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saient honte, sur le pavé, aux modestes voitures nu- Janv. 1802. mérotées. Depuis dix ans, notre belle France s'était vue fermée aux voyageurs étrangers; nos ennemis n'y avaient paru que tremblants ou captifs mais après la paix de Lunéville, et lorsque l'Angleterre à son tour, posa les armes, tous les personnages de distinction que renfermait l'Europe accoururent à Paris, pleins de curiosité et saisis d'admiration; surtout ils se montraient avides de connaître quelques détails de la vie et des habitudes du premier consul; ils considéraient avec étonnement ces hommes de guerre devant lesquels les armées de la coalition s'étaient arrêtées ; ils passaient sur ces places publiques à peine déblayées de ruines, et que l'imagination leur représentait comme rouges de sang; puis ils encombraient nos salles de théâtre, nos athénées littéraires, nos musées enrichis par les dépouilles opimes de l'Italie; ils se livraient tumultueusement aux plaisirs, et semaient l'or à pleines mains. Paris, en retour, s'étalait à leurs yeux comme une femme orgueilleuse de sa beauté cette ville était fière du chef de la république; Paris aimait cette vaillante élite d'officiers qui avaient si promptement vieilli sur le champ de bataille, et qui racontaient entre eux leurs homériques combats. On affichait le faste, on se plaisait au luxe, aux pompes militaires, aux représentations théâtrales, non plus comme sous le directoire, alors que le luxe des enrichis ne se composait que de confiscations et d'agiotages, mais parce que la confiance apparaissait avec ses joies et avec ses fêtes, parce que la fortune semblait être devenue la récompense

Janv. 1802. légitime des services rendus, des talents utiles. Le présent était beau l'avenir s'offrait avec ses illusions magiques, avec ses espérances merveilleuses, qui devaient être réalisées et dépassées... seulement pour quelques jours.

Salons de Paris.

Madame Récamier.

Mouvement littéraire sous

le consulat.

Parmi les salons qui s'ouvraient à la foule avide de plaisirs, on citait ceux de l'envoyé de Russie, ceux de M. de Talleyrand, ceux de plusieurs riches habitants de Paris, MM. Perregaux, Séguin, Haingu erlot, et de quelques autres dont le nom échappe à l'histoire. Mais le salon le plus célèbre de cette époque était celui d'un autre banquier, ou plutôt celui de sa femme, madame Récamier, qu'il devrait suffire d'avoir nommée. Aussi remarquable par le charme de ses manières que par l'éclat de sa noble et tranquille beauté, madame Récamier était surtout une femme au cœur dévoué, à l'âme aimante, aux affections pures et généreuses. Sa beauté avait conduit à ses pieds tous les hommes illustres de cette époque, et pas un d'eux n'eut à se vanter d'avoir vu fléchir sa vertu. Ceux qu'elle aima dans la joie et dans la splendeur de ses triomphes, elle leur demeura fidèle dans l'infortune; elle cacha ses qualités avec tout le soin qu'une autre femme met à cacher ses ridicules : naïvement heureuse des hommages qu'on rendait à sa beauté fragile, elle trouva plus de bonheur encore à consoler la misère et à cultiver dans les cœurs forts les semences des amitiés fortes.

Le mouvement littéraire de cette époque est digne de fixer l'attention. Deux écoles étaient en présence, et plus la liberté politique apparaissait comprimée et

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vaincue, plus la pensée se réfugiait dans le domaine Janv. 1802. des lettres pour y trouver un abri. Sous le directoire, la littérature nationale ne s'était révélée que par de faibles et obscures tentatives on s'était borné à rédiger des journaux et des pamphlets, à traduire des romans importés d'outre-mer, à colporter dans les lieux de débauche des livres immoraux ou obscènes. A l'avénement de Bonaparte l'intelligence et le sentiment de l'art réagirent: il était impossible de faire de la littérature un instrument d'opposition ou de destruction sociale; le pays confondait dans une répulsion commune la liberté et la licence. Nos écrivains le déploraient tout bas, et néanmoins ils gagnaient beaucoup à un régime d'ordre et d'obéissance qui les contraignait à se respecter eux-mêmes, à répudier le mauvais goût et la révolte. Pour tout dire en quelques mots, dans la sphère des choses littéraires on voyait s'accomplir un mouvement analogue au mouvement politique de la société : l'ordre et la justice reprenaient le terrain dont ils s'étaient vus déposséder depuis dix ans.

École

philosophi

que.

Il est vrai de dire que la philosophie irréligieuse était plus difficile à détrôner que Babeuf et Barras : l'école du dix-huitième siècle était encore fortement assise sur ses bases; les disciples posthumes de Voltaire occupaient la société comme autant de maîtres légitimes, et ils s'indignaient de ce que le catholicisme tant de fois abattu sous leurs coups osât se relever, et réclamer une place au foyer de la famille commune. Le sceptre des idées était remis à Volney, qui pro- Volney. fessait ouvertement le dogme de la loi naturelle, subs

Cabanis.

Parny.

Janv. 1802. tituée à la révélation; au milieu des ruines amoncelées depuis dix-huit siècles, l'insensé osait prédire la fin de l'Église, qui est établie pour l'éternité. Cabanis, son collègue à l'Institut, mettait les efforts de la Naigeon. science au service. de l'athéisme; Naigeon cherchait une morale en dehors de Dieu; Larevellière-Lépeaux, exclu des temples tant de fois profanés par l'exercice du culte des théophilantropes, se consolait de cette Grégoire. déchéance en rêvant la déification de la nature; Grégoire, autre pontife déchu, s'opiniâtrait dans la glorification du schisme constitutionnel de 1791, dont il allait être, sous peu de semaines, le seul apôtre et le seul fidèle. Parny, qui n'était point encore de l'Institut, continuait à déshonorer son propre talent, à faire une guerre lâche aux proscrits de la veille, à livrer au ridicule ceux que la hache et l'exil avaient épargnés. Poëte immoral et impie, il était prôné, encensé, ras- . sasié d'admiration et d'hommages; et aucune plume alors (tant était redoutable la tyrannie de la mode) n'aurait osé inscrire, sous le nom de cet homme, le trop juste' jugement que par devoir nous formulons aujourd'hui. Disons cependant que Bonaparte, comme restaurateur de la société, méprisait le talent de Parny, et trouvait dangereuse l'action exercée par ses ouvrages sur la littérature et les mœurs.

Le sceptre était donc à l'école de Voltaire; toutes les idées opposées semblaient des nouveautés hardies: Ginguené, Garat, Lakanal, Daunou, Andrieux, François de Neufchâteau, Chénier, leurs disciples moins connus, se chargeaient de prolonger le règne de la philosophie dans la morale de l'école et dans les livres.

La pensée d'une réaction religieuse ne les inquiétait Janv. 1802. guère; cantonnés dans leur triomphe, ils se demandaient avec le sourire du dédain si l'esprit du siècle, en soufflant sur le fanatisme, ne l'avait pas suffisamment desséché et déraciné.

Et déjà, cependant, l'école de la foi et des croyances ouvrait ses chaires et rassemblait ses apôtres : alors commençait, pour se perpétuer dans un long avenir, cette réaction de la pensée contre la matière, de l'idée religieuse contre la négation et l'incrédulité. La France, régénérée par de sanglantes épreuves, se détournait avec terreur des sentiers de l'athéisme, et l'Église plantait de nouveau son drapeau dans le domaine de l'intelligence et de la raison.

Réaction religieuse dans la littérature.

teaubriand.

Un homme qui, de nos jours, s'est éteint au milieu M. de Chades respects d'une seconde république, et dont le grand avenir littéraire commençait avec le consulat, M. François-Auguste de Chateaubriand venait de se placer à la tête de l'école catholique, de se, poser comme le porte-enseigne de la réaction littéraire.

Né à Saint-Malo en l'année qui donna le jour à Walter Scott et à Napoléon, Chateaubriand était fils de cette Bretagne, la mère et la nourrice de tant d'hommes forts. Son enfance avait commencé à poindre dans le vieux donjon de Combourg; du haut des tourelles noircies par le temps qui s'élèvent aux angles de ce château, il n'avait entrevu, durant de longues années, que les éternelles bruyères de sa patrie, croissant sous un ciel grisâtre et monotone. Fils cadet d'une maison noble, oublié par sa famille, il avait aimé

à

promener ses rêveries en face de l'austère Océan;

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