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Ainsi donc les prêtres instruits, clairvoyans, franchement orthodoxes, et moins jaloux d'exercer le culte en public que de conserver leur conscience pure, à laquelle cet acte de soumission devoit répugner, n'avoient pas même l'espérance de pouvoir exercer paisiblement les fonctions sacerdotales en des oratoires domestiques, puisque les tribunaux de police correctionnelle étoient appelés à les en punir, avec les pieux laïcs qui leur en auroient fourni de tels, dans l'intérieur de leurs maisons.

Le comité de législation de la Convention, sans doute moins Dantoniste que les autres, ou plus perfide, sembla vouloir, de son autorité privée, faire participer les prêtres insermentés de 1791 aux prétendues faveurs de cette loi. Il écrivit aux administrations départementales « de ne pas exclure de la souscription de l'acte de soumission, les prêtres qui auroient refusé les sermens précédemment ordonnés; ajoutant, comme en principe, que la constitution civile du clergé n'étoit plus une loi de la République ». Mais la Convention s'étoit bien gardée de proclamer de telles dispositions, se réservant la faculté de persécuter ou faire persécuter encore les prêtres, sous le prétexte même du refus des anciens sermens, comme cela arriva dans la suite.

La décision à peu près clandestine du comité de législation séduisit néanmoins beaucoup de prêtres, induits, par la clameur publique, à penser que la persécution avoit fini avec Roberspierre. Plusieurs de ceux qui étoient restés en France, et dont la plupart avoient fait le serment de liberté-égalité, n'hésitèrent nullement à souscrire l'acte de soumission. Mais, parmi ceux qui revinrent alors clandestinement de la déportation, le plus grand nombre, effrayé de l'engagement de se soumettre à des lois criminelles, telles, par exemple, que celle qui les empêcheroit de condamner le divorce, prirent le parti de n'exercer leurs fonctions sacerdotales qu'en des oratoires domestiques. Le conventionnel Ysabeau vint alors soulever contre eux la Convention toute entière, dans la séance du

20 fructidor (6 septembre 1795), disant « qu'il n'y avoit pas une administration, dans toute la République, qui ne se plaignît des prêtres réfractaires rentrés; que le nombre des catholiques étoit si petit, qu'il ne valoit pas la peine qu'on favorisât leurs prêtres chéris; que le nombre des patriotes fidèles à la liberté et à la philosophie, étoit de 10 à 1». Mensonge insigne, car c'étoit à peu près dans cette proportion que les catholiques, en France, surpassoient le nombre des individus sans religion.

Le résultat de ces impostures fut une loi statuant que « les prêtres déportés rentrés (ou censés rentrés, puisque tous ceux qui étoient restés, sans avoir fait le serment de 1791, étoient réputés déportés), seroient bannis à perpétuité, et traités comme émigrés ( c'est-à-dire mis à mort), s'ils rentroient. Que si, trois jours après la publication de la présente loi, quelqu'un d'eux s'avisoit d'exercer son ministère, ne fût-ce qu'en des maisons particulières, ou avoit mis des restrictions, en faisant l'acte de soumission pour exercer en public, il seroit arrêté sur-le-champ, et traduit dans la maison de détention d'un des départemens les plus voisins de son domicile. - Que les propriétaires ou locataires des maisons dans lesquelles le culte se seroit exercé, en contravention à cette disposition, seroient condamnés à une amende de mille livres; et, en cas de récidive, à une détention de

six mois ».

Nous réservons, pour une Histoire générale de la persécution, le détail des vexations impies et des spoliations d'oratoires auxquelles cette loi servit de prétexte. Il nous suffit ici de faire observer que la Convention, dont la session se termina le 25 octobre 1795, ou 3 brumaire an IV, finit avec le même esprit de haine contre la religion, qu'elle avoit manifesté dans toute sa durée. Quelques jours auparavant, c'està-dire le 7 vendémiaire an IV (29 septembre 1795), elle s'étoit encore signalée par un décret qui restreignoit cette foible liberté de culte qu'elle sembloit avoir accordée, et qui

le rendoit plus difficile et plus dangereux pour les prêtres catholiques. Tel étoit le but de cette loi sur l'exercice et la police des cultes, qui fut comme l'expression des dernières volontés de cette assemblée, dont les deux tiers s'acharnèrent si fort à vouloir former celle qui lui succéda, sans doute pour y perpétuer aussi l'esprit de cette loi. Il y étoit dit, entre autres choses presque aussi vexatoires, et à l'article V : « Nul ne pourra remplir le ministère, en quelque lieu que ce puisse être, s'il ne fait préalablement, devant l'administration municipale, ou l'adjoint municipal du lieu où il voudra exercer, une déclaration dont le modèle est dans l'article suivant: Les déclarations déjà faites ne dispenseront pas de celle ordonnée par le présent article: deux copies conformes en gros caractères, très-lisibles, certifiées par la signature de l'adjoint municipal et du greffier de la municipalité, et par celle du déclarant, en seront et resteront constamment affichées dans l'intérieur de l'édifice destiné aux cérémonies, et dans les parties les plus apparentes et les plus à portée d'en faciliter la lecture ».

Par là, le sacerdoce étoit lié et avili jusqu'aux pieds d'un simple greffier de municipalité; par là, tout révolutionnaire étoit autorisé à susciter une émeute contre un prêtre à l'autel, si sa conscience ne lui avoit pas permis de faire la déclaration. L'article VI en régloit ainsi la formule : « Le (de tel mois), devant nous (municipaux), est comparu (le nommé), habitant à....., lequel a fait la déclaration dont la teneur suit: JE RECONNOIS QUE L'UNIVERSALITÉ DES CITOYENS FRANÇAIS EST LE SOUVERAIN; ET JE PROMETS SOUMISSION ET OBÉISSANCE AUX LOIS DE LA RÉPUBLIQUE : nous lui avons donné acte de cette déclaration, et il a signé avec nous. — La déclaration qui contiendra quelque chose de plus ou de moins, c'est-à-dire des restrictions suggérées par la conscience), sera nulle et comme non avenue; ceux qui l'auront reçue seront punis chacun de cinq cents livres d'amende, et d'un emprisonnement qui ne pourra excéder un an, ni être

moindre de trois mois ».

L'article VII disoit : « Tout individu qui, une décade après la publication du présent décret, exercera le ministère d'un culte, sans avoir satisfait aux deux articles précédens, subira la peine portée en l'article VI; et, en cas de récidive, il sera condamné à dix ans de gêne». - Le VIII portoit que « tout ministre de culte qui, après avoir fait la déclaration ci-dessus, l'auroit rétractée ou modifiée, ou auroit fait, soit des protestations, soit des restrictions contraires, seroit banni à perpétuité du territoire de la République ; et que, s'il y rentroit, il seroit condamné à la gêne aussi, mais à perpétuité». - Par l'article XVI, la Convention <«< interdisoit les cérémonies du culte, hors de l'enceinte de l'édifice public destiné pour son exercice, sans toutefois appliquer cette prohibition aux cérémonies qui pouvoient avoir lieu dans l'enceinte des maisons particulières, pourvu qu'outre les individus de la maison, il n'y eût pas un rassemblement excédant dix personnes ». L'article XVIII déclaroit que «< la contravention à l'un des articles précédens seroit punie d'une amende qui ne pourroit excéder cinq cents livres, ni être moindre de cent livres, et d'un emprisonnement qui ne pourroit excéder deux ans, ni être moindre d'un mois; et qu'en cas de récidive, le ministre du culte seroit condamné à dix ans de gêne». - L'article XIX s'exprimoit ainsi : «Nul ne peut, sous les peines portées en l'article précédent, paroître en public avec les habits, ornemens ou costumes affectés à des cérémonies religieuses, ou à un ministre du culte »: (on ne vouloit rien souffrir en public qui rappelât même l'existence d'un prêtre). — Enfin, l'article XXX décidoit que « la condamnation à l'amende emporteroit de plein droit la contrainte par corps ».

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Comme si la Convention expirante eût craint encore quel'on ne se méprît sur ses vrais sentimens à l'égard des prêtres catholiques, elle voulut, le jour même de son dernier soupir, le 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), lever à ce sujet tout doute qui pût leur devenir favorable. Elle révoqua de

fait tous les décrets de tolérance fallacieuse rendus naguère à leur égard, puisqu'elle décréta que « toutes les lois de sang portées contre eux, depuis celle de la déportation, en août 1792, jusqu'à celle des 21 et 22 octobre 1793, seroient remises en vigueur ». Ils furent donc condamnés de rechef à la mort, ceux qui, n'ayant pas fait le serment de la constitution civile du clergé, se retrouveroient en France; et non seulement eux, mais encore leurs pères, leurs frères, les amis qui leur auroient donné l'hospitalité. Si les vieillards et les infirmes non assermentés paroissoient encore cette fois-ci à l'abri de cette fin sanglante, ils n'en retomboient pas moins dans la nécessité de périr en réclusion.

Et cependant, le 7 novembre 1795, malgré ce renouvellement tout récent de fureur contre les prêtres catholiques, léguée par la Convention à l'assemblée qui lui succédoit, un journal religieux entrepris à Paris, depuis le 3 octobre, sous le titre de Journal de la Religion et du Culte catholique, publioit avec confiance, en transcrivant la loi du 29 septembre précédent (no 6, pag. 81), qu'il y avoit « peu de ministres du culte catholique exerçant à Paris, qui ne se fussent soumis à cette loi; qu'ils s'étoient déjà conformés à celle du 11 prairial (30 mai 1795), dont toutes les dispositions, disoit-il, sont renfermées dans celle-ci »; et, quand ce journal eut pris, le 1er janvier 1796, le titre d'Annales Religieuses, quelque temps après, il qualifia même de sages et de bienfaisantes, ces deux lois d'une autorité si manifestement impie. (Tom. I, pag. 460.)

On en jugeoit bien différemment dans la plupart des autres diocèses. Presque tous leurs évêques, quoique éloignés les uns des autres dans leur exil, et sans avoir besoin de se concerter ensemble, écrivirent à ceux de leurs prêtres fidèles qui se trouvoient en France, pour leur défendre formellement la déclaration prescrite par l'autorité civile. Nous avons encore dans les mains ces lettres épiscopales, dont les unes sont même autographes, et les autres revêtues

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