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le suffrage universel avec les royalistes de l'Assemblée, il voulait en proposer le rétablissement pour tromper plus sûrement le peuple et ravir à ses mandataires ce qui pouvait leur rester d'influence.

« Attendons que l'Assemblée nous donne barre », avait dit Magnan.

Le mois de Novembre rapprocha un peu plus Louis Bonaparte de sa criminelle entreprise. On peut même dire qu'il y toucha. Les moins clairvoyants aperçurent la première étincelle de l'incendie qui s'allumait.

C'était le jour où l'Assemblée discutait cette proposition des questeurs qui avait pour but de mettre entre les mains du pouvoir législatif les forces militaires qu'il jugerait nécessaires à sa défense. Qu'allait-il sortir de ce débat? La proposition serait-elle adoptée ? Les républicains la repoussaient, parce qu'ils n'ignoraient pas que l'épée de l'Assemblée était destinée à Changarnier, cet ancien complice de Louis Bonaparte livré maintenant aux partis monarchiques, et qu'ils n'avaient pas à choisir entre Monck et Cromwell. Mais elle risquait de triompher sans leur concours.

Le président Dupin avait eu beau déclarer qu'il ne nommerait point de général: Louis Bonaparte n'était pas rassuré et le coup d'État se tenait aux aguets.

Il avait été convenu à l'Élysée que les troupes ne seraient pas mises à la disposition du corps législatif et les décrets qui devaient inaugurer la dictature de Louis Bonaparte n'attendaient que le moment de paraitre. C'est pour cette circonstance qu'avaient été conçues certaines phrases qui

étonnèrent depuis la conscience publique, parce que celui qui les avait écrites ne jugea pas à propos de les changer. Louis Bonaparte avait cru que la proposition des questeurs serait adoptée et il avait jeté les mots suivants dans son appel au peuple : « L'Assemblée, qui devait être le plus ferme appui de l'ordre est devenue un foyer de complots. Le patriotisme de trois cents de ses membres n'a pu arrêter ses fatales tendances. Au lieu de faire des lois dans l'intérêt général, elle forge des armes pour la guerre civile; elle attente au pouvoir que je tiens directement du peuple (1) ».

C'était une réponse au vote dont il se croyait menacé. Le vote semblait si peu douteux aux bonapartistes que StArnaud quitta brusquement l'Assemblée pour courir à l'état-major et prendre les dispositions nécessaires. Il expédiait des ordres à tous les régiments de la capitale quand Magnan vint lui apprendre que la proposition avait échoué. « Je m'en serais bien passé,» répondit-il.

Ainsi l'orage était prêt ; mais il n'éclata pas, parce que la proposition des questeurs fut écartée et que le conspirateur de l'Élysée avait choisi une autre heure.

Un grand anniversaire approchait, celui de la vic

(1) L'auteur eut connaissance de cette proclamation dans le cours mêmə du débat, c'est-à-dire pendant la séance du 17 novembre. Un républicain du dehors, qui avait des relations avec l'Élysée, était venu l'avertir à la håte. Il en parla lui-même à quelques-uns de ses collègues qui siégeaient à côté de lui.

toire d'Austerlitz. Le plagiaire maniaque de l'Empire a résolu de s'en emparer. Ce fut un jour de gloire; ce sera le jour de l'attentat. Louis Bonaparte est asscz superstitieux pour croire qu'en choisissant cette date, il doit avoir à son service la merveilleuse fortune de l'Empereur. Il est assez immoral et assez pervers pour vouloir confondre le souvenir du plus grand des crimes avec celui d'une des plus belles victoires qui aient honoré notre drapeau.

Le monstre s'annonce : il commence par clouer sa honte sur le front radieux de l'Empire.

II.

Les décrets qui doivent tuer les libertés publiques pour remplacer les institutions par un homme se trouvent prêts. Il ne s'agit que de les lancer: Louis Bonaparte en a marqué lui-même le caractère impie en écrivant sur la première page ce mot factieux: Rubicon.

Par le premier de ces décrets, le traitre dissout l'Assemblée nationale et soumet au régime de l'État de siége non seulement Paris et sa banlieue, mais encore tous les départements compris dans la première division militaire.

Par le second, il convoque le peuple pour en obtenir la dictature.

Par le troisième, il appelle l'armée à lui voter immė

diatement les pouvoirs illimités qu'il réclame sur les ruines des lois.

Le mot plebiscite sert d'ornement et de masque à ces décrets, comme s'il ne s'agissait que de l'expression libre et spontanée de la volonté populaire. Mais l'armée est poussée la première dans ces comices serviles. Elle entraînera le peuple, s'il le faut. On verra sortir le nouveau César du camp des Prétoriens. Les bras de ses soldats le porteront victorieusement au milieu de la foule, qui sera bien obligée de saluer son maître.

III.

C'était l'armée qui devait assurer le succès du crime. Louis Bonaparte ne néglige rien pour l'entrainer dans sa coupable entreprise. Il sème la calomnie dans ses rangs; il évoque devant elle des dangers imaginaires; il l'appelle hypocritement à défendre avec lui les lois qu'il foule aux pieds, la République dont il prépare la ruine, la souveraineté populaire qu'il assiége et qu'il emprisonne dans un cercle de bayonnettes.

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Soldats, leur dit-il dans son langage perfide, soyez fiers de votre mission. Vous sauverez la patrie; car je compte sur vous, non pour violer les lois, mais pour faire respecter la première loi du pays, la souveraineté nationale dont je suis le légitime représentant.

Depuis long-temps vous souffriez comme moi des

obstacles qui s'opposaient au bien que je voulais faire et aux démonstrations de vos sympathies en ma faveur; ces obstacles sont brisés.

« L'Assemblée a essayé d'attenter à l'autorité que je tiens de la nation entière; elle a cessé d'exister.» (1).

Ces mensonges grossiers pourraient échouer contre le bon sens des soldats: il cherche à remuer leur âme par les souvenirs de la guerre civile; il leur rappelle qu'ils ont été battus deux fois dans les rues de Paris et que le moment est venu de venger cette double défaite.

«En 1850, comme en 1848, on vous a traités en vaincus. On a dédaigné de consulter vos sympathies et vos vœux et cependant vous êtes l'élite de la nation! »

Il ajoute ce mot qui semble un écho de ces camps romains, où de vils prétendants mendiaient honteusement l'Empire, en sacrifiant aux légions le peuple et le sénat :

«En ce moment solennel, je veux que l'armée fasse entendre sa voix (2).

(1) Moniteur du 5 décembre. (2) Moniteur du 3 Décembre.

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