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et vils instrumens, ses propres attentats. Mais a-t-elle, pour cela, déposé son incurable haine contre les immuables royalistes? Eh! comment ceux-ci ne la reconnoissent-ils pas mieux qu'ils ne le font, à l'aversion qu'elle ne peut s'empêcher de leur témoigner? De qui partent ces ironiques sobriquets proscripteurs, d'ultra-royalistes (1), desquels il résulte, pour le moins, qu'en se disant royaliste elle-même, elle avoue qu'elle ne l'est point à la manière franche, loyale et courageusement désintéressée de ceux qui le furent toujours, jusque dans la misère et devant les échafauds? N'est-il à craindre que, tant qu'on ne l'aura pas démasquée, en remontant jusqu'à son origine, à ses desseins primitifs, et la suivant dans la succession très-conséquente de ses manéges, l'on ne reste sous le joug de sa perfide influence, par cela seul qu'on resteroit

pas

(1) Par son air de famille avec la qualification d'ultra-révolutionnaires que les Cordeliers créèrent en 1794, et appliquèrent aux hommes de la faction qu'ils redoutoient le plus, la moderne qualification d'ultra-royaliste fait comprendre qu'elle a la même origine. Jaloux des Bourbonniens sous les Bourbons, comme ils le furent des hommes de Roberspierre, ils poursuivent les premiers avec la même formule qu'ils employèrent contre les seconds, sans que les gens superficiels sachent y voir autre chose qu'une épigramme. Ce n'étoit pas ainsi que jugeoit Roberspierre au sujet de la première. « Il y a, disoit-il, plus d'esprit que de justesse dans la qualification d'ultra-révolutionnaires donnée à ces vils scélérats que la tyrannie soudoie pour surcharger notre révolution d'excès ou funestes ou ridicules (les fêtes de la déesse Raison, etc.) ». Et, en s'exprimant ainsi, Roberspierre attaquoit «< cette philosophie vénale et prostituée qui, disoit-il, renversoit les autels, opposoit la religion au patriotisme, mettoit la morale en contradiction avec elle-même, confondoit la cause du culte avec celle du despotisme, les catholiques avec les conspirateurs, et vouloit forcer le peuple à voir dans la révolution, non le triomphe de la vertu, mais celui de l'athéisme, et la destruction de toutes ses idées morales et religieuses, dans ces jours où le crime de conspirer contre l'Etat se réduisoit au crime d'aller à la messe, et où dire la messe étoit la même chose que conspirer contre la république ». (Discours de Roberspierre, trouvé parmi ses papiers, et consigné sous le n°. LII, dans le Rapport de Courtois contre Roberspierre à la Convention, le 16 nivose an III, 6 janvier 1795, aux pages 201 et 211.) En faisant de cette pièce un grand chef d'accusation contre Roberspierre, cent soixante-un jours après sa mort, les Thermidoriens ne pou→ voient dévoiler plus clairement la faction à laquelle ils-appartenoient.

dans les illusions qu'elle a faites depuis le 9 thermidor? Notre lecteur se convaincra de plus en plus, par la suite, que c'est non seulement connoître mal la révolution, mais encore servir, sans le vouloir, d'anciens oppresseurs, que d'adopter aveuglément leur astucieux langage, en n'accusant que les Jacobins et leur Roberspierre, sans parler de Danton et de ses Cordeliers.

Ce furent, à la vérité, les Girondins qui complotèrent l'attentat du 10 août 1792, d'abord chez la femme de ce ministre Roland, qu'ils protégeoient (1), et ensuite dans une auberge de Charenton (2); mais ce furent les Cordeliers qui voulurent en diriger activement l'exécution. Ce furent eux qui, pour cela, nommèrent, le 9 août, dans leur club, ceux de leurs membres les plus effrénés, par qui les fonctions municipales de Paris devoient être et furent effectivement envahies, dans la nuit du gau 10. Ce furent enfin ces hommes de la commune athéiste du 10 août, que Danton, devenu ministre de la justice, dans l'intervalle, chargea de préparer et faire exécuter les massacres de septembre (3).

Roberspierre étoit sans doute alors de la société des Cor

(1) Nous avons entendu raconter par Rovère, membre de l'Assemblée législative, puis de la Convention, ensuite du Corps législatif, et cela dans l'été de 1797, lorsque, revenu de ses écarts, il devenoit digne d'être déporté par le Directoire à la Guiane où il le fut effectivement, après la catastrophe du 18 fructidor, et où il mourut le 11 septembre 1798 (voy. GUIANE); nous lui avons entendu raconter qu'en juillet 1792, passant dans la rue de la Harpe où demeuroit cette femme, il vit venir à lui Barbaroux qui sortoit de chez elle, et que Barbaroux lui dit avec feu : « Le siége des Tuileries vient d'être décidé; et je vais faire venir mes Marseillais ». L'expédition fut suspendue, parce que dans l'intervalle, le roi consentit à reprendre Roland pour ministre; mais bientôt il le répudia.

(2) Aveu de Barbaroux dans la Convention, séance du 30 octobre 1792. (Voy. Moniteur du 1er novembre, même année); et Histoire particulière des événemens qui ont eu lieu en France, pendant les mois de juin, juillet, août et septembre 1792, par M.... de la Varenne. Paris, 1806.

(3) Ibid. -Voy. encore Histoire des Crimes de la Révolution; par L. Prudhomme. Paris, 1797, au tome IV, pag. 87 et 91.-Histoire de la Révolution

deliers, mais avec des vues différentes de celles de leurs chefs, avec des vues d'ambition personnelle d'un ordre plus hardi, et que l'avenir trahira. De l'aveu même de ceux qui, les ayant à peine entrevues (1), se déclarèrent bientôt ses enne

du 10 août; par Peltier; réimprimée à Paris, en 1797, sur l'édition de Londres, au tom. II, chap. 8.-Histoire secrète du Tribunal révolutionnaire; par M. de Proussinalle, Paris, 1815, au tom. Ier, chap. 2: où, comme dans les précédens ouvrages, il est démontré que le complot fut arrêté chez Danton, entre lui et Marat, puis organisé à la commune, par Billaud-Varennes qui se chargea de trouver des juges et des bourreaux. Ce ne sont pas là les seuls écrits qui nous aient servi de guide : on nous verra citer, en outre, Mon agonie de trente-huit heures; par le chevalier de Journiac, de Saint-Méard. Paris, 1792; la Relation de M. l'abbé Sicard, sur les dangers qu'il a courus les 2 et 3 septembre, à la Mairie et à l'Abbaye. Paris, 1797; l'Histoire du Clergé pendant la révolution française; par M. l'abbé Barruel. Londres, 1793: copié, en ce qui concerne les massacres faits aux Carmes et à Saint-Firmin, par les Annales catholiques de 1797. Nous avons aussi consulté, mais avec toute la défiance convenable, l'écrit que publia, en 1794, sous un voile anagrammatique, Méhée, secrétaire du secrétaire - greffier de la commune : La vérité toute entière sur les vrais auteurs de la journée du 2 septembre, et sur plusieurs journées et nuits secrètes des anciens comités de gouvernement, par Felhemesi; et nous n'avons point négligé ce qu'il y a de relatif à ces événemens dans les Mémoires manuscrits de Sénart. Nous avons, de plus, consulté ceux des prêtres qui, ayant échappé miraculeusement à ces carnages, vivoient encore. A toutes les notions que ces divers moyens nous ont procurées, nous avons ajouté des enquêtes personnelles chez les particuliers qui habitoient alors près des lieux de massacre; et même des recherches très-soigneuses sur les Registres d'écrou des différentes maisons où ils se firent, comme sur les Registres mortuaires de l'état civil de Paris, à cette époque.

(1) Guadet assuroit à la Convention, le 30 octobre 1792, que les vues de Roberspierre lui avoient été dévoilées avant le 10 août, en ce que «< Roberspierre l'ayant fait venir chez lui avec un autre député, nommé Rebecqui, et ne leur ayant parlé que de la nécessité de se rallier à un homme jouissant d'une grande popularité, sans le nommer: Panis, qui étoit présent, et sortit avec eux, leur désigna Roberspierre pour dictateur.» (Moniteur du 1er novembre 1792.) L'idée qu'il faudroit avoir de lui, pourroit se déduire de celle qu'une femme célèbre par son esprit donnoit de Buonaparte, en 1800, lorsqu'elle l'appeloit : « Roberspierre-à-cheval », c'est-à-dire Guerrier : qualité sans laquelle il n'eût pas réussi dans un dessein analogue. Le légiste Roberspierre n'auroit donc été que Buonaparte-à-pied. Pouvoit-il dès lors ne pas échouer ?

mis, la part qu'il eut à leurs manœuvres, pour l'attentat du 10 août et les massacres de septembre, est restée tout au moins fort incertaine. Le Girondin Guadet lui reprocha, avec fureur, le 12 avril suivant, de s'être opposé, en 1791 et en juillet 1792, à cette déclaration de guerre qui avoit tant contribué à la chute de la monarchie; «< d'avoir même alors parlé, disoit Guadet, comme les plus déterminés royalistes, et d'avoir voulu qu'on se laissât subjuguer par les ennemis de la révo lution (1) ». Un autre Girondin fameux, nommé Barbaroux, qui fut l'un des plus ardens promoteurs de l'attentat exécuté le 10 août, avoit déjà dit, avant Guadet, le 30 octobre d'après l'événement, et pour faire connoître que Roberspierre n'étoit, au fond, ni Girondin, ni Cordelier, qu'il avoit évité de se trouver chez Roland, et dans ce comité de Charenton, où cet attentat fut définitivement combiné et résolu (2), Un troisième Girondin, Vergniaud, le dénonça, le 10 avril suivant, comme indigne de la prétendue gloire de cette horrible journée, l'accusant de s'être « prudemment enseveli dans une cave, pendant l'attaque du château des Tuileries, tandis que

(1) « Il ne vouloit pas la guerre contre les armées ennemies - coalisées, qui marchoient sur le territoire français, disoit Guadet, lorsque nous, Girondins, nous l'avons voulue. Ah! les Des-Essarts de ce temps-là, les Qurosoy vous disoient aussi qu'il falloit se laisser subjuguer par ces armées, auxquelles les émigrés étoient réunis. C'est encore un trait de ressemblance que je trouve entre Roberspierre et nos ennemis communs ». (Moniteur du 15 avril 1793.) (2) « O vous qui combattîtes au Carrousel, le 10 août, s'écrioit Barbaroux, Parisiens, fédérés des départemens, gendarmes nationaux, dites: Ces hommes (Marat, Panis et Roberspierre) étoient-ils avec vous? Aucun d'eux n'étoit chez Roland, lorsqu'on y traçoit la plan de défense du Midi qui devoit reporter la liberté dans le Nord, si le Nord eût succombé. Aucun d'eux n'étoit à Charenton, où fut arrêtée la conspiration contre la Cour, qui devoit s'exécuter le 29 juillet, et qui n'eut lieu que le 10 août..... Tous les systèmes que Robespierre adopte compromettent le peuple. S'il parle contre les perfidies de la Cour, il attaque avec un égal acharnement les hommes qui, dès long-temps, avoient conjuré la perte de la Cour; et, traversant leurs opé-rations par des dénonciations, il prolonge ainsi, au détriment du peuple, l'agonie mal-faisante de la Royauté ». (Moniteur du 1er novembre 1792.)

lui, Vergniaud, présidoit cette commission des vingt-un, qui favorisa cette attaque (1), et que Guadet présidoit l'Assemblée même qui fit le Roi prisonnier (2)». Comme Roberspierre avoit d'ailleurs refusé d'être président et même membre de ce tribunal extraordinaire qui fut créé le 17 août, pour juger les Durosoy, et autres défenseurs du trône, Barbaroux en concluoit, contre lui, « qu'il n'étoit pas, autant qu'on le croyoit, l'ennemi de la royauté (3) ». Lorsqu'à l'époque où les Girondins jugèrent prudent d'écarter de leur république la souillure des massacres de septembre, Barbaroux et Louvet cherchoient à la rejeter sur Roberspierre, pour le rendre plus odieux; celui-ci leur répliqua : « Ceux qui ont avancé que j'avois eu la moindre part à ces événemens, sont des hommes, ou excessivement crédules, ou excessivement pervers : je dirai, pour ceux que l'imposture auroit pu égarer, que, dès avant l'époque où ils sont arrivés, j'avois cessé de fréquenter le conseil-général de la Commune, parce que l'Assemblée Electorale, dont j'étois membre, avoit commencé ses séances (4)». Comme ses adversaires ne répondirent point à ce défi de soutenir une telle accusation; comme on ne la reproduisit plus, tant qu'il pouvoit y répondre, car on ne l'a renouvelée qu'après sa mort, l'historien judicieux n'en doit parler qu'avec une sage défiance.

(1) Commission, ou comité des Vingt-Un, composée de membres de l'Assemblée législative, et chargée des mesures de sûreté générale. Elle fut le précurseur du fameux comité de ce nom, établi le 21 janvier 1793.

(2) Moniteur du 13 avril 1793. Le président d'ordre se trouvoit être, le 10 août, depuis plusieurs jours, l'honnête Lafond - Ladebat; il abandonna le fauteuil de la présidence d'où il ne pouvoit rien empêcher; et ce fut Guadet qui prit sa place.

(3) Moniteur du 1er novembre 1792.

(4) Il reprochoit en même temps à Louvet d'avoir très-solennellement applaudi à ces massacres par son journal, La Sentinelle, qui s'affichoit sur les murs de Paris, lorsque celui-ci avoit commencé le placard du lendemain des massacres, par ces mots : « Honneur au conseil général de la Commune ! Il a fait sonner le tocsin (signal du carnage); et il a sauvé la patrie ». (Séance du 5 novembre 1792, dans le Moniteur du 6.)

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