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un de ses plus dignes ministres les exprimoit avec une juste douleur, comme pour empêcher que le stratagème d'étouffer les pieux souvenirs en pareille matière ne s'établit en prescription (1). Si ce moyen parut alors réussir en France jusqu'à un certain point, il ne le put de même en d'autres pays catholiques. Les Sander, les Alan, les Dulken, les Gallonio, les De Marois, et tant d'autres, ne publièrent-ils pas, à la grande édification de toute l'Eglise, les noms, les supplices et la constance des Martyrs que, dans le même siècle, le schisme d'Angleterre venoit de donner à la religion catholique (2)?

Dans cette circonstance des temps passés, avec laquelle notre situation présente a tant de rapports, Alan, ne se bornant pas à faire remarquer l'avantage que l'Eglise devoit retirer des récits qu'il publioit, déclaroit avec raison qu'il se les voyoit commandés, et par la loi naturelle, et par la morale, et même par les lois positives. «< Elles imposent toutes à l'âme honnête et géné

(1) Voyez la page 108 du t. II du Traité de la conduite à tenir après la persécution (2 vol. in-8°. Florence, 1800), par M. l'abbé Saussol, alors vic. gén. de Lavaur, et maintenant évêque de Séez.

(2) Voyez le livre ad Persecutores anglos pro catholicis persecutionem sufferentibus (Ingolstad, 1584); Nicolas Sander: De Martyrio quorumdam sub Elisabeth regina. (Coloniæ, 1578);

Sanderi continuator. Liv. III de schismate anglicano: Diarium rerum pro religionè catholica in turri Londinensi gestarum ab anno 1580 ad annum 1585, ab uno ex catholicis ibidem captivis scriptum ; --- Appendix, sive liber IV schismatis anglicani ex R. P. Ribadeneira, societ. Jesu, libris excerptus;

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De la mort glorieuse de plusieurs prêtres anglais, séculiers et religieux, qui ont souffert le Martyre pour la défense de la Foi en Angleterre. Par le sieur De Marois (Paris, 1645); Historia del glorioso Martirio di dieci-otto sacerdoti e un secolare, fatti morire in Inghilterra per la confessione e diffesa della fede cathotica, gli anni 1577, 1578, 1581, 1582 e 1585; con l'aggiunta del Martirio di cinque altri sacerdoti inglesi martirizati nel 1584, tradotta dell'inglese (Macerata, 1585);--- Vita quorumdam Martyrum, autore Antonio Gallonio (Romæ, 1597).

reuse, disoit-il, le devoir imprescriptible de faire sortir la vertu de cet amas de calomnies dont les persécuteurs l'ont accablée. Ces victimes, poursuivoit cet écrivain en empruntant le langage de saint Grégoire de Nazianze; ces victimes, travesties par des Juliens modernes en ennemis de la patrie et du gouvernement, ont été condamnées si solennellement, et même, comme ils le prétendent, si juridiquement par la justice imaginaire de leurs tribunaux, qu'il doit être au moins permis de venger leur innocence. Ce que nous avons à raconter pour obtenir ce louable résultat, fut fait en public, est connu de toute la terre: voulussions-nous le cacher, nous ne le pourrions pas; et c'est par vous-mêmes que tous les peuples ont connu vos accusations et vos sentences. Voudriez-vous donc qu'elles passassent encore chez eux pour équitables? Non, puisque vous avez l'air de les réprouver vous-mêmes, en ne voulant pas qu'on en parle. Dès lors que ces peuples ne peuvent être éclairés que par nous, que d'ailleurs notre conscience, notre honneur exigent qu'ils le soient, et que le droit naturel lui-même veut qu'à cet égard nous leur manifestions la vérité, vous ne pouvez avoir aucun droit de nous blâmer lorsque, pour venger la vertu, nous sommes obligés de faire connoître l'iniquité, la perfidie et les vrais motifs de vos condamnations (1).

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Ce même langage, nous le tenions également nousmême, il y a vingt-trois ans, aux persécuteurs des années précédentes, qui commandoient aussi le silence, parce qu'ils n'avoient pu précipiter la génération tout entière

(1) Eaque, cùm acta fuerint juxtà leges et imaginariam quamdam justitiam, quid est cur ipsi molestè ferant, si eadem publicis sermonibus et scriptis apud omnes nationes divulgentur? nisi fortè conscientia eorum ipsis suggerat aliquid fuisse iniquitatis et nefaria fraudis in suis illis judiciis, quibus homines innocentes tormentis excruciatos è medio sustulerunt, et adhuc in dies trucidare non desistunt. (Ad Persecutores anglos, præfatio.)

dans celui des tombeaux, et que la plume de l'histoire survivoit à leurs hécatomphonies (1). Il ne fallut rien moins ensuite que leurs transactions avec l'usurpateur qu'ils protégèrent, pour qu'au milieu de ses fusions hétérogènes, le saint devoir du pardon des offenses se trouvât comme légalement transformé en un système antichrétien d'oubli à l'égard des Martyrs de la Foi. Ils furent donc, après leur mort, voués par cela même à une espèce de proscription nouvelle, pour le seul intérêt de ceux qui les avoient immolés.

Mais déjà le chef de l'Eglise, l'illustre Pie VI, avoit de fait protesté d'avance contre cette perfidie philosophique, lorsqu'animé du même esprit que les Clément, les Evariste, les Soter, les Anthère, les Fabien, les Grégoire-leGrand, il avoit pris les mesures les plus propres pour que l'on fit parvenir à Rome les actes des évêques, des prêtres, des religieux, des religieuses, et des laïques de l'un et de l'autre sexe qui, dans toutes les parties de la France, étoient mis à mort pour la cause de la religion. Eh! combien de fois ne vit-on pas ce grand pape, lorsque ces actes étoient déposés dans ses mains pontificales, les baiser avec un saint transport, comme dignes du culte même du Père commun des fidèles! Il se complaisoit à les rassembler, par ordre de diocèses, en des archives spéciales qu'il s'étoit formées à cet effet, dans le plus intime de ses appartemens, se proposant d'en envoyer ensuite la collection imprimée à toutes les Eglises, pour y ranimer la Foi par tant d'héroïques exemples. Heureusement cet immortel pontife, dans sa vaste prévoyance, permit d'en prendre des copies, et voulut qu'on se mît à les publier dès lors successivement

(1) Voyez p. 12 de l'avertissement préliminaire de l'Histoire du Siège de Lyon, des événemens qui l'ont précédé, et des désastres qui l'ont suivi, ainsi que de leurs causes secrètes, générales et particulières (depuis 1789 jusqu'en 1796); 2 vol. in-8°, Paris,

1797.

dans des mémoires contemporains (1). Ces monumens religieux, si honorables pour la France, n'ont donc pu être totalement détruits, quand les délégués de nos persécuteurs, envahissant et spoliant la demeure du Saint-Père, en février 1798, y enlevèrent les archives de nos triomphes dans la Foi, quand ils les brûlèrent avec la même rage et pour les mêmes motifs que les préfets de Dioclétien avoient réduit en cendres les actes des Martyrs de la primitive Eglise.

En regrettant ceux des actes du même temps qui ont péri dans cette occasion, nous nous félicitons néanmoins de ce que, par le moyen des Mémoires ordonnés par le pontife, il en resteroit même assez pour la gloire de l'Eglise gallicane, sans le grand nombre d'autres que nous sommes parvenus à nous procurer. Il y a vingt-six ans que nous nous disions à nous-même ce que l'un de nos plus vénérables prélats écrivit, en 1794 au même prêtre français qui remplissoit, à Rome, avec tant d'ardeur et de persévérance les vues pontificales dont nous venons de parler. «< Si nous n'avons point eu, comme tant d'autres, l'honneur de sceller de notre sang la religion de nos pères, et si nous survivons à ces hé

(1) Cet illustre et saint pontife donna l'ordre à M. l'abbé d'Hesmivy d'Auribeau, archidiacre, official et vicaire-général de Digne, réfugié à Rome, de publier, sous l'inspection du savant et pieux cardinal Gerdil, les faits divers qui pourroient servir à l'histoire ecclésiastique de ce temps-là. Nous sommes redevables aux travaux de cet infatigable rédacteur, de quatre gros volumes in-8°, lesquels, bien qu'en très-petits caractères, sont encore loin de contenir tout ce qu'il importoit de savoir. Les deux premiers, imprimés à Rome en 1794 et 1795, sont intitulés : Mémoires pour servir à l'Histoire de la Persécution française, recueillis par les ordres de N. T. S. P. le pape Pie VI, et dédiés à Sa Sainteté. Ils contiennent ensemble 1279 pages de pièces diverses, accompagnées des réflexions de l'éditeur. Les deux autres volumes, imprimés aussi en Italie, en mai et juin 1814, ont pour titre: Extraits de quelques Ecrits de l'auteur des Mémoires pour servir à l'histoire de la Persécution française. Ils renferment un grand nombre de faits et de documens intéressans qui ne sont point dans les premiers,

roïques confesseurs de la Foi, c'est que, dans les secrets desseins de la Providence, nous devions rester chargés, pour la gloire et l'utilité de l'Eglise, du soin de transmettre aux générations futures les actes de leur Martyre (1). »

Et ce prélat n'étoit certes pas le seul qui exprimât le même désir, et qui cherchât à le réaliser en ce qui pouvoit être de sa compétence individuelle. Il en est plus d'un sans doute qui, se glorifiant dans le Seigneur de ce que son église particulière fournissoit à la Foi des témoins généreux qui mouroient pour elle, chargea quelque membre de son clergé, à l'exemple de saint Cyprien, de noter leurs noms, le jour et les édifiantes circonstances de leur mort (2). Dans ce point, comme

(1) Emmanuel-François de Bausset de Roquefort, évêque de Fréjus depuis 1766, étoit âgé de soixante-trois ans quand, pendant son séjour auprès du vénérable cardinal Mattei, archevêque de Ferrare, aujourd'hui doyen du Sacré-Collége, il écrivit ce qu'on vient de lire. On trouve à la fin du 2o vol. des Extraits cités plus haut, depuis la page 160 jusqu'à 628, in-8°, sous le titre de Jugemens de plusieurs Evêques sur les Mémoires pour servir à l'Histoire de la Persécution française, les lettres de plus de quarante prélats français à M. l'abbé d'Auribeau, dont les unes contiennent des renseignemens authentiques sur leurs diocèses, avec le désir qu'ils fussent présentés au souverain pontife, et les autres des encouragemens pour soutenir son zèle dans sa longue et pénible entreprise. M. l'évêque de Sisteron, François de Bovet, aujourd'hui archevêque de Toulouse, lui écrivoit de Fribourg en Suisse, le 14 janvier 1795 : « C'est rendre justice à l'Eglise gallicane, que d'apprendre aux différens peuples les traits qui ont caractérisé l'atrocité de la persécution, et le courage des confesseurs. » L'année suivante, feu M. l'évêque du Puy, Marie-Joseph de Gallard de Terraube, après avoir vu les deux premiers volumes des Mémoires de M. d'Auribeau, lui écrivit de Saint-Maurice en Valais, le 3 avril 1796: «Vos deux premiers volumes sont déjà un riche dépôt, qui le deviendra toujours davantage. Il ne pourra nécessairement se compléter et se perfectionner qu'avec le temps; mais il faut toujours emmagasiner ce qui se présente de bonne main, pour que rien ne se perde, s'il est possible.

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(2) M. l'archevêque de Lyon, Yves-Alexandre de Marbeuf, nous écrivoit à nous-même de Bouchoven près Bois-le-Duc, à la même

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