Page images
PDF
EPUB

Avril 1804. pour les intérêts et les idées de la révolution! » Réal, Boulay de la Meurthe et Bérenger, sans repousser la proposition d'hérédité, la considérèrent comme prématurément soulevée. Sept voix seulement formèrent la minorité républicaine.

On arrête

en

que le

nouveau souverain

prendra le

titre

De quel titre revêtirait-on l'hérédité du chef de conseil privé l'État? Les uns, et c'était le plus grand nombre, demandaient que Bonaparte fût nommé roi; mais le premier consul jugeait avec raison que cette dénomid'empereur. nation serait vue avec défaveur. Lorsque la république romaine, pour son malheur, se transforma en monarchie, nul n'osa lui imposer un roi. Au lieu de ce titre vieilli, et que les instincts populaires repoussaient, on préféra la dénomination d'empereur (imperator), qui n'impliquait point une souveraineté civile, mais un vaste commandement militaire. Bonaparte aimait à citer ce précédent d'ailleurs, la dignité d'empereur est compatible, au moins dans la forme, avec l'existence d'un gouvernement républicain. Rien ne s'opposait à ce qu'on maintînt la république en lui donnant un empereur pour chef. Que si l'on s'étonnait de la grandeur de ce titre, ne fallait-il pas considérer que l'Allemagne et la Russie avaient chacune son empereur, et que la France, la dominatrice du continent, pouvait bien s'égaler à elles? Charlemagne avait régné sur nous comme empereur: Bonaparte devait-il se résigner à une dignité moins haute? Restait à définir l'empire. Beaucoup voulaient que le vieil empire des Gaules, ce rêve de nos ancêtres, cette glorieuse chi-, mère de Velléda la druidesse, fût exhumé des souvenirs de l'histoire, et reconstitué par le premier consul.

Cette idée était chère à Bonaparte, mais il redou- Avril 1804. tait, à juste titre, un nom nouveau qui exigeait, pour être compris, un effort de la pensée, et que les traditions du peuple ne légitimaient pas. On décida que les noms de France et de Français seraient mainte

nus.

Les moments étaient comptés : le sénat se préparait à faire connaître au premier consul que les vœux de la nation l'invitaient à se revêtir de la dignité impériale. Mais cette négociation fut tenue secrète; elle ne reçut du moins aucune publicité officielle. De part et d'autre, on désirait réserver au tribunat l'initiative de ce grave changement.

Dans la séance du 10 floréal (30 avril), le tribun Curée demanda la parole. Curée était un homme fort obscur, qui cependant avait siégé à l'assemblée législative et à l'assemblée nationale; membre du conseil des cinq cents au 18 brumaire, il s'était montré partisan du coup d'État tenté dans l'orangerie de SaintCloud; depuis lors, il avait siégé au tribunat, et on voyait en lui l'un des affidés de la Malmaison. Lorsqu'il parut à la tribune, chacun connaissait la motion qu'il venait défendre, et le plus profond silence s'établit. Le tribun prit la parole; il fit un long exposé historique des événements accomplis en France depuis quinze ans, et des services que le premier consul avait rendus à la France. Repassant. ensuite les dangers anciens et récents qui avaient menacé cette tête illustre, il demanda, au nom de la liberté, de l'égalité et de la sécurité de la France, que le trône fût relevé au profit d'une quatrième dynastie. << Hâtons-nous,

[blocks in formation]

Avril 1804. dit-il, de demander l'hérédité de la suprême magistrature; car en votant l'hérédité d'un chef, comme disait Pline à Trajan, nous empêchons le retour d'un

maître.

« J'insiste pour que nous portions au sénat un vœu qui est celui de toute la nation, et qui a pour objet : « 10 Que NAPOLÉON BONAPARTE, actuellement premier consul, soit déclaré EMPEREUR, et, en cette qualité, demeure chargé du gouvernement, de la république française;

« 20 Que la dignité impériale soit déclarée héréditaire dans sa famille;

«30 Que celles de nos institutions qui ne sont que tracées soient définitivement arrêtées.

Tribuns, il ne nous est plus permis de marcher lentement. Le temps se hâte; le siècle de Bonaparte est à sa quatrième année, et la nation veut un chef aussi illustre que sa destinée. »

A ces mots, le cri de Vive l'Empereur! ce cri inconnu à la France depuis l'ère carlovingienne, retentit dans l'enceinte du palais des tribuns. Tous les membres de cette assemblée, sauf quelques exceptions bien rares, s'étaient fait inscrire pour prendre la parole l'assemblée, pour abréger, avait fait désigner par une commission ceux des orateurs qui seOpinion raient entendus. Le premier qui parla fut Siméon : Siméon. après l'ancien conventionnel Curée, on allait ouïr l'un des royalistes proscrits au 18 fructidor; mais tous deux se rencontrèrent sur le même terrain.

de

:

«De grands hommes, dit Siméon, fondent ou rétablissent les empires. Ils transmettent à leurs héritiers

leur gloire et leur puissance; le gouvernement se per- Avril 1804. pétue paisiblement dans leur famille, tant qu'elle produit des sujets capables ou que de bonnes et fortes institutions aident les talents.

[ocr errors]

Lorsque les institutions s'affaiblissent, et que la famille dégénérée ne peut plus soutenir le poids des affaires publiques, une autre famille s'élève. C'est ainsi que l'empire français a vu les descendants de Mérovée remplacés par ceux de Charlemagne, et ces derniers par ceux de Hugues Capet. C'est ainsi que les mêmes causes et des événements à peu près semblables, car rien n'est nouveau sous le soleil, nous amènent une quatrième dynastie. La troisième n'avait pas eu d'autres titres ni de plus grands droits.

« Nous possédons un homme auquel s'applique ce que Montesquieu a dit de Charlemagne : « Jamais prince ne sut mieux braver les dangers; jamais prince «< ne sut mieux les éviter. Il se joua de tous les périls, « et particulièrement de ceux qu'éprouvent presque toujours les grands conquérants, je veux dire les conspirations.

[ocr errors]

Quand Pépin, dit encore Montesquieu, fut couronné, ce ne fut qu'une cérémonie de plus et un « fantôme de moins. Il n'acquit rien par là que des « ornements; il n'y eut rien de changé dans la nation.

[ocr errors]

[ocr errors]

Quand les successeurs de Charlemagne perdirent la suprême puissance, Hugues Capet tenait les deux « clefs du royaume. On lui déféra une couronne qu'il « était seul en état de défendre. »

<< Tribuns! nous sommes dans les mêmes circons

Avril 1804. tances. Qu'on ne se trompe pas, en regardant comme une révolution ce qui n'est qu'une conséquence de la révolution. Nous la terminerons : rien ne sera changé dans la nation. Nous passerons d'un gouvernement au même gouvernement, si ce n'est qu'avec un titre plus conforme à notre grandeur, plus analogue à celui dont les autres peuples ont décoré leurs chefs, il acquerra la force de la perpétuité et la sécurité de l'avenir, autant qu'il est au pouvoir des hommes de s'en rendre maîtres par de sages précautions. »

Opinion de Gillet.

Ce discours produisit une impression profonde; il était comme l'adhésion de l'ancienne école monarchique constitutionnelle à l'avénement d'une nouvelle dynastie. Le tribun Gillet, du département de Seineet-Oise, parla dans le même sens; le discours de cet orateur se termina ainsi :

[ocr errors][merged small][merged small]

Il fallait qu'au milieu d'elle se montrât un homme capable d'imposer à toutes les passions par l'élévation de son âme, à la renommée par la hauteur de ses actions; intrépide dans les dangers, inébranlable parmi les bouleversements des empires; assez pénétrant pour découvrir au milieu des ruines les germes d'une prospérité nouvelle; assez prudent pour ne point devancer leur maturité; infatigable dans tous les genres de travaux; ardemment épris de cette véritable gloire qui veut que la force ne soit employée qu'au repos des peuples, et la politique qu'à leur bonheur.

<< Cet homme, la France l'a trouvé dans NAPOLÉON BONAPARTE.

« PreviousContinue »