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Christ (1). Ces actes contenoient leurs interrogatoires et leurs réponses, les sentences qui les avoient condamnés, et les paroles édifiantes qu'ils avoient proférées dans leurs derniers instans. Cet usage, maintenu sous le pontificat de saint Evariste, en 107 (2), et suivi par le pape Soter en 162, continuoit encore d'être observé en 235, sous le pape Anthère ou Eleuthère qui, de plus, ordonna de rechercher, au-delà de Rome, les actes de ceux qui avoient péri pour la même cause, et voulut qu'ils fussent gardés soigneusement dans les archives de son Eglise (3). Fabien, son successeur, en commettant de même sept notaires, comme l'avoit fait saint Clément, leur adjoignit sept diacres, pour attester le procès-verbal de ce qu'ils avoient vu et entendu (4). Félix I, et les papes qui lui succédèrent, en agirent de même (5). Ce pontife attacha même tant d'importance à la mémoire des Martyrs, qu'il prescrivit à chaque église particulière de consacrer tous les ans, à la gloire de chacun des siens, un jour déterminé, où l'on offriroit en son honneur des sacrifices eucharistiques (6).

Dans toute la chrétienté, les évêques, dès les commencemens, se montrèrent également empressés de recueillir les procédures et les derniers traits de la vie des Martyrs de leur église. Les fidèles eux-mêmes mettoient tant de prix à s'en procurer le récit, que les uns, bravant tout danger, alloient se mêler parmi les païens, témoins

(1) Anastas. bibliothecar. : Vita sancti Clementis Luitpr.: Vita ejusdem.

(2) Voyez les Actes du Martyre de saint Ignace, évêque d'Antioche, sous Trajan, en 197. (Ruinart: Acta Martyrum sincera et selecta.)

(3) Anastas. et Luitpr.: Vita sancti Anteri.

(4) Idem: Vita sancti Fabiani.

(5) Voyez son Epitre II ad Episcopos Galliæ; et Anastas. bibliothec.: Vita sancti Felicis.

(6) Ibid.

ordinaires des audiences, pour entendre les accusations et les réponses, qu'ensuite, pour l'édification des autres, ils consignoient dans des écrits dont l'ingénuité atteste la franchise. Ces monumens historiques étoient si recherchés par les chrétiens, que ceux qui ne les avoient pas, n'hésitoient point à dépenser de fortes sommes pour s'en procurer des copies; et ces actes étoient conservés presque aussi religieusement que les Saintes-Ecritures.

Elle est une belle preuve de cet empressement pour avoir les actes des Martyrs, la lettre que les fidèles de Philomélie en Egypte écrivirent, en 166, à ceux de Smyrne, pour demander le récit de la mort subie tout récemment par saint Polycarpe et douze chrétiens de Philadelphie. Les fidèles de Smyrne, en leur envoyant aussitôt ce récit, l'adressèrent en même temps à toutes les autres églises, pour prévenir les demandes qu'ils savoient bien qu'elles ne manqueroient pas d'en faire (1). Ces édifiantes communications réciproques, si vivement désirées de toutes parts, étoient souvent faites avant d'avoir été sollicitées. Onze ans après (en 177), l'on voit les chrétiens de Lyon et de Vienne se hâter d'envoyer, à ceux d'Asie et de Phrygie, l'histoire touchante du Martyre de leur évêque saint Pothin, et d'une multitude d'héroïques compagnons de sa gloire (2).

L'illustre évêque de Carthage, saint Cyprien, obligé, par la persécution, de s'éloigner de son troupeau (vers 252), ne se lasse pas de recommander à ses prêtres et à ses diacres de noter les jours où quelque fidèle de son église perdoit la vie pour la Foi, et de lui envoyer le nom de tous ceux qui périssoient pour elle, avec le récit de leur mort (3). Ainsi en avoit agi, vers 249,

(1) Euseb. Hist. Eccles. Liv. IV, c. xv, edit. Vales.

(2) Euseb. Ibid. Liv. V, c. 1.

(3) Dies eorum quibus excedunt annotate... quanquam Tertullus fidelissimus et devotissimus frater noster scripserit et

saint Grégoire-le-Thaumaturge, évêque de Néocésarée, au rapport de saint Grégoire de Nysse (1). Celui-ci, racontant avec éloge que l'un des premiers soins du Thaumaturge, en revenant dans son église, avoit été d'en parcourir toutes les régions, afin d'y rechercher les noms de ceux qui avoient combattu jusqu'à la mort pour la Foi, ne laisse pas douter que, de son temps (en 390), les saints évêques ne se fissent encore un devoir sacré de rechercher et publier les actes de leurs Martyrs. Nous en avons d'ailleurs une preuve assez formelle dans saint Basile-le-Grand et dans saint Ambroise. Le premier nous apprend qu'il venoit de recevoir, des évêques de l'Italie et des Gaules, la narration des glorieux combats de leurs Martyrs, lorsqu'il leur envoya celle des persécutions que les Ariens faisoient subir aux fidèles d'Orient (2). Nous lisons, dans la vie que saint Paulin écrivit de saint Ambroise après sa mort, que lui-même avoit été, sous la direction du diacre Caste, le notaire que ce saint archevêque employoit pour recueillir les actes des Martyrs de l'église de Milan.

Il n'étoit pas alors un évêque qui ne se crût obligé de faire triompher la cause de la religion, par la gloire de ceux qui étoient morts pour elle. Les sujets favoris de saint Jean-Chrysostôme, dans les sermons qu'il prê

scribat, at significet mihi dies quibus in carcere beati fratres nostri ad immortalitatem gloriosa mortis transeunt. (Epist. 37, ad Clerum.)

(1) Cùm auxilio divino tyrannis illa dissoluta esset..... descendit rursùs ad urbem, et omni circà regione undique perlustrata, addimentum et quasi corollarium studii ergà Numen divinum instituebat, apud omnes ubique populos sanciens, ut nomina eorum qui pro fide decertâssent dies festi atque solemnes conventus celebrarentur. (In laudes sancti Greg. Neocesar.)

(2) Tua autem narratio, athletica certamina, corpora pro pietate dilacerata, etc. Nostra verò (tormenta) qualia sunt, etc. (Epist. 243, ad Episc. italos et gullos.)

choit chaque jour au peuple d'Antioche, ceux où son éloquence se déployoit avec le plus de complaisance et d'enthousiasme, sont consacrés à la louange de quelques Martyrs (1).

Saint Augustin nous atteste, de son côté, qu'au commencement du Ve siècle, comme aux temps de Tertullien et de saint Cyprien, les églises d'Afrique étoient unanimes à cet égard avec celles d'Orient et d'Occident. « La discipline ecclésiastique, disoit-il, veut, comme le savent tous les fidèles, que les noms des Martyrs soient non seulement recueillis, mais encore proclamés avec honneur dans les églises, et même à l'autel du Dieu vivant (2). »

De là cette haute estime que saint Jérôme professoit pour cette histoire des Martyrs, qu'Eusèbe de Césarée avoit écrite sous le grand Constantin (3). Le saint docteur jugeoit ce travail si glorieux et si utile à l'Eglise qu'il voulut le continuer pour y comprendre les Martyrs de son temps. Quoiqu'à la fin du Ve siècle cette chronique ne fût pas connue de l'Eglise romaine, et que, par les effets des persécutions de Dioclétien, Rome eût perdu les actes de ses anciens Martyrs, suivant que saint Grégoire-le-Grand l'avouoit avec douleur dans une lettre à Euloge, évêque d'Alexandrie, qui les lui avoit demandés, cependant on conservoit soigneusement à Rome un catalogue immense des confesseurs de la Foi, qui, en divers pays et chez diverses nations, étoient morts pour Jésus-Christ. Ce Martyrologe, distribué selon le calendrier, faisoit du moins connoître le jour

(1) Voyez les Homélies, et entre autres, au t. I, l'Homélie 40 qui commence par ces mots: Heri, beatus Babylas cum tribus pueris nos congregabat; hodiè verò par sanctorum militum, etc.

(2) Habet ecclesiastica disciplina (quod fideles norunt), cùm Martyres recitentur eo loco ad altare Dei. (De Veritate apost. Serm. 17, c. I.)

(3) Epist. ad Heliodor.

anniversaire de leur mort, leurs noms et le lieu où ils avoient reçu la palme du Martyre (1). Le saint pape, tout en regrettant de n'y pas trouver aussi le récit de leurs vertus, les particularités de leurs derniers instans, s'applaudissoit beaucoup de pouvoir du moins, au moyen de ce catalogue, célébrer chaque matin une messe solennelle en l'honneur de quelqu'un d'entre ces athlètes de la Foi.

Il seroit trop long de parcourir tous les âges postérieurs, pour montrer en détail combien l'Eglise fut attentive à recueillir successivement les noms des fidèles intrépides qui étoient morts pour la Foi, et à les offrir à l'admiration comme à la vénération publiques. Sa règle actuelle, et pour les temps futurs, devant être les exemples et les enseignemens de ses premiers siècles, auxquels il faut revenir si l'on veut conserver la vraie doctrine et le vrai culte, il doit nous suffire d'avoir prouvé que nous nous y rattachons par notre Martyrologe.

Eh! qu'on ne dise pas que l'usage religieux qu'il renouvelle étoit tombé en désuétude, parce que ces hommes, qu'au temps des guerres civiles du calvinisme on appeloit les Politiques, parvinrent à faire oublier jusqu'aux noms des catholiques immolés alors en si grand nombre pour leur Foi. Cet oubli n'étoit-il pas pour l'Eglise un sujet de regrets amers? Naguère encore

(1) Nos autem penè omnium Martyrum, distinctis per dies singulos passionibus, collecta in uno codice nomina habemus, atque quotidianis diebus in eorum veneratione missarum sotemnia agimus. Non tamen in eodem volumine quis qualiter sit passus indicatur, sed tantummodò nomen, locus et dies passionis ponitur. Unde fit ut multi ex diversis terris atque provinciis per dies, ut prædixi, singulos cognoscantur Martyrio coronari. Sed hæc habere vos beatissimos credimus. Ea verò quæ transmitti voluistis, quærentes quidem non invenimus, sed adhuc non invenientes quærimus; et, si potuerint inveniri, transmittemus. (Ad Eulogium episc. Alexand. Epist. 29, lib. VIII, indictione i.)

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