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proférée un jour, qu'avant sa mort, sa dynastie serait la plus ancienne de l'Europe, lui faisait distribuer à ses frères et aux époux de ses sœurs les trônes et les principautés que la victoire et la perfidie mettaient dans ses mains. C'est ainsi qu'il disposa de Naples, de la Westphalie, de la Hollande, de l'Espagne, de Lucques, de la Suède même, puisque c'était le désir de lui plaire qui avait fait élire Bernadotte prince royal de Suède.

Une vanité puérile le poussa dans cette voie qui offrait tant de dangers. Car, ou ces souverains de nouvelle création restaient dans sa grande politique et en devenaient les satellites, et, alors, il leur était impossible de prendre racine dans le pays qui leur était confié; ou ils devaient leur échapper plus vite que Philippe V n'avait échappé à Louis XIV. La divergence inévitable de peuple à peuple altère bientôt les liens de famille des souverains. Aussi, chacune de ces nouvelles créations devint-elle un principe de dissolution dans la fortune de Napoléon. On le retrouve partout dans les dernières années de son règne. Quand Napoléon donnait une couronne, il voulait que le nouveau roi restât lié au système de cette domination universelle, de ce grand empire dont j'ai déjà parlé. Celui, au contraire, qui montait sur le trône, n'avait pas plutôt saisi l'autorité, qu'il la voulait sans partage et qu'il résistait avec plus ou moins d'audace à la main qui cherchait à l'assujettir. Chacun de ces princes improvisés se croyait placé au niveau des plus anciens souverains de l'Europe, par le seul fait d'un décret et d'une entrée solennelle dans sa capitale occupée par un corps d'armée français. Le respect humain qui lui commandait de se montrer indépendant en faisait un obstacle plus dangereux aux projets de Napoléon que ne l'au

rait été un ennemi naturel. Suivons-les un instant dans leur

carrière royale.

Le royaume de Naples, par lequel je commencerai, avait été conféré, ce sont les termes d'alors, le 30 mars 1806, à Joseph Bonaparte l'aîné des frères de l'empereur. On voulut donner à son entrée dans ce royaume l'air d'une conquête, mais le fait est qu'il dut lire avec un peu d'étonnement dans le Moniteur le récit de la soi-disant résistance qu'il avait éprouvée.

Au bout de quatre mois, le nouveau roi était déjà en querelle avec son frère. Joseph ne résida que peu de temps à Naples; les circonstances le conduisirent bientôt en Espagne. Le pouvoir, pendant son séjour à Naples, n'avait été pour lui qu'un moyen d'amusement; et, comme s'il eût été le quinzième de sa race, il regardait comment ses ministres se tireraient, suivant l'expression de Louis XV, des embarras journaliers du gouvernement. Sur le trône, il ne cherchait que les douceurs de la vie privée et les facilités d'un libertinage que de grands noms rendaient brillant.

A Joseph succéda Murat, que son grand-duché de Berg ne contentait plus. Celui-ci n'eut pas plus tôt mis le pied au delà des Alpes que son imagination lui présenta déjà l'Italie entière comme devant être à lui, un jour. Par le traité qui lui assurait la couronne de Naples, il s'était engagé à maintenir la constitution donnée par son prédécesseur Joseph. Mais comme cette constitution n'était encore exécutée que dans sa partie administrative, il laissa de côté le changement des lois civiles et criminelles qu'il avait promis de faire, et il ne se montra pressé que de terminer l'organisation financière du pays. Pour faciliter les recettes, et accroître les revenus, il commença par abolir tous les droits féodaux. Excité par son ministre

Zurlo, il voulut que cette opération, qu'il n'envisageait que du côté fiscal, fût immédiatement consommée. Et la commission instituée à cet effet prononça sur tous les litiges existant entre les seigneurs et les communes, de manière à favoriser les seules communes; et cela se faisait dans le temps même où Napoléon cherchait à refaire en France de l'aristocratie et à créer des majorats. Le résultat de cette opération fut non seulement de dépouiller les barons napolitains de tous les droits féodaux et de toutes les prestations dont ils jouissaient, mais encore de leur enlever, au profit des communes, la plus grande partie des terres, qui se trouvaient indivises depuis plusieurs siècles.

Cette mesure porta un préjudice notable à la fortune des nobles, mais elle rendit plus facile l'assiette de l'impôt, et celuici, plus productif. Aussi, dans l'espace de cinq années, le gouvernement napolitain porta-t-il les revenus publics de quarante-quatre millions de francs à plus de quatre-vingts. Des améliorations réelles dans l'administration, qui furent la suite de la prospérité du trésor, dirigé par les mains habiles de M. Agar, créé depuis comte de Mosbourg 2, apaisèrent les pre

1. Giuseppe, comte Zurlo, né en 1759 à Naples, fut nommé directeur des finances en 1798. En 1806, il suivit le roi Ferdinand à Palerme, mais se rallia en 1809 à Murat, devint conseiller d'État, ministre de la justice et des cultes, et ministre de l'intérieur. En 1815 il se réfugia à Rome, revint à Naples en 1820, fut nommé ministre de l'intérieur, mais dut se retirer la même année. Il mourut en 1828.

2. Michel Agar, comte de Mosbourg, né en 1771 près de Cahors, fut d'abord avocat, puis professeur dans cette ville. En 180 il entra au Corps législatif, devint en 1806 ministre des finances de Murat, son compatriote, qui venait d'être nommé grand-duc de Berg, et l'accompagna en la même qualité à Naples. Il vécut dans la retraite sous la Restauration, fut nommé député du Lot en 1830, et pair de France en 1837. Il mourut en 1844.

miers mécontentements du pays et les empêchèrent d'arriver jusqu'à Napoléon, qui, du reste, était disposé à l'indulgence pour Murat. Il voyait encore tant d'argile en lui, qu'il était flatté de ce qu'il lui rappelait à chaque moment une de ses créations. Il lui passa mille choses inconvenantes et quelquesunes même assez graves avant de lui faire des reproches. Il fallut bien cependant éclater lorsque Murat ordonna que les Français, qui, avec l'autorisation de l'empereur, se trouvaient au service de Naples, lui prêtassent serment de fidélité et se fissent naturaliser dans le pays. Tous furent indignés de cette exigence; et Napoléon, poussé à bout, manifesta son mécontentement avec sa violence accoutumée. Il ordonna de réunir dans un camp, à douze lieues de Naples, les troupes françaises qui se trouvaient dans le royaume ; et, de ce camp, il fit déclarer que tout citoyen français était de droit citoyen du royaume de Naples, parce que, aux termes de son institution, ce royaume faisait partie du grand empire.

Murat, qui, dans un moment de fougue, s'était laissé entraîner à une démarche aussi imprudente, se persuada que jamais l'empereur ne la lui pardonnerait et qu'il n'avait d'autre parti à prendre que de chercher sa sûreté dans un accroissement de puissance; dès lors, il ne s'occupa plus que des moyens d'envahir toute l'Italie. La réunion à l'empire français de la Toscane, de Rome, de la Hollande, des villes hanséatiques, avait déjà jeté beaucoup d'inquiétude dans son esprit. L'emploi, non défini, de ce mot de grand empire, qu'il venait d'entendre au milieu de ses États, le troubla complètement, et il commença à dévoiler ses vues ultérieures.

La reine, qui partageait jusqu'à un certain point les craintes

de Murat, n'était cependant pas du même avis que lui sur la manière d'échapper aux projets que pouvait avoir son frère. Elle croyait que c'était un mauvais moyen pour conserver une domination aussi peu affermie, que de chercher à l'étendre.

L'arrivée du maréchal Pérignon1 à Naples, pour y prendre le gouvernement de la ville, légitima aux yeux de Murat les extrémités auxquelles il pourrait se porter. Et bientôt, les événements de l'Europe, en ranimant ses espérances d'ainbition et de vengeance, donnèrent plus d'activité à ses combinaisons. Dans sa double pensée d'échapper à l'influence française et d'étendre sa domination en Italie, il ne s'occupa que d'augmenter son armée et de chercher à entamer quelques négociations avec l'Autriche, qui était elle-même effrayée de plus en plus de la politique envahissante du gouvernement français. La reine se chargea d'écrire à M. de Metternich, sur lequel elle croyait avoir conservé de l'influence et dont elle avait éprouvé la discrétion. Le roi, d'un autre côté, conduisait secrètement une négociation avec les autorités anglaises et particulièrement avec lord William Bentinck 2 qui se trouvait

1. Dominique, comte, puis marquis Pérignon, était officier sous l'ancien régime. Député à l'Assemblée législative, puis commandant d'une légion à l'armée des Pyrénées, il succéda à Dugommier dans le commandement en chef. Membre du conseil des Cinq-cents en 1795, ambassadeur à Madrid en 1796, il fut ensuite placé à la tête d'un corps de l'armée d'Italie, mais fut blessé et pris à Novi. Il entra au Sénat en 1801, fut nommé maréchal de France en 1804, gouverneur de Parme et de Plaisance, et enfin commandant en chef des armées du royaume de Naples. Il fut créé pair de France en 1814 et mourut en 1818.

2. Lord William Cavendish Bentinck (1774-1839), fils du duc de Portland, entra à l'armée, devint gouverneur de Madras en 1803 et général major en 1808. En cette qualité il fit les campagnes de Portugal et d'Espagne. En 1811, il fut nommé commandant en chef des troupes anglaises en Sicile. En 1827, Bentinck fut nommé gouverneur du Bengale, puis gouverneur général de l'Inde. Il fut rappelé en 1835.

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