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ses collègues d'y promener la justice du dictateur. Leurs coups, venant de loin, pouvaient s'égarer : ils ont été dirigés par les préfets, les procureurs et d'autres complices, qui se levaient partout au nom de l'ordre, ce grand mensonge bonapartiste, pour assouvir leurs passions criminelles.

De tous les départements compris dans ce groupe, où la vie de Paris circule plus qu'ailleurs, celui d'Eure-etLoir a été le moins frappé.

L'Aube a été plus atteint, quoiqu'il n'ait pas fourni un grand nombre de proscrits.

Il en est de même de l'Oise, de Seine-et-Oise et de Loir-et-Cher.

Dans le Loiret, au contraire, la secousse a été rude et la blessure profonde.

Mais c'est l'Yonne qui a le plus souffert. Quel débordement de violences! Que de douleurs et de victimes!

II.

AUBE.

Il y avait dans l'Aube un préfet digne de comprendre et de servir toutes les fureurs du coup d'État; c'est ce Petit de Bantel qui, sous le règne de Louis-Philippe, laissa des traces de sang dans les montagnes paisibles de l'Ariège. Il savait comment on égorge les citoyens. Il a dû trouver facile de livrer leurs noms à la proscription. Ce magistrat

violent et farouche ne pouvait que rester fidèle au souvenir sanglant qu'il traîne partout avec lui.

Le procureur de la République, Géry, s'est montré son rival.

Deux notaires, que leur républicanisme rendait suspects, avaient échappé à ses poursuites. Il a provoqué leur destitution, parce qu'ils n'avaient pas attendu paisiblement dans leur cabinet que la main des agents bonapartistes vint les saisir. Leur absence était un crime. Il ne s'agissait pas d'invoquer pour eux l'un de ces cas de force majeure, qui dominent toutes les règles, en les rendant impossibles. L'honneur de leur profession les obligeait de se laisser prendre à leur poste par les sbires du dictateur.

Telle était la doctrine de Géry. Ce procureur étrange fesait ainsi un devoir de la persécution à des citoyens inoffensifs et dès lors couverts par le droit. Il leur appliquait une morale nouvelle, la morale de l'écrou.

Cette philosophie, qui méritait de sortir du cerveau de quelque geôlier, a charmé l'oreille et l'esprit du tribunal civil de Troyes, qui a frappé bravement les deux officiers ministériels. Les magistrats, qui ont rendu cette sentence, méritent d'être connus. Ils s'appellent : Corrard de Bréban, Mailly, Sallat-Moutachet, Fortin, Delanoue et Nancey. La Cour d'appel de Paris, présidée par Aylies, n'a pas rougi plus tard de confirmer cette doctrine. O patrie des Cujas, des Domat et des d'Aguesseau! Vieille et sainte patrie du droit! Voilà ce que tes magistrats font aujourd'hui de la justice!

Le général, qui commandait le département, Gauthier de

Laverderie, n'a pas voulu rester inactif au milieu de ces démonstrations de zèle. Il s'est mis à lancer lui-même des mandats d'arrêt, comme s'il eût été à la solde du code pénal. Dans l'un de ces mandats, dirigé contre le notaire Poron, il l'accusait d'avoir prétendu que le président de la République venait de violer son serment. La force est quelquefois bien naïve dans ses emportements et ses colères.

Deux juges-de-paix, Guyot et Reynault, ont partagé cette ardeur de persécution. Ils ont fait, l'un et l'autre, de ce pouvoir paisible, qu'ils tenaient de la loi, un instrument détestable de guerre civile.

CONDAMNÉS

A la déportation en Algérie.

BASSET, avoué.

BERGE, cultivateur.

BROWN, rentier.

BÉRAULT, propriétaire.

CHÉRON, doreur sur métaux.

COTTET, ex-vérificateur des poids et mesures.

CAMUS, charpentier.

CARTIER, épicier.

DURUPT, vigneron.

DEGUILLY, ouvrier.

FILLEUX, propriétaire.

FRISOT, cultivateur.

FOISSY, JAMES, proprietaire.

GAUTHIER, propriétaire.

GERVAIS, bonnetier.

HABERT, architecte.

JACQUIN fils, ingénieur-mécanicien.

JACQUINET, charpentier.

JOLIBOIS, vigneron.

LABOSSE, avocat, ex-commissaire de la République.

Le fils de l'avocat Labosse a été frappé avec son père.

LEFEBVRE, notaire, ancien commissaire de la
République.

C'est l'un des deux notaires qui ont été révoqués sur la demande du procureur Géry. Sa charge, l'une des plus considérables de Troyes, a été cédée judiciairement pour le tiers de sa valeur. La proscription frappait deux coups à la fois : elle ne dépouillait pas seulement le notaire; elle ruinait en même temps sa famille, qui lui avait servi de caution dans l'achat de son office. Des haines, allumées par la passion politique, poursuivaient depuis longtemps Lefebvre. Que de fois ne lui avaient-elles pas fait expier le dévouement et le zèle qu'il déployait pour la démocratie dans le département de l'Aube! La magistrature s'était mise déjà avant le 2 Décembre au service de ces lâches ressentiments. Un frère de Lefebvre, qui habitait l'Yonne, a été compris dans les

vengeances qui s'acharnaient sur ce nom. Il mourait, il y a quelques jours, loin de la France, tué par l'exil.

LEGRAND, EDME, ancien percepteur.

Une vengeance honteuse a livré à la proscription Edme Legrand et son frère. Ils avaient eu le malheur de surprendre avec une jeune fille le père du ministre de la police et mêlés à la foule justement indignée, ils avaient poursuivi publiquement de leurs reproches ce vieux suborneur. C'étaient des ennemis que le gouvernement du 2 Décembre devait nécessairement frapper. Ne fallait-il pas défendre de toute atteinte le nom glorieux de Maupas ?

LEMOINE, mécanicien.

MARET, marchand de vins.
NOEL, maitre d'hôtel.

L'établissement de Noël avait été fermé par ordre du maire de St-Mards, le notaire Trouvé. Noël, se voyant proscrit, a voulu le mettre en vente. Mais le maire lui a défendu de le vendre comme hôtel. Il était difficile de lui donner une autre destination. Aussi n'a-t-il pu être vendu à aucun prix. La proscription a lâchement envié cette dernière ressource à la femme de Noël et à ses quatre enfants, qui sont restés dans la misère.

PORON, notaire, ex-maire.

PISTOUF, cultivateur.

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