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« Le blocus de Hambourg, écrivait l'Empereur, vaudra à l'Espagne la restitution de ses colonies à la paix. Il ne s'agit plus aujourd'hui de tergiverser. Si l'on veut le faire, il faut que vingt-quatre heures après que cela aura été demandé, la division qui est en Toscane se mette en route, ainsi que les 3,000 hommes de cavalerie ; si à 3,000 hommes de cavalerie on veut joindre 6,000 hommes d'infanterie, il faut les accepter. Il sera facile à M. de Beauharnais de faire comprendre au cabinet que, outre l'avantage de contribuer à amener la paix et la restitution de ses possessions, il aura celui d'aguerrir et de discipliner ses troupes. Du reste, il suffit seulement d'en avoir le cœur net. S'ils ne veulent pas, tout est fini. P'attache un double intérêt à faire sortir la division espagnole de Toscane. »

I

La dernière partie de cette lettre impérieuse semble donner raison à l'hypothèse que nous avons émise plus haut, relativement aux projets de Napoléon sur l'Espagne : « S'ils ne veulent pas, tout est fini », écrivait Napoléon dès le mois de mars 1807; la menace est assez claire. Tenait-il beaucoup à l'envoi de ces troupes? Un refus ne lui eût-il pas été un utile prétexte, une facile entrée de jeu pour le moment où il aurait le loisir de s'occuper, de plus près, des affaires de la Péninsule? En tous cas, aucun doute n'est possible en ce qui concerne le double intérêt qu'attachait l'Empepeur à faire sortir de Toscane la division espagnole que la reine y avait introduite. Le sort de cette souveraine était décidé, elle ne devait pas tarder à « cesser de régner » 2. Quoi qu'il en soit, l'Empereur poursuivit l'expédition de

1. Beau-frère de l'impératrice Joséphine, ambassadeur de France à Madrid. 2. Voir Correspondance de Napoléon Ier, nos 13168, 13181 et 13375, t. XVI, et, sur la compensation à donner à la reine d'Étrurie en Portugal, nos 13300 et 13444, idem.

ses ordres pour assurer le prompt départ de ces troupes, tant de celles qui devaient venir d'Espagne que de celles qui devaient partir d'Étrurie.

Deux lettres du 30 mars, l'une à l'archichancelier Cambacérès, l'autre au général Dejean 2, ministre de l'administration de la guerre, donnent de minutieuses instructions pour le passage des troupes espagnoles en France, recommandant de les traiter en tout comme les troupes françaises. << Faites-leur connaître, écrivait l'Empereur, qu'on leur délivrera une paire de souliers de mes magasins, à Mayence, et que, du moment de leur entrée en Hanovre, leur habillement, équipement, tout, excepté la solde, sera à mes frais ; pressez le passage de ces troupes, vous sentez que cela est de grande importance. »

Enfin, l'Empereur ordonnait de nouveau à son ambassadeur à Madrid de tout faire pour hâter le départ et prescrivait d'envoyer un commissaire pour recevoir, accompagner et faire marcher, par différentes routes, les 9,000 hommes qui devaient arriver sur les Pyrénées.

De son côté, le vice-roi d'Italie avait reçu des ordres analogues pour les étapes des troupes d'Étrurie.

Malgré les instances que, sur les ordres réitérés de l'Empereur, l'ambassadeur de France renouvelait auprès du cabinet de Madrid, celui-ci usait de tous les subterfuges pour gagner du temps; il fallut aller jusqu'à la menace pour que le corps de 9,000 hommes fût porté au complet par le prince de la Paix. Joint aux 5,000 hommes fournis par l'Étrurie, le contingent atteignit le chiffre exigé de 14,000 hommes.

Napoléon, qui ne négligeait aucun moyen de peser sur

1. Correspondance de Napoléon Jer, no 12224, t. XIV.

2. Idem, no 12229, ibid.

l'opinion de l'Europe, ne manqua pas de se servir du levier que l'envoi de ces troupes étrangères, entrées comme alliées à son service, mettait entre ses mains. Il avait souvent, à la guerre, trompé l'ennemi en faisant porter à sa connaissance les chiffres de ses effectifs, enflés ou diminués à dessein. Or, à ce moment, dans les premiers mois de 1807, la Pologne se levait à son appel1. Il voulut lui donner un exemple de son ascendant sur l'Europe et prescrivit à Talleyrand, par une lettre du 3 avril 2, de faire connaître à M. de Vincent, ambassadeur d'Autriche, sous forme de conversation, et d'écrire au général Andréossy, son ambassadeur à Vienne, que 30,000 Espagnols étaient entrés sur son territoire pour se rendre en Hanovre ; « il n'y aurait pas de mal, même, ajoutait l'Empereur, d'en faire mettre un article dans les journaux de Varsovie, sous la rubrique de Madrid, en disant, sans parler de la division d'Étrurie, que 6,000 hommes de cavalerie espagnole, et 24,000 hommes d'infanterie sont déjà rendus sur les Pyrénées et arrivent le 1er du mois de mai sur l'Elbe. »

A la date de cette lettre, les 9,000 hommes que nous donnait le gouvernement espagnol, contraint et forcé, après avoir épuisé tous les atermoiements 3, n'étaient pas encore réunis.

1. La bravoure et la fidélité de la légion de la Vistule et des chevau-légers polonais sont restées légendaires. Napoléon ne leva pas moins de 40,000 hommes en Pologne. (Correspondance de Napoléon Ier, no 12091, t. XIV.)

2. Correspondance de Napoléon Jer, no 12275, t. XIV.

3. Déjà, deux mois auparavant, Talleyrand écrivait à l'Empereur, de Varsovie, le 5 février 1807: «....... La cour de Madrid consent à mettre à la disposition de Votre Majesté 14,000 Espagnols, y compris les 6,000 qui sont en Toscane. Le commandant de ce corps sera ou M. O'Faril, ou M. de Castaños, gouverneur du camp de Saint-Roch; celui qui plaira le plus à Votre Majesté sera choisi; la cour de Madrid désirerait que ce fùt M. O'Faril. » (P. BERTRAND: Lettres inédites de Talleyrand à Napoléon, CCXXIII.)

Au sujet du choix du commandant du corps espagnol, nous citerons l'appréciation suivante qui vient naturellement à l'esprit : Napoléon refusant ou dif

2

Les 16 et 19 avril, l'Empereur écrivait à Talleyrand1 et à Cambacérès d'envoyer encore de nouveaux courriers en Espagne pour presser leur départ et recommander qu'en France on leur fit faire de bonnes étapes pour les faire arriver promptement et en bon état. Enfin, le 14 mai, il avisait le général Clarke 3, alors gouverneur de Berlin, qu'il avait reçu la nouvelle que les troupes espagnoles étaient arrivées sur les Pyrénées et pourraient être arrivées sur le Rhin dans les premiers jours de juin.

Pour réparer, dans la mesure du possible, le temps perdu, et hâter leur arrivée, l'Empereur avait prescrit au général Dejean de faire transporter en poste, à Mayence, l'infanterie espagnole, « afin qu'elle y arrivât dans le tiers moins de temps qu'elle n'en eût mis sans cette précau

tion >>4.

Cependant les troupes espagnoles, au nombre de 8,679 hommes placés sous le commandement du général marquis de La Romana, s'étaient mises en route. Elles en

férant de se prononcer, le gouvernement espagnol déféra le commandement au marquis de La Romana, qui avait été élevé en France où il vécut longtemps. Or, dit un historien, si le corps espagnol avait eu pour chef le général Castaños, celui-ci n'aurait pas battu Dupont à Baylen; s'il avait obéi à O’Faril, la désertion n'aurait pas eu lieu. On sait, en effet, que ce général était tout dévoué à la France.» (Histoire de Bernadotte, Charles XIV, roi de Suède et de Norvège, etc., par B. SARRANS jeune. Paris, 1845, t. I.)

1. Correspondance de Napoléon Ier, no 12389, ibid.

2. Idem, no 12410, ibid.

3. Idem, no 12576, ibid. 4. Idem, no 12692, ibid.

5. La Romana (Pedro Caro y Sureda, marquis de), né à Palma (Majorque) en 1761, fut élevé chez les Oratoriens de Lyon, et servit d'abord dans la marine où il parvint au grade de capitaine de frégate; il passa ensuite dans l'armée de terre, changement fréquent en Espagne; pendant la guerre de la Révolution, il servit en Biscaye, puis nommé général de division, il fut envoyé à l'armée de Catalogne ; la faveur du prince de la Paix l'appela au commandement de la division mise au service de Napoléon. Après son retour en Espagne, il organisa dans les provinces du Nord la résistance contre les armées impériales et mourut en 1811.

trèrent en France par les départements des Basses-Pyrénées et des Pyrénées-Orientales. Le 8 juin, le préfet de la Gironde, Fouchet, rendait compte au ministre de la police générale du bon accueil fait par la population de Bordeaux aux trois colonnes espagnoles qui venaient de passer dans cette ville 1, et le 26 du même mois, l'Empereur, qui, même de Tilsit, suivait les plus petits détails de ce qui concernait son service, ordonnait à Champagny de témoigner sa satisfaction au préfet de la Gironde, « car c'est m'être très agréable que de donner des marques de considération et d'intérêt à mes alliés >> 2.

De son côté, le général de brigade Martin, préfet des Pyrénées-Orientales, qui, par une lettre du 16 mars 3, avait avisé le gouvernement de la prochaine arrivée dans le département d'un corps de troupes assez considérable, avait reçu de la sûrété générale des instructions, en date du 28 du même mois, l'invitant à rendre compte, avec beaucoup d'exactitude, des circonstances de son passage.

Le corps espagnol dirigé sur les Pyrénées-Orientales n'é

1. Archives nationales, F7, 6496, dossier 644.

2. Correspondance de Napoléon [er, no 12828, t. XV.

3. Archives nationales, F7, 6496, dossier 644.

4. Il était en effet à prévoir que quelques incidents pourraient se produire : le 6 juillet, le général commandant le département des Pyrénées-Orientales faisait connaître au général commandant la ge division militaire, à Montpellier, qui en avisa le ministre, que des dragons du régiment d'Almanza, chargés de l'escorte des bagages, avaient assailli deux charretiers, le 4 juillet, à Sijean, sur les confins du département de l'Aude. L'un avait été tué d'un coup de sabre, l'autre, après avoir essuyé un coup de feu, avait pu s'échapper. Le ministre demanda au général de La Romana, le 18 juillet, la punition des coupables; « ce régiment, ajoutait-il, dont la conduite et l'esprit ne sont pas aussi satisfaisants que ceux des autres corps qui l'ont précédé, doit observer une discipline plus exacte en route et doit être surveillé par ses chefs plus qu'il ne paraît l'être ».

Le marquis de La Romana répondit de Mayence, le 23 juillet, qu'il en rendait responsables les officiers de ce corps et qu'il demanderait leur destitution si les circonstances l'exigeaient.

Le régiment d'Almanza devait arriver ce même jour à Mayence avec un

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