Page images
PDF
EPUB

Avril 1804, lation appréciait dignement, après huit ans de guerre, les bienfaits de la paix et de l'ordre. Le vice-président de la république italienne était M. Melzi. Bien qu'il exerçât ses fonctions au nom de Bonaparte et sous la protection de la France; il était secrètement animé d'un esprit de patriotisme qui faisait de lui un mauvais instrument, sinon un agent douteux. C'est pourquoi il entretenait habilement, et sans trop se compromettre, le sentiment de nationalité qui rendait à l'Italie fort amère la domination de la France. Le premier consul entrevoyait cette disposition du vice-président, et, fort naturellement, il témoignait à M. Melzi beaucoup de réserve et de froideur.

Promulgation du

En France, le code civil, le code civil, laborieusement entrepris code civil. depuis quelques années, venait enfin d'être terminé : cette œuvre de puissance et de travail était acceptée par le pays avec une grande faveur; les autres peuples nous l'envient à juste titre.

Tout se pré

pare

ment de

au trone.

Bonaparte était sûr du pays et de l'armée; et cepour l'avène- pendant il attendait avec impatience que les assemBonaparte blées constitutionnelles, dominées par l'opinion, vinssent déposer à ses pieds la couronne. Il ne voulait point tenir le sceptre des mains de l'armée. C'était assez pour lui d'avoir employé la force des baïonnettes dans l'orangerie de Saint-Cloud; les 18 brumaire ne se tentent que lorsqu'il est impossible d'arriver au même résultat par des arrangements pacifiques. Bo naparte savait bien qu'une couronne, lorsque la garde prétorienne est toute seule à la décerner, n'est qu'un enjeu offert à l'ambition de chaque soldat; et il voulait fonder une dynastie durable, et au-dessus des ha

sards d'un coup de main militaire. Le sénat, le corps Avril 1804. législatif, le tribunat, également subjugués par l'admiration ou la crainte, ne demandaient pas mieux que de s'associer à l'inauguration du trône; mais ils attendaient un prétexte, et le temps se passait. Enfin l'occasion parut se présenter, sinon d'appeler Bonaparte au trône, du moins de le mettre en demeure de le demander. Le premier consul venait de faire communiquer au sénat les pièces diplomatiques et les documents confidentiels qui attestaient l'existence de la conspiration du ministère anglais et des émigrés contre sa vie. La commission chargée d'en faire le rapport proposa de porter au chef de la république une adresse de félicitations. Fouché, toujours habile, s'écria que ce n'était point assez, et qu'il fallait enfin assurer l'existence du gouvernement au delà même de la vie du premier consul. C'était demander, en faveur de Bonaparte, l'hérédité du pouvoir; et le sénat prescrivit à son président, le consul Cambacérès, de présenter sans retard au chef de l'État une adresse qui renfermait les passages suivants :

« A la vue d'attentats dont la Providence a sauvé un héros nécessaire à ses desseins, une première. réflexion a frappé le sénat.

[ocr errors]

Quand on médite votre perte, c'est à la France qu'on en veut. Les Anglais et leurs complices disent que votre destinée est celle du peuple français. Si leurs exécrables projets avaient pu réussir, ils ne se doutent pas de la vengeance épouvantable que ce peuple en aurait tirée ! Le ciel préservera la terre de la nécessité où seraient les Français de punir un

sénat

Adresse du au premier

consul.

Avril 1801, crime dont les suites bouleverseraient le monde. Mais ce crime a été tenté, mais il peut l'être encore: nous parlons de vengeance, et nos lois ne l'ont pas prévue.

[ocr errors]

Oui, citoyen premier consul, le sénat doit vous le dire.

«En réorganisant notre ordre social, votre génie supérieur a fait un oubli qui honore la générosité de votre caractère, mais qui augmente peut-être vos dangers et nos craintes. Toutes nos constitutions, excepté celle de l'an VIII, avaient organisé ou une haute cour ou un jury national. Vous avez eu la confiance qu'un pareil tribunal ne serait pas nécessaire, et la postérité, qui doit vous tenir compte de tout ce que vous avez fait, vous comptera aussi ce que vous n'avez pas voulu prévoir.

[ocr errors]

Mais, citoyen premier consul, vous vous devez à la patrie; vous n'êtes point le maître de négliger votre existence: et le sénat, qui, par essence, est le conservateur du pacte social de trente millions d'hommes, demande de leur part que la loi s'explique sur le mier objet de cette conservation.

[ocr errors]

pre

Citoyen premier consul, un grand tribunal assurera, d'une part, la responsabilité des fonctionnaires publics, et de l'autre il offrira aux conspirateurs un tribunal tout prêt, tout investi de la consistance et des pouvoirs nécessaires pour maintenir la sûreté et l'existence d'un grand peuple, attachées à la sûreté, à l'existence de son chef.

[ocr errors]

Mais ce jury national ne suffit pas encore pour assurer en même temps et votre vie et votre ouvrage,

si vous n'y joignez pas des institutions tellement com- Avril 1804. binées que leur système vous survive. Vous fondez une ère nouvelle, mais vous devez l'éterniser : l'éclat n'est rien sans la durée.

« Nous ne saurions douter que cette grande idée ne vous ait occupé, car votre génie créateur embrasse tout et n'oublie rien. Mais ne différez point.

[ocr errors]

Vous êtes pressé par le temps, par les événements, par les conspirateurs, par les ambitieux; vous l'êtes, dans un autre sens, par l'inquiétude qui agite tous les Français. Vous pouvez enchaîner le temps, maîtriser les événements, mettre un frein aux conspirateurs, désarmer les ambitieux, tranquilliser la France entière en lui donnant des institutions qui cimentent votre édifice, en prolongeant pour les enfants ce que vous fîtes pour les pères.

[ocr errors]

Citoyen premier consul, soyez bien assuré que le sénat vous parle ici au nom de tous les citoyens : tous vous admirent et vous aiment, mais il n'en est aucun qui ne songe souvent avec anxiété à ce que deviendrait le vaisseau de la république, s'il avait le malheur de perdre son pilote avant d'avoir été fixé sur des ancres inébranlables. Dans les villes, dans les campagnes, si vous pouviez interroger tous les Français l'un après l'autre, il n'y en a aucun qui ne vous dît, ainsi que nous : Grand homme, achevez votre ouvrage, en le rendant immortel comme votre gloire! Vous nous avez tirés du chaos du passé, vous nous faites bénir les bienfaits du présent, garantissez-nous l'avenir!

« Dans les cours étrangères, la saine politique vous

RÉVOL. FRANC.

CONSULAT. II.

23

Avril 1804.

Manifestations

de toutes

le même sens.

tiendrait le même langage. Le repos de la France est le gage assuré du repos de l'Europe.

[ocr errors]

Telles sont, citoyen premier consul, les observations que le sénat a cru devoir vous présenter. Après vous avoir exprimé ce vœu national, il vous répète, en son nom et au nom du peuple français, que dans toutes les circonstances, et aujourd'hui plus que jamais, le sénat et le peuple ne font qu'un avec vous. »

Ce langage ne laissait aucune incertitude sur son sens véritable. Bien que le mot d'hérédité ne fût pas encore prononcé, on ne pouvait se méprendre qu'il s'agissait de substituer au consulat à vie un pouvoir héréditaire. Le premier consul, après avoir pris un mois pour réfléchir, comme s'il avait voulu avoir le temps d'étudier l'opinion publique, répondit au sénat que son adresse avait été l'objet de ses méditations; et que, pour assurer sans retour le triomphe de la liberté et de l'égalité publiques, il jugeait nécessaire de perfectionner les institutions existantes. En terminant, il invita le sénat à faire connaître sa pensée tout entière.

Pendant que le sénat, dont l'opinion était arrêtée provoquées d'avance, affectait des retards et des lenteurs, comme parts dans pour donner plus de poids à sa décision prochaine, le pays, l'armée, les corps constitués obéissaient à un mot d'ordre et manifestaient une pensée unanime. Le journal officiel renfermait chaque jour une multitude d'adresses émanant des régiments, des préfectures, des corps municipaux, des tribunaux, des comices de toute nature, et dans lesquelles, après avoir remercié Dieu de ce qu'il avait soustrait Bonaparte

« PreviousContinue »