Page images
PDF
EPUB

économies qu'il annonçait, et une forte diminution dans les impôts. Dans ses proclamations, tous les moyens révolutionnaires étaient mis en mouvement. Les cortès de Cadix, pour en détruire l'effet, firent immédiatement assaut de libéralisme avec Joseph, et allèrent sur tous les points plus loin qu'il n'avait fait. On ne vit plus que décrets de Cadix, supprimant l'inquisition, supprimant les droits féodaux, les privilèges, les entraves de province à province, la censure des journaux, etc... Et du milieu de ces ruines, on fit sortir une constitution toute démocratique, dans laquelle cependant, pour ne pas trop effrayer les amis de la monarchie, on avait placé un roi héréditaire. Mais aucun roi n'aurait pu avec dignité, ni même avec sûreté, occuper un pareil trône. Les cortès de Cadix auraient été mieux avisées en rétablissant les lois fondamentales de l'Espagne, si habilement minées et finalement détruites par les rois de la maison d'Autriche.

Au travers de toutes ces menées, lord Wellington pénétrait en Espagne; il enlevait Badajoz au duc de Dalmatie1 et CiudadRodrigo au duc de Raguse 2. Maître de ces deux clefs de l'Espagne aux extrémités nord et sud de la frontière du Portugal, le général anglais trompa habilement le duc de Dalmatie, en lui faisant croire qu'il voulait déboucher en Andalousie, tandis qu'il se porta sur le Duero, vers Valladolid. Le duc de Raguse, de son côté, sans attendre un renfort de quinze mille hommes qui était à sa portée, laissa engager la bataille des Arapiles3, où, en arrivant sur le terrain, il reçut

1. Le maréchal Soult.

2. Le maréchal Marmont.

3. Village d'Espagne, près de Salamanque. La bataille est du 21 juillet 1812.

une blessure grave. L'armée, sans chef, dès le premier coup de feu, fut cruellement battue. Lord Wellington qui, à la suite de ses succès, s'était d'abord trop avancé vers le nord, n'hésita pas, en homme prudent, à adopter une marche rétrograde; il rentra en Portugal, d'où le firent de nouveau sortir, en 1812, les désastres fameux de la campagne de Russie, qui obligèrent l'empereur Napoléon à rappeler près de lui les meilleures troupes qui restaient en Espagne.

La première nouvelle de ces désastres avait augmenté le désordre que des chefs trop nombreux et peu soumis fomentaient autour de Joseph: la perte de la fatale bataille de Vittoria en fut la suite. Le duc de Dalmatie, renvoyé à toute course en Espagne, chercha à réunir les débris de l'armée. Il fit des marches savantes, mais ce n'était plus que pour disputer à son habile adversaire les provinces méridionales de la France. C'est ainsi que se termina cette grande conquête de l'Espagne aussi mal conduite que perfidement conçue; et je dis mal conduite, non seulement par les généraux de Napoléon, mais par lui-même. Car lui aussi avait commis de graves fautes militaires en Espagne. Si, à la fin de 1808, après la capitulation de Madrid, au lieu de se lancer à la poursuite d'un corps anglais qui courait s'embarquer à la Corogne, et auquel il ne fit que peu de mal, il avait marché sur l'Andalousie et y avait frappé un grand coup, il aurait désorganisé la résistance des généraux espagnols, qui n'auraient plus eu que la ressource de se retirer en Portugal.

1. Ville d'Espagne, chef-lieu de la province d'Alava. La bataille est du 21 juin 1813.

L'empereur, ayant une fois perdu de vue les vrais intérêts de la France, s'était livré, avec l'irréflexion et l'ardeur de la passion, à l'ambition de placer encore un membre de sa famille sur l'un des premiers trônes de l'Europe, et, pour y parvenir, il attaqua l'Espagne sans pudeur, et sans le moindre prétexte à faire valoir: c'est ce que la probité des peuples ne pardonne jamais. Lorsqu'on étudie toutes les actions ou plutôt tous les mouvements de Napoléon à cette époque si importante de sa destinée, on arrive presque à croire qu'il était entraîné par une sorte de fatalité qui aveuglait sa haute intelligence.

Si l'empereur n'avait vu dans l'Espagne, qu'un terrain sur lequel il pouvait forcer l'Angleterre à la paix, faire décider toutes les grandes questions politiques pendantes alors en Europe, et assurer à chaque souverain un état de possession solidement garanti, son entreprise n'en serait pas plus justifiable; mais, du moins, elle aurait été plus conforme à la politique hardie des conquérants. J'ai rencontré quelques personnes qui ne le connaissaient pas, et dont l'esprit, comme celui de nos vieux diplomates, élant porté à juger théoriquement des événements, lui supposaient cette intention. Et, en effet, les transactions de Bayonne étant révocables à volonté, on pouvait les regarder comme un sacrifice bon à faire en temps utile, à la pacification générale de l'Europe: mais, depuis le mois d'avril 1812, tous les faiseurs de combinaisons politiques ont été obligés d'abandonner cette hypothèse; car, à cette époque, Napoléon refusa les ouvertures du cabinet britannique, qui déclarait n'apercevoir aucune diffi culté insurmontable à s'arranger avec lui, sur tous les points en litige, s'il admettait pour préalable le rétablissement de

Ferdinand VII sur le trône d'Espagne, et celui de VictorAmédée sur le trône de Sardaigne. S'il eût accepté ces propositions, il se serait aisément fait alors un titre puissant de ses sacrifices, et tous les cabinets auraient pu croire qu'il n'avait envahi l'Espagne que dans l'espoir de faire jouir la France d'une paix durable, et d'affermir sa dynastie.

Mais, depuis longtemps, il ne s'agissait plus pour Napoléon de la politique de la France, à peine de la sienne. Il ne songeait pas à maintenir, il ne pensait qu'à s'étendre. Il semblait que l'idée de conserver n'était jamais entrée dans son esprit et que son caractère la repoussât.

Néanmoins, ce qu'il ne sut pas faire en temps utile, il fut forcé de le faire lorsqu'il était trop tard, et sans aucun profit pour sa puissance et pour sa gloire. Le renvoi des princes d'Espagne à Madrid au mois de janvier 1814, et celui du pape à Rome à la même époque, n'ont été que des expédients inspirés par la détresse; et la façon subite, furtive même, dont ces mesures furent prises et exécutées, leur ôta tout prestige de grandeur et de générosité. Mais je m'aperçois que je parle du retour du pape dans ses États, sans que nos affaires avec la cour de Rome aient trouvé leur place dans ce récit. C'est cependant un événement trop remarquable de notre temps pour que je ne doive pas en donner ici les détails.

Les contestations qui s'élevèrent entre Napoléon et la cour de Rome, peu après le concordat de 1801, s'aigrirent encore après le sacre, deux événements qui auraient dû les prévenir. Ces contestations ne furent longtemps connues que par le bruit des violences de l'empereur envers le pape et par les nobles plaintes du Saint-Père, qui ne parvenaient que très difficilement et très confusément au public. Leur origine et

leurs causes auraient pu être mieux appréciées pour ce qui concernait la partie purement théologique de ces discussions, lorsque Napoléon convoqua à Paris un conseil ecclésiastique dont je parlerai bientôt. Mais les opérations de ce conseil composé d'hommes fort éclairés, avaient été tenues secrètes.

Par quelle suite d'événements le pape se trouva-t-il tourmenté et persécuté pendant près de dix ans, si odieusement, si impolitiquement, et de tant de manières?

Parcourons les faits avec leurs dates, en les reprenant d'un peu plus loin. Plusieurs de ces dates expliqueront les grandes infortunes de Pie VII, supportées avec un courage tellement héroïque, qu'on ose à peine remarquer dans le Saint-Père, quelques légers torts d'imprévoyance.

Pie VI, son prédécesseur, enlevé de Rome par ordre du directoire, le 10 février 1798, était mort à Valence le 29 août 1799. Pie VII fut élu le 14 mars 1800 à Venise qui appartenait alors à l'empereur d'Allemagne, d'après une des stipulations du traité de Campo-Formio; et il fit, le 3 juillet de la même année, son entrée à Rome qui avait été reconquise avec les États romains par les coalisés, pendant que Bonaparte était en Égypte.

J'ai déjà dit quelque part que Bonaparte, de retour d'Égypte, était arrivé subitement à Paris, le 16 octobre 1799, et que, par suite du coup d'État du 18 brumaire (9 novembre 1799), il avait été placé à la tête du gouvernement comme premier consul, le 13 décembre 1799. Le conclave s'était ouvert à Venise, le 1er de ce même mois de décembre, et, pendant que Pie VII, élu au mois de mars suivant, allait de Venise à Rome, Bonaparte venait de signaler sa prise de possession du pouvoir par deux faits qui eurent la plus grande influence sur

[ocr errors]
« PreviousContinue »