Page images
PDF
EPUB

en faisoit trembler, pour leur vie, beaucoup de membres,

servant, et celle qui faisoit les préparatifs : tous les autres furent mis en liberté. Je cherchai ses papiers: il n'y en avoit pas ; je ne trouvai qu'une lettre écrite à Roberspierre au nom de la Mère de Dieu, dans laquelle elle l'appeloit son premier prophète, son ministre chéri, et le félicitoit sur les honneurs qu'il rendoit à l'Etre-Suprême son fils. Chez Gerles, je trouvai une lettre de la fille d'un concierge du château de Mme de......., qui le félicitoit sur ses dernières visites. J'y trouvai aussi une feuille écrite en trois colonnes, intitulées l'une Signa, l'autre Verba prophetæ, et la troisième Eventus. Je traduisis en français les versets latins qui étoient dans les colonnes. Sous le titre de Signa, on lisoit : « Tu mettras la main sur sa tête en la regardant comme le gage du serment; l'autre sur le front, et ce sera le sceau; ses yeux seront purifiés pour la lumière, son nez pour la prévoyance, sa bouche pour le don de la parole, ses joues pour l'amitié, ses oreilles pour l'entendement, son menton en signe d'alliance; le signe en forme d'équerre est celui de l'égalité ». Sous le titre Verba prophetæ étoient les souhaits suivans : « Que les profanes périssent; que le grand Dieu soit vengé; que tout s'humilie et s'abaisse ; que le serpent soit écrasé; que les armées soient victorieuses; que les chefs se réunissent; que l'union soutienne la phalange ». Enfin, sous le titre Eventus, étoit ce qui suit : « A l'instant où ils s'élèveront, ils seront abaissés; les élus seront rendus à la vie éternelle; le moment du grand coup sera l'instant d'une fête. Ils seront écrasés, exterminés, et, à défaut, désignés. La Mère règnera; les prophètes gouverneront; l'Etre-Suprême dirigera tout ». Chez un nommé Lamothe, médecin, s'est trouvé un écrit intitulé: Révélations de la Mère de Dieu, où étoient plusieurs passages relatifs à ce qui vient d'être exposé. Il prétendit que c'étoit un recueil sur les somnambules. On ne devra pas perdre de vue que Lamothe s'est dit médecin de la princesse de....... Quelques jours après, j'arrêtai le prophète Elie, espèce de prédicateur, qui se répandoit dans les quartiers isolés de Paris et dans les campagnes, et je le saisis à l'instant où il prêchoit la loi des prophètes. Je pris sur lui un livre de carton vert, écrit à la main, et contenant le secret des prophètes, l'un desquels étoit celui de se rendre invisible en tuant un autre, et surtout les profanes députés à la Convention, comme encore le secret de faire ressusciter les élus des prophètes par des prières, et par l'usage de quelques simples, préparés d'une certaine manière. Ce fait particulier et important ne fut pas expliqué par Vadier. Le comité crut devoir le tenir secret ainsi que celui de la lettre qui, en désignant Roberspierre comme le premier prophète, attestoit sa complicité. Les mystères dont on a couvert cette lettre, ainsi que les maximes et préceptes du prophète Elie, ont fait regarder par le public comme une fable ce qui étoit réel: On ne parla point de l'usage des signes, du projet du nouveau trône, de l'extermination des profanes, des rapports des combats, de l'effusion de sang, des différens rapprochemens des prophètes. Ces moyens prétendus de se rendre invisible en tuant, annonçoient une ramification de

dantonistes et leurs adhérens. (1). Cette loi que, dans la

complots fanatiques et sanguinaires. La lettre, désignant le premier prophète, et adressée à Roberspierre comme prophète, le présentoit comme un nouveau Mahomet qui vouloit établir une loi religieuse constitutionnellement dominante, s'élever au trône par les mains des fanatiques, cimenter son trône par le sang des non-croyans, et régner sur des fanatiques égarés. L'histoire de la Mère de Dieu n'est point une fable; et comment concevoir que Gerles, Lamothe, Roberspierre, eussent joué un rôle aussi imbécile, eussent adopté tant d'absurdités, s'ils n'y eussent été intéressés par des vues particulières? Le nombre des sectaires étoit incalculable; il y en avoit partout. Souvent, dans les rues, j'ai fait le signe, et l'on me répondoit. Pourquoi le trône au Panthéon, si ce n'eût été celui du dictateur ? Pourquoi la mort des rebelles désignés sous le nom de profanes, au dictateur? Qu'entendoit-on par les profanes, si ce n'étoient les députés (Dantonistes) proscrits? Pourquoi Roberspierre a-t-il donné un certificat de protection à Gerles? Quel autre que lui a jamais pu en produire? Pourquoi Gerles alloit-il dans le château de la princesse de porter la parole du prophète ? A ces diverses réflexions, il faut joindre celles que font naître les renseignemens et différentes pièces résultant de l'observation de la secte de ces illuminés, les réunions de gens de tous états dans l'hôtel de la princesse de..................., à Paris. Il faut savoir aussi que Roberspierre s'étoit emparé des pièces relatives à l'hôtel de cette princesse ; qu'il les avoit demandées au comité de sûreté générale, long-temps avant que les rassemblemens chez la Mère de Dieu fussent connus du comité ; qu'il a, depuis lors, refusé de les remettre; mais que le comité s'en est procuré des copies provenant des cartons du ministère de l'intérieur et de la municipalité de Paris; que Lamothe étoit médecin de cette princesse; que c'étoit dans son château que Gerles alloit prêcher la parole du Seigneur.

.......

Parmi les pièces trouvées chez Gerles, on remarquoit plusieurs lettres signées de la soi-disant colombe de Dieu, indiquant des rendez-vous avec « le bienheureux Gerles, le Fils chéri de Dieu, le Fils aimé de Dieu, le favori des colombes de Dieu ».

J'ai interrogé un boiteux qui venoit demander à la Mère de Dieu une jambe ; un autre qui disoit qu'elle lui avoit rendu la vue. D'autres prétendoient qu'elle leur avoit fait recouvrer la parole; d'autres enfin qui, suivant que le porte mon procès-verbal, assuroient qu'elle les avoit guéris de paralysie, de lépre, de maux incurables. Ils venoient la remercier. Une femme m'a dit et a signé << qu'elle avoit vu Dieu, comme un homme en robe blanche, parler à la Mère de Dieu, etc. » Peut-on croire que tout cela n'ait pas été inventé et publié à dessein d'égarer les esprits? L'on conçoit aisément l'affiliation de Roberspierre, qui, comme premier prophète, devoit sans doute occuper le fauteuil vacant à droite de la Mère de Dieu. Pourquoi sa fête à l'Etre-Suprême et son système à cet égard »?

(1) Ils étoient les mêmes qu'avant cette loi. Villate dit à la page 18 de ses

suite, ils sont parvenus à faire croire si monstrueuse à ceux qui ne la connoissoient pas, n'étoit presque redoutable que pour les chefs de leur faction. Elle avoit investi les deux comités du droit de livrer au nouveau tribunal révolutionnaire tous les proconsuls et autres membres de la Convention, «qui avoient, disoit-elle, abusé des principes de la révolution, des lois et des mesures du gouvernement, par des applications fausses et perfides; ceux qui avoient cherché à dépraver les mœurs, à corrompre la morale publique; ceux qui s'étoient rendu coupables de dilapidations; et tous ceux qui, étant chargés de fonctions publiques, en abusoient pour opprimer le peuple ».

Quoique le sort de ces coupables parût mis entre leurs propres mains, par cette loi, il pouvoit cesser de l'être à raison d'une innovation que Roberspierre, aidé de Couthon et Saint-Just, avoit introduite dans le comité de salut public, lequel, se faisant appeler déjà le jury politique, exigeoit que toutes les victimes qu'il envoyoit au tribunal y fussent condamnées sans examen, et que les juges n'eussent plus d'autre fonction que celle d'appliquer la loi de mort. Cette innovation étoit celle d'un bureau de POLICE GÉNÉRALE. Roberspierre, avec ses deux séides, s'en étant rendu l'arbitre, dirigeoit déjà ses poursuites contre les missions proconsulaires de Fouché, Tallien, Carrier, etc. etc. Les autres membres des deux comités, qui avoient été leurs approbateurs, et même leurs complices, ayant lieu de craindre d'être poursuivis après eux, établirent d'un commun accord, en principe, ce système scandaleux d'impunité qui devoit prévaloir tant que

Causes secrètes de la Révolution, du 9 au 10 thermidor: « Barrère, le seul des Cordeliers (ou Dantonistes) à qui Roberspierre eût pardonné, me disoit : Ce Roberspierre est insatiable. S'il nous parloit de Thuriot, Guffroy, Rovère, Lecointre, Pauis, Cambon, Moustier, et d'autres de la sequelle Dantoniste, nous nous entendrions. Qu'il demande encore Tallien, Bourdon (de l'Oise), Legendre, Fréron, à la bonne heure; mais Duval, mais Audouin, mais Léonard Bourdon, Vadier, Voulland, il est impossible d'y consentir ».

les partisans de Danton, tant que les coupables d'alors seroient puissans dans la société civile (1). Considérant « qu'il seroit inconséquent pour eux de regarder comme des crimes les actes sanguinaires, les délits de vol », ils décidèrent que les punir seroit faire rétrograder la révolution (2). Par là, ils attirèrent, dans leur complot contre Roberspierre, tous les proconsuls qui, à l'abri des pouvoirs illimités qu'ils avoient reçus d'eux, avoient commis ou commettoient encore d'hor

(1) Vadier, dans sa Défense imprimée en 1795, disoit, pag. 8 et 9, que « le comité de sûreté générale avoit tout fait en faveur de Tallien, Fouché, et autres, pour détourner l'effet des dénonciations portées contre eux, par la raison unique qu'ils étoient poursuivis par Roberspierre ».

(2) Révélation faite par Senart dans le chapitre XIV de ses Mémoires. Il ajoute que Moïse Bayle lui dit alors << Les circonstances exigent, quels que soient les crimes de ceux qui paroissent montagnards (c'est-à-dire du parti des ultra-révolutionnaires), qu'il n'en soit poursuivi aucun; c'est un mur dont nous ne voulons pas qu'on arrache un moellon, car le mur tomberoit »>. Un frénétique imberbe qui, émissaire du comité à Bordeaux, y avoit aussi commis de grands crimes, reprochant ensuite à Senart, d'avoir exposé franchement la vérité dans le procès de Fouquier-Thinville où il avoit été appelé comme témoin, lui dit : « Il falloit taire la vérité; le mensonge n'est pas un crime quand il sauve un révolutionnaire, coupable ou non ; c'est un outrage à la révolution que de parler des torts révolutionnaires; et vous vous en repentirez long-temps ». (Voy. ci-devant pag. 144.)

Voilà donc l'origine et la cause de cette maxime d'impunité qui devoit troubler l'ordre social tant que la foiblesse croiroit prudent de la laisser en crédit. Ses fruits ont répondu à la perversité de sa naissance; et voilà pourquoi elle a marché encore, de même qu'en ses premiers jours, avec le cortège de l'impiété dans les bras de laquelle on la vit naître. On ne méconnoîtra pas le système de quelques puissans des temps postérieurs à cet égard, dans une brochure publiée à l'époque des opérations du tribunal Dantoniste du 26 septembre 1793, et qui avoit pour titre : Le Glaive vengeur, avec l'image d'une guillotine en face du frontispice. L'auteur, dans un chapitre intitulé Culte, et qui avoit pour texte ces deux vers abominables :

«Les prêtres de tout temps ont eu l'art d'effrayer,

De mentir, et surtout de se faire payer",

s'exprimoit en ces termes : « Dans une république fondée en un siècle de lumières, et sur les bases de la philosophie, la morale est la vraie, l'unique religion...... Il étoit temps que des ministres trompeurs fussent enfin chássés de nos

ribles excès dans les départemens (1). Quelques uns d'entre eux furent alors maintenus en exercice dans les provinces qu'ils avoient commencé à dévaster (voy. ARRAS, etc.); et d'autres furent envoyés dans celles qui ne l'étoient point encore assez, au gré du comité. (Voy. BORDEAUX, Orange.)

Roberspierre, voyant qu'il ne pouvoit plus y dominer, s'en retira pour n'y plus reparoître, nous déclarant solennellement, au sein de la Convention, le 24 prairial (12 juin 1794), ), que « le système des Chabot, des Hébert, des Danton, des Lacroix, restoit organisé (2) »; et il se retrancha dans la société des Jacobins, où il jouissoit d'une supériorité moins contestée. Il l'y conserva, quoique plusieurs Dantonistes des plus capables de la contrebalancer, tels que Fouché, Tallien, fissent tous leurs efforts pour l'emporter sur lui, dans cette société-là même. Elle n'eut qu'une influence indirecte et foible par ses dénonciations, dans le choix des victimes que le comité de salut public livra au glaive du tribunal révolutionnaire, depuis le jour où Roberspierre s'en étoit retiré. Ce jour auroit été, suivant le rapport officiel du convention

temples par le flambeau sacré de la Raison, et que les chaires du mensonge devinssent celles de la vérité..... Les églises vont devenir l'école du civisme. On n'y verra plus de ces figures ou de ces images de prétendus saints qui n'étoient au vrai que de grands fourbes ou de grands imbéciles......... Plus de sacremens, plus de mystères de religion, plus d'indulgences, de dispenses, d'Agnus Dei, etc...... Enfin les ténèbres ont fui, et le jour s'est fait. Continuons à nous montrer dignes de nos premiers pas dans la carrière de la philosophie..... Reculer! cela est impossible; mais nous arrêter dans notre marche seroit déjà un crime de lèse-société ». Et c'est ainsi que, pour l'impunité des scélérats comme pour la gloire de leur philosophie, ils firent prévaloir cette maxime étrange que « le siècle ne doit pas rétrograder ». Aussi remarquerat-on que c'est par les fauteurs de cette doctrine perverse que les gouvernemens subséquens ont été renversés, toutes les fois qu'avec de timides moyens ils cherchoient à ramener le peuple à des principes de justice et de religion. (1) Senart, Mémoires, chap. XIV.

(2) Voyez, dans le Moniteur du 26 prairial an II (14 juin 1794), la séance du 24 prair. (12 juin 1794).

« PreviousContinue »