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Si donc il est vrai que ses nobles services éga- Mai 1804. lent en nombre et en éclat tous ceux qui ont élevé autrefois des héros pour l'instauration d'un nouvel ordre dans l'État; si, comme Pépin de Héristal, il a su calmer les mécontentements et les troubles; si, comme Charles Martel, il a brisé l'effort des guerres ennemies, et rendu son nom fameux jusque chez les peuples de l'Orient; si, comme Pépin le Bref, il a rétabli l'union entre la puissance civile du gouvernement et la puissance morale de la religion; si, comme Charlemagne, il a été le vainqueur de l'Allemagne, le protecteur de l'Italie, le législateur de la France, l'honneur des guerriers, l'émule des savants, le restaurateur de l'instruction publique; si, avec une pensée plus vaste et une puissance plus haute que les fils de Robert le Fort, il a opposé enfin une digue aux attaques des peuples maritimes que la cupidité a rendus dévastateurs; s'il reproduit en lui tous les titres qu'a sanctionnés la nation dans les régénérateurs de ses dynasties, tribuns, hésiteriez-vous à voter pour ce qu'une nouvelle dynastie commence sous les auspices de son génie et sous l'augure de sa gloire?... J'appuie la motion d'ordre. »

Les orateurs se succédaient rapidement, et chacun d'eux, lorsqu'il descendait de la tribune après avoir émis un vote favorable, était accueilli par les cris de Vive Napoléon! vive l'Empereur! Quand ce fut le tour de Jaubert, ce tribun parla en ces termes : « En France, la doctrine de l'hérédité est nationale; j'en appelle aux quatorze siècles qui nous ont précédés, et aux cahiers des assemblées bailliagères, véritable ex

Opinion

de Jaubert.

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Mai 1804. pression de la volonté du peuple. Par le choc de diverses passions, le trône disparut... les amis de la patrie n'en conservaient pas moins dans leur conscience la tradition des siècles et de l'expérience, sur la nécessité d'un pouvoir héréditaire à la tête d'une grande nation... Que voulions-nous en 1789? L'intervention de nos délégués dans la création de l'impôt, l'abolition du régime féodal, de toute distinction outrageante, la réforme des abus, le culte de toutes les idées libérales. Tel fut le vœu de tous les Français; et ils avaient bien senti qu'il ne pouvait être accompli qu'avec un trône héréditaire et des institutions protectrices des citoyens contre les erreurs de l'autorité, protectrices du trône lui-même contre la faiblesse des gouvernants. »>

Opinion

de Carion

de Nisas.

Ce langage était nouveau, la république apparaissait reniée de tous ceux qui jusqu'alors, soit amour, soit crainte, lui avaient rendu hommage. Le tribun Carion de Nisas fit entendre, en faveur de Bonaparte, un panégyrique plein de louanges exaltées et si nombreuses qu'il dépassa le but. Les hommes de ce temps ne ressemblaient que trop à ceux que Tacite nous signale comme faits pour la servitude; mais l'éloge, dans la bouche de Carion de Nisas, eut quelque chose de nauséabond dont l'auditoire se trouva embarrassé. Carnot seul Alors se leva un homme que ses convictions et ses proposition. services rangeaient au nombre des républicains les plus ardents. Il avait été l'un des fondateurs de la république. Au comité de salut public, il avait siégé avec Robespierre, et revêtu de sa signature les actes de la terreur. Mieux inspiré, il avait créé les qua

combat la

torze armées nationales dont le courage avait sauvé Mai 1804. le territoire; et ces souvenirs, que personne n'osait méconnaître, lui commandaient de tenter un dernier effort en faveur du régime républicain. On va lire son discours; nous avons cru devoir le citer tout entier, parce qu'il fut comme la protestation suprême de la liberté :

<< Citoyens tribuns, parmi les orateurs qui m'ont précédé, et qui tous ont appuyé la motion d'ordre de notre collègue Curée, plusieurs ont été au-devant des objections qu'on pouvait faire contre elle, et ils y ont répondu avec autant de talent que d'aménité : ils ont donné l'exemple d'une modération que je tâcherai d'imiter, en proposant d'autres observations qui m'ont paru leur avoir échappé. Et quant à ceux qui, parce que je combattrai leur avis, pourraient m'attribuer des motifs personnels indignes du caractère d'un homme entièrement dévoué à sa patrie, je leur livre pour toute réponse l'examen scrupuleux de ma conduite politique depuis le commencement de la révolution, et celui de ma vie privée.

« Je suis loin de vouloir atténuer les louanges données au premier consul: ne dussions-nous à Bonaparte que le code civil, son nom mériterait de passer à la postérité. Mais, quelques services qu'un citoyen ait pu rendre à sa patrie, il est des bornes que l'honneur, autant que la raison, impose à la reconnaissance nationale. Si ce citoyen a restauré la liberté publique, s'il a opéré le salut de son pays, sera-ce une récompense à lui offrir que le sacrifice de cette même liberté? Et ne serait-ce pas anéantir son propre ou

Discours

de

Carnot.

Mai 1804. Vrage, que de faire de ce pays son patrimoine particulier?

« Du moment qu'il fut proposé au peuple français de voter sur la question du consulat à vie, chacun put aisément juger qu'il existait une arrière-pensée, et prévoir un but ultérieur.

«En effet, on vit se succéder rapidement une foule d'institutions évidemment monarchiques; mais à chacune d'elles on s'empressa de rassurer les esprits inquiets sur le sort de la liberté, en leur protestant que ces institutions n'étaient imaginées qu'afin de lui procurer la plus haute protection qu'on pût désirer pour elle.

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Aujourd'hui se découvre enfin d'une manière positive le terme de tant de mesures préliminaires : nous sommes appelés à nous prononcer sur la proposition formelle de rétablir le système monarchique, et de conférer la dignité impériale et héréditaire au premier consul.

« Je votai dans le temps contre le consulat à ̧vie : je voterai de même contre le rétablissement de la monarchie, comme je pense que ma qualité de tribun m'oblige à le faire. Mais ce sera toujours avec les ménagements nécessaires pour ne point réveiller l'esprit de parti; ce sera sans personnalités, sans autre passion que celle du bien public, en demeurant toujours d'accord avec moi-même dans la défense de la cause populaire.

« Je fis toujours profession d'être soumis aux lois existantes, même lorsqu'elles me déplaisaient le plus : plus d'une fois je fus victime de mon dévouement

pour elles, et ce n'est pas aujourd'hui que je com- Mai 1804. mencerai à suivre une marche contraire. Je déclare donc d'abord que, tout en combattant la proposition faite, du moment qu'un nouvel ordre de choses sera établi, qu'il aura reçu l'assentiment de la masse des citoyens, je serai le premier à y conformer toutes mes actions, à donner à l'autorité suprême toutes les marques de déférence que commandera la hiérarchie constitutionnelle. Puisse chacun des membres de la grande société émettre un vœu aussi sincère et aussi désintéressé que le mien!

Je ne me jetterai point dans la discussion de la préférence que peut mériter en général tel ou tel système de gouvernement sur tel ou tel autre; il existe sur ce sujet des volumes sans nombre : je me bornerai à examiner en très-peu de mots, et dans les termes les plus simples, le cas particulier où les circonstances nous ont placés.

<< Tous les arguments faits jusqu'à ce jour sur le rétablissement de la monarchie en France se réduisent à dire que sans elle, il ne peut exister aucun moyen d'assurer la stabilité du gouvernement et la tranquillité publique, d'échapper aux discordes intestines, de se réunir contre les ennemis du dehors; qu'on a vainement essayé le système républicain de toutes les manières possibles; qu'il n'est résulté de tant d'efforts que l'anarchie, une révolution prolongée ou sans cesse renaissante, la crainte perpétuelle de nouveaux désordres, et, par suite, un désir universel et profond de voir rétablir l'antique gouvernement hé

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