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l'âme, il ne demandait qu'à déployer sa haine contre la Révolution, dont il acceptait le salaire, comme tant d'autres hyppocrites. On l'avait vu poursuivre avec acharnement tous les instituteurs soupçonnés de répandre dans les campagnes l'esprit démocratique. Il avait fait aussi la guerre, une guerre implacable, aux municipalités républicaines. Quel séide pour la dictature bonapartiste qui va ouvrir bientôt une nouvelle carrière à ses fureurs !

La nouvelle du coup d'État n'est pas plutôt arrivée dans le département que Pressac se met en mesure de tomber sur les citoyens restés fidèles à la loi. On lui annonce que Marmande et Villeneuve se préparent à défendre la Constition. Il écrit aux magistrats mnnicipaux de ces deux villes et les menace de les faire passer par les armes, s'ils osent se lever pour la défense du pacte national. Il donne, en même temps, des ordres impitoyables contre les auteurs de toute tentative populaire.

On avait envoyé de Paris le général de Grammont qui, après avoir fait une loi en faveur des animaux, ne pouvait guère se montrer cruel envers les bommes. Cet officier supérieur, en arrivant à Villeneuve, avait demandé ce qu'on reprochait à un grand nombre de citoyens, qui venaient d'être incarcérés. On lui répond qu'ils ont résisté au coup d'État. «Ils n'ont fait que leur devoir», dit-il sans détour. Cette réponse est rapportée au préfet qui se plaint au gouvernement de tant de respect pour la loi et obtient un général convaincu, comme lui, que le droit est au bout des bayon

nettes.

C'était la force, la force sans règle et sans frein, qui

s'emparait tout-à-coup de cette belle partie du Midi. La proscription ne suffisait point au farouche proconsul qui dominait le département. Il aurait voulu pouvoir interdire aux républicains l'eau et le feu, non-senlement en France, mais même à l'étranger. La femme d'un proscrit, qui avait été ramené successivement des frontières de la Suisse et de la Belgique et qu'un nouveau caprice allait jeter en Espagne se plaignait devant lui de tous ces voyages, qui imposaient des charges trop onéreuses à son mari. « C'est ajouter la ruine à l'exil, disait-elle; et que deviendront nos enfants? Tous ces frais vont dévorer ce qui nous reste. - Tant mieux, s'écrie le préfet, si nous ruinons les républicains; voilà bien ce que nous voulons. »

Le général qui avait remplacé Grammont et sur lequel s'appuyait Preissac, avait nom Tatareau. Il s'est prêté sans scrupule à toutes les mesures de compression. Non content de poursuivre les citoyens qui avaient voulu prendre les armes contre une odieuse dictature, il a lancé un arrêté sauvage contre ceux qui leur donneraient asile.

Tant d'emportement pouvait convenir à un soldat; mais un magistrat a d'autres allures. Le procureur général Sorbier ne s'est pas précipité aussi violemment dans la proscription; il y est entré sans bruit: il s'y est glissé, pour ainsi dire, avec la finesse d'un homme de robe. Il avait déjà montré auparavant cette réserve d'hypocrisie. Ses coups du reste n'en sont que plus sûrs. Plusieurs officiers ministériels se trouvaient compromis. Il ne se hate pas précisément de les faire inscrire surl es listes de déportation ou de bannissement, mais il les fait dépouiller de leurs charges.

Ce magistrat cauteleux avait commencé sa carrière en Corse. Il y fut envoyé, après la révolution de juillet, comme substitut du procureur-général de Bastia. Ce procureur était Cabet, le futur apôtre de l'Icarie, dont il partageait, dit-on, les doctrines.

Il était réservé à des agents subalternes d'aller au-delà de ces trois commissaires. La haine a eu ses tribunaux dans la plupart des villes du département et on a vu se lever partout cette lie de colères et de vengeances que remuent trop souvent les discordes civiles.

C'est surtout la ville de Marmande qui a été le théâtre de ses fureurs.

Une espèce de comité avait été nommé pour remplacer le conseil municipal, qui était engagé dans la résistance. Tous les ordres de proscription partaient de ce comité et comme les principaux membres n'avaient pas même le courage de leurs passions, c'était un carrossier, appelé Ségalas, qui mettait son nom au bas des arrétés. Misérablement asservi aux intérêts de sa profession, il croyait hypothéquer ainsi la confiance de quelques familles opulentes. Il ne dressait pas les listes, il les signait, Il aperçoit un jour sur l'une de ces listes le nom de son neveu, officier de santé dans la même ville. Le cri de la chair et du sang étouffe ses làches calculs, la plume lui tombe des mains et la proscription s'arrête. Parmi ses complices, se trouvait l'ingénieur Joly, petit-fils du général Ramel, tristement égaré dans les passions, qui égorgèrent son aïeul à la fin de l'Empire. On a remarqué également le président du tribunal civil, Broustcau, et le lieutenant de gendarmerie Flayelle, qui après

avoir attaqué une colonne de Républicains à Sainte-Baseilhe, avait pris lâchement la fuite.

Triste et honteuse alliance de la toge et du sabre ! On la rencontre partout dans ces jours de deuil, qui ont passé sur la France.

La ville de Nérac n'a guère été plus heureuse que celle de Marmande. Elle a eu aussi ses proscripteurs officiels et officieux.

Il aurait suffi du procureur de la République, Tordat, pour satisfaire toutes les rancunes du bonapartisme. Mais le maire de la ville, Laroze, un de ces avocats qui parlent des lois sans y croire, comme autrefois les prètres des Dieux, s'est associé publiquement à ses poursuites. Un légitimiste de Lavardac, nommé Trenquelléon, s'est mis également de la partie. Il avait salué la République de ses acclamations après les journées de Février. Il avait même hasardé un discours public, où l'oncle de Louis Bonaparte était appelé l'Ogre de Corse, comme dans les beaux jours de la Restauration. Mais c'était le temps des grandes hypocrisies. Le 2 Décembre l'a rendu à lui-même et il ne l'a que trop prouvé en poursuivant avec ardeur les démocrates des environs. Il y a dans l'âme de ces partisans du passé un ferment immortel de haine et de persécution, qui ne manque jamais de se réveiller en face de la Révolution et de ses soldats, lorsque la force les abandonne.

CONDAMNÉS

A la déportation en Algérie.
AMOUREUX, JEAN, cultivateur.

ADEYRE, JOSEPH, boucher.

AMION, JEAN, charron.

ARBOUIN, JEAN, propriétaire.

AUSADE, filassier.

ANDURAN, JOSEPH, cultivateur.

BARRIEL, JEAN, tailleur.

BARTHE, maréchal-ferrant.

BAZAILLAS, fils, tourneur.

BOURSAC, instituteur privé.

Il y a eu un autre déporté de ce nom : il remplissait les fonctions d'huissier.

BOUISSET, charpentier.

BRAGAYRAC, tonnelier.

BORDES, JEAN, chapelier.

La proscription a pris aussi son frère.

BONAN, JEAN, menuisier.

BROUSSE, ANTOINE, charpentier.
BARBIÈRES, LEON, instituteur.

Un autre Barbières, appartenant à la même famille compte parmi les déportés de Lot-et-Garonne.

J

BARDET, PIERRE, ébéniste.

Ce nom a été frappé aussi une seconde fois.

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