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» 7o Le renvoi en police correctionnelle.

» 8° La mise sous la surveillance du ministre de la police générale » (1).

Trois ministres, celui de l'intérieur, celui de la guerre et celui de la justice, Persigny ou Fialin, S'-Arnaud et Abattucci avaient signé cette monstrueuse circulaire. Le dictateur se cachait derrière ces trois hommes, interprêtes de ses fureurs.

La conquête la plus impitoyable, l'invasion la plus désastreuse n'auraient pas exposé la République à des coups aussi douloureux. Cette armée de détenus dont l'usurpateur avait rempli les geôles était livré comme un butin à trois cents exécuteurs qui devaient les punir de leur fidélité à la loi. La tyrannie demandait au ciel de la Guyane et de l'Afrique d'achever l'œuvre sanglante qu'elle avait commencée dans la capitale, et comme la mort pouvait manquer à son appel au fond de ces exils, des têtes étaient promises à la guillotine.

Un pareil système de déportation et de bannissement n'avait encore été infligé à aucun peuple. Le bonapartisme se préparait à déchirer le sein de la France, comme s'il avait résolu de poursuivre jusque dans les entrailles de la nation les forces vivaces et impérissables de la République,

Immortale jecur tundens, fecundaque pœnis
Viscera. (2).

(1) Moniteur du 4 février. (2) VIRG. Eneid. lib. 6.

LIVRE V.

La proscription dans l'Assemblée nationale,

I.

Les premiers coups de cette dictature, qui allait décimer la France, devaient frapper naturellement les Représentants du Peuple que le coup d'État avait trouvés, pour ainsi dire, aux avant-postes de la République. C'était pour Louis Bonaparte la première jouissance de la victoire.

Prise en masse, l'Assemblée législative ne méritait guère de pareilles rigueurs. Quelle mollesse n'avait-elle pas montrée depuis trois ans, en face des envahisse

ments du pouvoir exécutif! Jamais Parlement, sous l'empire d'une Constitution populaire, ne fut aussi souple, ni aussi docile.

Mais c'était l'Assemblée Nationale, c'est-à-dire la plus puissante expression de la volonté du peuple, le premier pouvoir de l'État, la plus grande et la plus haute figure de la République. Déchirée et meurtrie par la main des soldats, elle vivait encore, malgré ses blessures, dans chacun de ses membres. Ce n'était qu'une ruine sans doute, mais une ruine pleine de vie; car le droit était avec elle et l'enveloppait, pour ainsi dire, jusque dans sa chute.

D'ailleurs, si la plus grande partie de ce parlement, infidèle à la République, avait servi par ses complaisances la cause du dictateur, il s'était rencontré dans son sein une forte minorité qui avait défendu pied à pied, comme une seconde patrie, les institutions républicaines. C'est cette minorité qui signala si souvent à la tribune les desseins criminels de l'Élysée. C'est elle qui voyant chaque jour Louis Bonaparte marcher vers la dictature, à travers les ruines de nos libertés, demanda plus d'une fois que le magistrat prévaricateur fut traîné devant la haute cour de justice. C'est elle qui, au moment du crime fournit les soldats les plus résolus et les plus énergiques à la cause du droit, lâchement pris dans un piége. Que de motifs de haine pour le dictateur! et avec quel plaisir ne devait-il pas frapper ces gardiens importuns de la Constitution!

Plusieurs membres de la majorité, de cette majorité

hostile au gouvernement républicain, avaient trouvé euxmêmes le moyen de déplaire à Louis Bonaparte.

Le général Changarnier s'était montré bien complaisant depuis le 10 Décembre jusqu'aux revues de Satory. Ne l'avait-on pas vu le 29 janvier investir brusquement l'Assemblée constituante et donner une première représentation du coup d'État? N'avait-il pas, au 13 juin, lancé ses bataillons contre des citoyens désarmés qui s'abritaient en vain derrière le pacte national? N'est-ce pas lui, enfin, qui avait appris aux généraux à méconnaître la voix du pouvoir législatif et à tourner les talons, quand les Représentants du peuple appeleraient l'armée au secours des lois? Que de force n'avait-il pas prété à Louis Bonaparte! Mais toutes ces complaisances étaient oubliées. Le général lui-même en avait effacé le souvenir. Il avait souri dans les derniers temps au nom de Monck que lui offraient publiquement les partis royalistes, comme s'il avait songé à rejeter dans l'ombre, avec ses vices et ses dettes, un autre héritier de Cromwell. Et quelle fierté, quelle insolence ne montra-t-il pas dans cette séance, où se plaçant entre le Parlement et l'Élysée, il parla avec un mépris suprême du César et des prétoriens, dont le fantôme se dressait déjà devant la tribune! Le complice d'autrefois s'était transformé en ennemi. Il ne pouvait pas, il ne devait pas échapper aux coups du maître.

Il en était de même de Thiers. Il avait aussi donné longtemps la main au pouvoir exécutif pour battre en brêche la Constitution et la République. C'était l'un des auteurs de cette loi du 31 mai qui avait coupé la

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France en deux moitiés et qui devait permettre à Louis Bonaparte de paralyser le peuple en se levant un jour contre l'Assemblée au nom du suffrage universel. Il n'avait passé, depuis trois ans, devant aucune institution républicaine, sans lui donner publiquement un ou deux coups de pied, co. mme un aristocrate de vieille souche. Garde nationale liberté de la presse, droit de réunion ou d'association, enseignement public, il avait tout livré pour ramener la France en arrière. Aucun traineur de sabre n'avait exalté autant que lui, il se croit général! cette obéissance passive qui vole au soldat sa conscience et le chasse de l'humanité pour le mettre au rang des machines, parmi les obus et les boulets. Mais qu'importa ient tous ces services! Après avoir refait la monarchie dans les lois, derrière le masque de Louis Bonaparte, l'ancien ministre de la royauté avait rompu ouvertement avec le prétendu neveu de l'Empereur. Il avait repris son langage d'autrefois. Louis Bonaparte était encore pour lui un aventurier, un fou, une tête de bois, dans laquelle aucune idée raisonnable n'avait chance d'entrer. La tête de bois était maitresse, et elle ne pouvait pas raisonnablement laisser en liberté celui qui la traitait avec si peu de déférence.

D'autres griefs s'élevaient contre Jules de Lasteyrie, Charles de Remusat et Chambolle.

Le premier avait flétri du nom de coquins, aux applaudissements de l'assemblée, les membres de la société du Dix Décembre, ces janissaires secrets que Louis Bonaparte traînait à sa suite.

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