dautancourt, major de la gendarmerie d'élite, et capitaine rapporteur.

Sur leurs visages sévères on lisait que ces hommes, habitués à la mort, seraient inflexibles et sans pitié. Le président Hullin, qui depuis fut comte de l'empire et gouverneur de Paris, parlait d'une voix dure et menaçante. Hullin était ce sous-officier des gardes françaises que nous avons vu au premier rang des vainqueurs de la Bastille. Quinze ans après, le quatorze juillet, il aspirait encore à frapper la royauté et les Bourbons. Lorsque la Bastille fut prise, jeune et hardi, il avait réussi à sauver des victimes : le 30 ventôse, il avait changé de rôle.

roi,

[ocr errors]

Les questions portèrent sur des faits invoqués par l'accusation. « Avez-vous pris les armes contre la république? lui dit Hullin. Je les ai portées pour le pour le trône, pour recouvrer le légitime héritage de mes aïeux. Avez-vous conspiré contre les jours du premier consul? Vous êtes-vous lié au complot d'assassinat tramé par Georges? De telles questions, adressées au duc d'Enghien, au petit-fils du grand Condé, sont des outrages. Répondez oui ou non. Je vous ai dit non, monsieur! Pourtant tout le fait croire. Non, monsieur. » Et le prince invoque dans un discours la gloire de ses ancêtres et de son nom. « Monsieur, reprit Hullin, vous prenez soin de nous rappeler votre naissance et votre nom';

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Mars 1804. cela nous importe fort peu. Je vous fais des questions positives, et, au lieu d'y répondre, vous vous jetez dans des digressions tout à fait étrangères. Je vous conseille de chercher d'autres moyens de défense. Prenez-y garde, ceci pourrait tourner mal. Pensezvous nous faire croire que vous ignoriez ce qui se passait en France, quand le monde entier en était plein? Prétendez-vous me persuader, avec votre naissance, sur laquelle vous revenez sans cesse, que vous étiez indifférent aux événements, quand ils pouvaient vous être si profitables? Cela est trop incroyable pour que je puisse me dispenser de vous en faire l'observation. Je vous le répète, faites-vous d'autres moyens de défense; vous ne sauriez trop y réfléchir, monsieur. » Le duc d'Enghien protesta une fois de plus, et avec le sentiment d'une âme indignée, que ses réponses étaient vraies, et qu'il ne chercherait pas ailleurs que dans la vérité les moyens de justifier sa conduite. L'interrogatoire se prolongea quelque temps encore le duc d'Enghien reconnut de nouveau la part qu'il avait prise aux guerres soutenues contre la France, et le général Hullin annonça que les débats étaient clos.

Condamnation

du duc

Le prince fut reconduit à sa chambre. Une demiet supplice heure s'était à peine écoulée, lorsque le gouverneur d'Enghien. Harrel, une torche à la main, se présenta à lui et l'invita à le suivre. Harrel parlait d'une voix éteinte :

[ocr errors]

Où me conduisez-vous? lui dit le prince.

Mon

sieur, répondit Harrel, veuillez venir avec moi, et rappelez tout votre courage. » Le trajet était long; au milieu des corridors obscurs et tortueux, le prince,

« PreviousContinue »