Page images
PDF
EPUB

lés; c'est que Roberspierre s'étoit, dès les commencemens, déclaré l'ennemi des Girondins, jusqu'à leur reprocher, en face de la Convention, le 10 avril 1793, d'avoir voulu l'attentat du 10 août, «< pour rappeler, dès le lendemain, au ministère leurs créatures, Servan, Clavière et Roland (1); c'est que les Girondins conjurèrent sa perte; que, pour les désarmer, au 31 mai suivant, il agit de concert avec Danton et ses Cordeliers; que, lorsqu'il n'eut plus à redouter la faction Girondine, il se tourna contre Danton et les siens; qu'après l'avoir fait périr avec quelques uns d'eux, il travailloit à la destruction de tous les autres (2), quand ceux-ci le terrassèrent; et enfin que ceux-ci, étant devenus vainqueurs, firent un traité de paix et d'alliance perpétuelle avec les Girondins. Toutes ces choses se trouveront plus amplement démontrées dans l'article Lois et TRIBUNAUX RÉVOLUTIONNAIRES.

Après cette digression, qu'exigeoit la critique historique, revenant aux massacres de septembre 1792, nous remarquerons d'abord que ce ne fut pas sans une parfaite connoissance des faits que, luttant principalement alors contre les Cordeliers et la Commune, le député Lanjuinais, qui avoit été l'un des auteurs et des plus chauds défenseurs de la constitution civile du clergé, exposoit ainsi les circonstances du complot des massacres, dans le sein même de la Convention : « Les listes des victimes avoient été dressées par des hommes en place; on sait par les ordres de qui ces victimes furent amoncelées dans les prisons; que les bourreaux salariés recurent cent sous par tête ; que des registres des sections, et même de la Commune, portent en ligne de compte le prix de ces forfaits (3)».

(1) Séance de la Convention du 10 avril 1793. Moniteur du 12.

(2) Dans la séance de la Convention du 24 prairial (12 juin 1794), Roberspierre parlant contre Bourdon (de l'Oise) et Tallien, disoit avec menaces: « Le système des Chabot, des Hébert, des Danton, des Lacroix est resté organisé». Moniteur du 26 prairial (14 juin 1794).

(3) Séance du 8 février 1793. Moniteur du 10.

Mais ce que nul historien politique n'a fait remarquer, c'est que ces massacres eurent pour premier mobile la haine de l'Eglise catholique, puisqu'ils furent dirigés principalement contre les prêtres qui avoient refusé d'adhérer à cette constitution civile du clergé. La preuve en est évidente, car ce furent eux que, dès le lendemain du 10 août, les proscripteurs se hâtèrent de poursuivre et d'emprisonner. Dans l'après-midi du 11, il y en avoit déjà soixante-deux amenés devant le comité de la section du Luxembourg, siégeant dans une des salles du grand séminaire de Saint-Sulpice ; et, le soir même, ce comité les fit enfermer dans l'église des Carmes de la rue de Vaugirard (1). Le 13 août, on en comptoit déjà cinquante-deux autres emprisonnés dans le séminaire de Saint-Firmin, où il en fut encore amené vingt du 13 au 28 (2). Ce fut seulement le 28 au soir que commencèrent, dans Paris, ces visites domiciliaires qui procurèrent, avec quelques prêtres, tant de prisonniers laïcs (3). La poursuite des insermentés se continua, sans interruption, et avec une rage spéciale, jusqu'au jour et à l'heure du massacre, au point

(1) Echappé au massacre, notre ami de quarante ans, Jean-Marie Berthelet de Barbot, prêtre-chanoine de Chartres, vicaire-général du diocèse de Mende, mort à Paris le 5 décembre 1818, nous disoit de vive voix après nous l'avoir écrit : « J'appris, le 11 août après midi, que des gardes nationaux étoient venus chez moi pendant mon absence pour me conduire à ma section, celle du Luxembourg.... Je m'y rendis de moi-même, et m'adressai à Legendre qui la présidoit pour savoir ce qu'on vouloit de moi. Il me fit passer dans une salle voisine où je trouvai trois particuliers qui me demandèrent si j'étois prêtre, etc. Sur ma réponse affirmative, ils m'envoyèrent dans une autre pièce où je fus bientôt rejoint par M. l'archevêque d'Arles. Nous y restâmes jusqu'à neuf heures du soir, ignorant ce qu'on vouloit faire de nous. Nous fumes appelés alors, fouillés, et réunis à soixante autres ecclésiastiques environ, et conduits avec eux, entourés de gardes, par les souterrains du grand et du petit séminaire, dans l'église des Carmes, etc. »>

(2) Voy. ci-après, dans la copie figurée du Registre d'écrou du séminaire de Saint-Firmin, les dates respectives de l'emprisonnement de chacun d'eux. (3) Le décret par lequel elles étoient ordonnées ne fut rendu que le 28 août.

d'aller attendre aux barrières de la ville ceux qui en sortoient avec des passeports, conformément à la loi de déportation décrétée le 26 août, pour les arrêter et les amener dans les prisons où devoit se faire le carnage. La populace étoit d'ailleurs particulièrement ameutée contre ces prêtres : c'étoit au travers de ses huées, de ses insultes et de ses menaces, que chacun d'eux étoit conduit au comité de la section dans l'arrondissement de laquelle il avoit été saisi.

Les sections qui en avoient un plus grand nombre pour habitans, étoient celle du Luxembourg, dans l'arrondissement de laquelle se trouvoient beaucoup d'établissemens ecclésiastiques ; et celle du Jardin (botanique) du Roi, ou des Plantes, qui n'en contenoit pas moins d'également recommandables par la piété comme par le savoir. Les hideux révolutionnaires de celle-ci venoient de lui donner, dans leur ignoble brutalité, le nom de section des Sans-Culottes ; et leur comité siégeoit dans l'église même de Saint-Firmin. C'étoit, ce semble,. pour bien caractériser l'esprit des massacres prochains, qu'on y préludoit par la plus révoltante profanation des sanctuaires et des plus saints asiles du sacerdoce. Il ne falloit pas que rien laissât douter que ces captifs de Jésus-Christ seroient immolés en haine de leur Foi.

Le vénérable archevêque d'Arles fut un des soixante-deux que l'on amena, le 11, devant le comité de la section du Luxembourg (1). Tous y furent livrés à trois membres de ce

(1) Voyez la Relation de l'abbé Berthelet. - Qui ne seroit indigné, d'après cela, de ce que l'officieux Moniteur raconta de ce saint archevêque dans son tardif autant que mensonger récit des événemens? Il disoit le 6 septembre : « Quelque déconcertés que dussent être les conjurés, depuis la journée du 10 août.... ils n'avoient pas pour cela abandonné tout espoir de succès........ On avoit eu connoissance par des indices particuliers, des aveux publics, des dénonciations signées, que pendant la nuit les prisons seroient ouvertes pour faire évader les conspirateurs; que les autres détenus, dont le nombre étoit considérable, et auxquels on devoit donner des armes, autant qu'il seroit possible, se répandroient dans la ville, forceroient les corps-de-garde, désarmeroient les citoyens;

comité, dans une salle particulière, pour être reconnus par eux, l'un après l'autre, comme prêtres insermentés. Dans leurs réponses à ces interrogateurs, ils s'honorèrent d'être revêtus du sacerdoce de Jésus-Christ; de n'avoir point fait le serment, et d'être disposés à mourir plutôt que de le prêter. Ces trois commissaires les firent passer dans une chambre de détention, où ils restèrent pour attendre la décision unanime du comité à leur égard. Quand elle fut arrêtée, vers neuf heures du soir, on se mit à les fouiller comme de vils criminels, pour leur enlever ce qu'ils pouvoient avoir d'ustensiles usuels, avec lesquels d'autres qu'eux auroient été capables d'attenter à leur vie ou à celle de leurs persécuteurs; et des gardes nombreuses les conduisirent à l'église des Carmes. Quand ils y arrivèrent, et qu'on les y écroua, ils n'y trouvèrent que quelques mauvaises chaises pour se délasser d'une journée aussi pénible. « Là, nous disoit naguère encore l'abbé Berthelet, sauvé des massacres (1), il nous fut défendu de nous parler : un garde fut mis à côté de chacun de nous, et l'on nous apporta, pour toute nourriture, du pain et de l'eau. C'est ainsi que nous passâmes la première nuit; et, jusqu'au cinquième ou sixième jour, nous couchâmes sur le pavé de l'église. Il fut ensuite permis à ceux

et, réunis à quelques autres brigands, s'introduiroient dans les maisons pour piller et incendier. Le dimanche 2, tandis que les citoyens électrisés par la proclamation de la commune provisoire, se rassembloient dans leur section pour s'enrôler et pour y délibérer sur les dangers de la patrie, seize particuliers armés de pistolets et de poignards avoient été arrêtés. L'ARCHEVÊQUE D'ARLES et le vicaire de Saint-Ferréol de Marseille étoient du nombre; on veut les conduire de la cour du Palais au comité des Quatre-Nations; ils font résistance, et l'un d'eux tire un coup de pistolet qui blesse mortellement un citoyen. Alors ils deviennent victimes de leur propre fureur. Les bruits de l'évasion projetée des prisonniers inspirent plus de crainte ; ils s'accroissent par des indices plus certains... L'indignation du peuple étoit à son comble.... Eh bien ! qu'ils meurent tous!..... s'écrie un citoyen qui venoit de s'enrôler. Que les scélérats meurent tous !..... Cette résolution subite se propage avec une activité incroyable. Le peuple se porte de toutes parts aux prisons, etc. ». (1) Relation écrite par lui-même.

qui en avoient les moyens, de se procurer des lits de sangle et des paillasses. Le lendemain du jour où nous avions été enfermés étant un dimanche, nous demandâmes la permission de dire ou d'entendre la messe ; et cette consolation nous fut refusée, non seulement ce jour-là, mais encore pendant tout le temps de notre détention. Nous évitâmes avec soin de donner aucun sujet de plainte contre nous; et nous rejetâmes même la proposition qui nous fut faite, à différentes reprises, par un jeune homme nommé Vigouroux, qui portoit l'habit ecclésiastique sans être attaché à cet état, de profiter des occasions qu'on sembloit nous offrir de prendre la fuite; car on laissa plusieurs fois des portes ouvertes, et même des armes à notre disposition. Sans examiner si c'étoit, ou non, une perfidie, n'écoutant que notre conscience, nous craignîmes de nous rendre coupables, ou de compromettre quelqu'un par la fuite; et nous continuâmes à rester soumis aux ordres que nous avions reçus. Cependant notre prison se peuploit tous les jours davantage; et, comme c'étoit la nuit principalement qu'arrivoient d'autres prisonniers, nous étions fréquemment troublés, dans notre sommeil, par les propos outrageans et le cliquetis des armes des gardes qui les ame

noient ».

Il en étoit de même dans le séminaire de Saint-Firmin, où, dès le 13 août, le comité de la section des Sans-Culottes constitua prisonniers les vertueux prêtres de cette maison, et où, chaque jour, il s'en faisoit amener d'autres de tous les quartiers de la section, par des forcenés révolutionnaires, armés de piques et de sabres. Lorsque, devant le comité, ces prêtres manifestoient leur persévérance dans l'éloignement du serment anti-catholique, ils étoient aussitôt emprisonnés avec les précédens.

On n'amena des prêtres insermentés à la prison de l'Abbaye et à celle de la Force, que vers le 26 août, lorsque déjà l'église des Carmes et le séminaire de Saint-Firmin ne pouvoient presque plus en contenir d'autres; mais plusieurs de ceux-ci,

« PreviousContinue »