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GODLEM

7 AUG 1935

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DE

LA RÉVOLUTION

FRANÇAISE.

CONSULAT.

LIVRE CINQUIÈME.

que

Situation

intérieure de la France.

Tandis l'ascendant de la France se consolidait Déc. 1801. au dehors, les difficultés politiques n'étaient point encore entièrement aplanies à l'intérieur elles se compliquaient des obstacles qu'opposaient au retour de l'ordre matériel la résistance des partis et les dernières convulsions de la liberté. On se tromperait beaucoup, si l'on allait croire que la république s'était endormie joyeuse et confiante dans les plis du drapeau de Marengo. La presse était sans doute enchaînée; l'agitation des clubs et du forum avait fait place au silence commandé par la crainte; mais les

RÉVOL. FRANÇ.

CONSULAT. II.

1

Déc. 1801. principes vivaient encore; mais la révolution, encore mal muselée, acceptait en frémissant le joug de l'obéissance et les durs essais de la tyrannie. Sous ce rapport, la société du consulat mérite, de la part de l'historien, une étude sérieuse. Il est bon de voir ce qu'elle était en réalité sous la surface officielle.

Les

grands corps

Les grands corps de l'État gardaient chacun la pode l'Etat. sition que leur avaient faite les institutions de l'an VIII politiques et les nécessités politiques. Le sénat, bien qu'il fût

Dispositions

du

sénat.

encore considérable dans l'opinion, n'exerçait en réalité qu'une action assez modeste. Ses membres trouvaient commode d'être préposés à la garde d'une constitution que le pouvoir ne semblait guère menacer; l'exercice de grands droits électoraux ne se produisait que de loin en loin et sans secousses; les sénateurs touchaient de gros traitements sans grandes fatigues. Insensiblement le vice d'une pareille organisation devait se faire sentir; et le temps allait venir, dans les calculs de Bonaparte, où la pompe officielle des mots cesserait de recouvrir des idées impuissantes, de protéger contre le mépris ou l'indifférence un sénat sans souveraineté, sans indépendance, sans initiative. On n'en était point là encore, et le sénat pouvait trouver de nombreuses occasions d'être un instrument utile à la féconde ambition du premier consul. En attendant, un très-petit nombre de sénateurs conservaient silencieusement le culte de la république; le despotisme du sabre les frappait de découragement et de stupeur, mais ne changeait point leur foi ni leurs vieilles sympathies. Tels étaient Monge, Lambrechts, Cabanis, Grégoire, Sieyes lui-même. La

plupart de leurs collègues avaient, comme eux, pris Déc. 1801. part aux travaux des anciennes assemblées nationales; ils avaient siégé à la convention, au conseil des anciens; mais, fatigués par le spectacle des dangers et des luttes, repus largement au banquet social, ils s'étaient résignés au silencieux orgueil de leur position, et pas un ne songeait à entraver la marche du gouvernement consulaire. C'était moins, de leur part, sympathie et enthousiasme que prudence, sagesse ou habitude de la déception. Le sénat avait institué dans son sein une commission en faveur de la liberté de la presse, et une commission destinée à protéger la liberté individuelle; mais ces comités ne prenaient nullement au sérieux leur existence, et les principes qu'ils étaient chargés de garantir n'étaient plus que de vains mots. Beaucoup de sénateurs avaient trempé dans la conspiration du 18 brumaire; écrasés sous le poids de leur œuvre, ils jouissaient de leur fortune présente, en épiant, sans la désirer beaucoup, l'heure où pâlirait l'étoile de Bonaparte.

Le corps législatif était loin d'avoir le sentiment de son impuissance, mais il subissait l'impérieuse tendance de l'opinion; il évitait d'entrer dans le domaine des faits politiques. La France, aussi bien que le premier consul, avait peur de l'indépendance de la tribune et de la liberté du langage; et le corps législatif, partageant cette peur, trouvait dans l'ordre le silence respectueux dont la constitution de l'an VIII lui faisait une loi. Cependant toute vie politique n'était point éteinte dans cette assemblée lorsqu'elle passait au scrutin, un certain nombre de boules noires attes

Corps législatif.

Déc. 1801. taient l'existence d'une opposition timide, mais réelle; elle avait rejeté un projet de loi sur les archives nationales, et un autre projet qui tendait à réduire le nombre des moyens de cassation en matière criminelle ainsi, elle existait autant que peut exister une chambre muette. C'était là que siégeaient Arrighi, le compatriote et l'ami du premier consul; Auguis, silencieux ami de la révolution; Barrot, jurisconsulte habile; Eschassériaux, homme laborieux et capable ; Félix Faulcon, dont le nom, alors obscur, reparaîtra en même temps que la royauté; Girod (de l'Ain), républicain modéré; Grouvelle, ardent patriote; Lacretelle aîné, citoyen probe et consciencieux; Malleins et Pison du Galland, députés de l'Isère; le magistrat Poultier; et, dans la foule de ses trois cents collègues, M. de Vaublanc, qui avait autrefois marqué sur les bancs de l'assemblée législative.

Tribunat.

Tout ce qu'il y avait d'opposition sérieuse dans les régions officielles se concentrait dans l'enceinte du tribunat, et déjà, il faut le dire, les allures vives et hardies de quelques orateurs républicains commençaient à inquiéter Bonaparte. Vainement le tribunat était-il dépouillé par la constitution du droit de rejeter les lois, vainement n'avait-il qu'une voix consultative; comme il était censé représenter la nation, il exerçait une influence assez puissante sur l'opinion: il pouvait au besoin, à la faveur de la paix et grâce à l'éloignement des dangers publics, rendre à la France l'habitude et l'amour de la liberté. On l'avait vu se prononcer contre des lois auxquelles le gouvernement attachait du prix; d'autres lois importantes n'avaient

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