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LIVRE XII.

La proscription dans les départements du Midi.

I.

Il était réservé au Midi de fournir plus de victimes qu'aucune autre partie de la France. Telle fut dans tous les temps sa måle et noble destinée. Il donne des martyrs ȧ toutes les causes et le sang coule toujours de ses flancs entr'ouverts, comme s'il était condamné, en s'épuisant luimême, à rajeunir d'âge en âge la vie nationale. Dès le 12 siècle, il lutte et souffre avec les Vaudois, ces précurseurs de la liberté religieuse. Au 16e siècle, il s'agite pour la Réforme. La révocation de l'édit de Nantes, au 17° siècle, le secoue comme une tempête, en lui enlevant la plus grande partie de ce peuple proscrit, nu, fugitif, errant sans crime, dont parle S'.-Simon. Enfin l'histoire politique

des cinquante dernières années nous le montre sanglant et déchiré, comme un soldat qui vient d'essuyer le feu de l'ennemi.

Grâce au bonapartisme, il vient de reprendre ce rôle fatal, mais glorieux. Le présent a hérité de toutes les souffrances héroïques du passé. Quel spectacle douloureux ! Cette zone magnifique du Midi, qui s'étend de l'Océan à la Méditerrannée, a été livrée comme une proie à la fureur des proconsuls de Louis Bonaparte.

Tous les départements n'ont pas été frappés de la mème manière.

Quelques-uns ont eu le bonheur d'échapper en partie à la proscription. Ce sont les Hautes-Alpes, l'Ariège, la Dordogne, la Haute-Garonne, l'Isère, les Landes, les Basses et les Hautes-Pyrénées.

D'autres ont été plus atteints, l'Aude, par exemple, l'Aveyron, la Gironde, le Lot, le Tarn-et-Garonne.

Plusieurs ont été ravagés et dépeuplés, comme si le sort d'une bataille les avait livrés tout-à-coup à des hordes étrangères. Tels sont les Basses-Alpes, les Bouches-duRhône, la Drôme, le Gers, l'Hérault, le Rhône et le Var.

Cinquante mille citoyens environ ont été incarcérés ou poursuivis dans cette partie de la France.

Rien de plus triste partout que ces proscriptions et ces violences intérieures, qui nous montrent un peuple déchirant ses entrailles, comme Caton à Utique. Mais ce spectacle était plus affreux dans le Midi qu'ailleurs. Ce n'était pas un parti s'acharnant sur un autre parti dans l'ivresse

de la victoire. C'étaient des haines de cinquante ans, qui semblaient sortir du tombeau pour se déchaîner sur d'anciennes victimes. L'incendie de la Restauration se rallumait. Les royalistes, sous le masque du bonapartisme, frappaient les fils de ceux que leurs pères avaient égorgés au commencement de ce siècle.

« Ce jeune homme que vous voulez envoyer à Cayenne ou à Lambessa, disait une femme à un colonel, est étranger à nos discordes politiques. Il ne s'est jamais mêlé à nos débats. Il n'a jamais compté dans un parti. Pourquoi tourner contre lui la colère des factions !

-Il n'a rien fait, c'est vrai; mais son père... ? »

Voilà le secret de la plupart des violences qui ont affligé le Midi. Et que de scènes odieuses ont précédé ou suivi cette grande iniquité!

Les chasses essayées dans le Centre contre les républicains ont été pratiquées sur une grande échelle dans nos départements méridionaux. Le Lot-et-Garonne, l'Hérault, les Pyrénées orientales, les Basses-Alpes et le Var ont été surtout le théâtre de ces excursions barbares où l'homme était offert comme une proie à l'homme. Le mot d'ordre semblait emprunté au code sauvage des Espagnols lancés dans le Nouveau Monde à la poursuite des Indiens. Il fallait tirer sur quiconque faisait mine de se dérober.

Un capitaine des Pyrénées orientales, nommé Gineste, rencontre un charretier et lui décharge son fusil sur la tête. Le charretier avait l'air de fuir.

C'est ainsi que les forêts du Midi ont été explorées. Quelques républicains s'étaient réfugiés dans un bois aux

envirous de Villeneuve. Une colonne militaire est lancée sur leurs traces. Elle ramène bientôt après l'un des fugitifs. Un coup de feu l'avait atteint au milieu des arbres et le sang inondait son visage.

On poussait ces recherches impies jusque dans les cimetières. Il fallait s'assurer que les morts ne donnaient pas un asile aux vivants. La police de Louis Bonaparte descendait dans les caveaux funèbres pour y chercher des victimes.

Un maire de Lot-et-Garonne, nommé Bordes, a poussé plus loin la barbarie. La petite ville de Caumont, qu'il administrait, est coupée par un ruisseau sur lequel on a jeté une voûte d'une longueur de trois mètres. C'était une retraite ouverte aux proscrits. Bordes s'imagine qu'ils s'y sont réfugiés en grand nombre. Il donne l'ordre de fermer l'extrémité inférieure de l'aqueduc et de làcher les eaux emprisonnées dans les lavoirs qui le dominent. Le conduit est aussitôt inondé. « Nous allons voir si les renards vont sortir de leur trou,» disait cet étrange magistrat, qui savait trouver le moyen d'être plaisant en présidant luimême à cette exécution. Le canal reste rempli pendant vingt-quatre heures. Il fallait bien s'assurer qu'il ne cachait aucun proscrit, ou que les malheureux, qui étaient venus chercher un asile sous la voûte, avaient eu le temps de périr.

Dans 1 Hérault ce sont des scènes aussi violentes.

Un détachement du 35° de ligne arrive sur le bord du bassin de Tau au moment où une barque montée par quelques hommes s'éloignait à force de rames. Tous les fusils se

dirigent sur les passagers. Plusieurs décharges se font eutendre et la barque est criblée de coups de feu.

Le lieutenant Sardou, à la tête d'une autre colonne, envahit le village de St.-Thibéry et fait tirer sur des paysans qui s'enfuient à son approche.

Des soldats marchaient vers la platrière de l'Estang, pour enlever les ouvriers qui s'y trouvaient. Un jeune homme de seize ans, nommé Boucairol, se met en route pour les prévenir. Il reçoit une balle et expire.

On lisait, à la même époque, dans un journal du déparment: « La colonne mobile de Pézenas s'est rendue à Servian , pour y opérer quelques arrestations. Les maisons des prévenus ont été cernées et l'un d'eux, ayant cherché à fuir, est tombé mortellement frappé d'une balle. »

Les Basses-Alpes offraient un spectacle plus douloureux encore. Poursuivis et traqués comme les bêtes fauves, les citoyens restés fidèles à la loi, se voyaient rejetés dans les montagnes, au milieu des neiges et des précipices. Ils n'échappaient aux horreurs de la guerre civile et de la proscription que pour se trouver aux prises avec une nature, qu¡ semblait elle-même se soulever contre eux. Plusieurs groupes de ces fugitifs ont été surpris par des avalanches. On ramassait un jour six cadavres aux environs de Barcelonnette. D'autres étaient recueillis sur les bords de la Durance.

Que dire du Var qui semblait abandonné à toutes les fureurs?

Un fonctionnaire de ce département pouvait écrire quelques jours encore après le coup d'État : « On commence à faire des prisonniers. » Qu'avait-on fait jusqu'alors? On

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