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ceux qui avoient agi comme administrateurs pendant le siége, et à une commission militaire ceux qui avoient porté les armes. Ces deux tribunaux devoient être dirigés par les proconsuls Couthon, Maignet, Châteauneuf-Randon et Laporte, que la Convention avoit envoyés à Lyon : mais Couthon à qui Danton avoit écrit, « qu'il falloit détruire cette ville», ne se montroit pas assez disposé à remplir toutes les vues des Dantonistes de la Convention; ils le firent remplacer, ainsi que Châteauneuf, par Collot-d'Herbois, en autorisant Fouché qui étoit à Nevers, à venir partager les exécrables fonctions de Collot. C'étoit Collot lui-même qui l'avoit choisi pour coopérateur; et ce premier prédicant d'athéisme et de matérialisme, vint diriger à Lyon la fureur de Collot, tout en lui laissant adroitement les apparences de la primauté.

Il n'eut pas plus tôt rejoint son collègue, vers le 8 novembre, qu'ensemble ils célébrèrent une fête tout à la fois barbare et sacrilége, pour faire comprendre aux forcenés révolutionnaires l'esprit dont leur rage contre les gens de bien devoit être animée; et ils se hâtèrent d'en informer la Convention (1). Le buste d'un énergumène qui auroit pu servir de modèle au crime même, et que la juste vengeance des lois avoit fait mourir sur l'échafaud quatre mois auparavant (le 16 juillet); le buste de ce Challier qui, peu de jours après l'assassinat de Louis XVI, montrant dans une nombreuse assemblée des siens, appelée club central, un tableau de Jésus crucifié, et s'écriant : « Ce n'est pas assez que le tyran des corps ait péri, il faut détruire aussi le tyran des âmes », avoit aussitôt mis le Christ en pièces, et l'avoit foulé aux pieds (2); le buste enfin d'un tel monstre fut porté triomphalement dans la ville et les proconsuls présentoient

(1) Voy. Moniteur : séance du 25 brumaire, 15 novembre 1793. (2) Histoire du Siége de Lyon, etc. Tom. Ier, pag. 111.

Challier aux scélérats comme « un dieu-sauveur mort pour eux ». Le cortége étoit composé d'hommes sanguinaires et de femmes perdues, suivis de démons personnifiés qui, tenant des vases sacrés enlevés aux églises, les agitoient dans les airs avec une joie infernale. Au milieu d'eux marchoit un âne, couvert d'une chape, coiffé d'une mitre, portant sur le dos une grande quantité d'objets du même genre : à sa queue étoient suspendus l'Evangile et un crucifix. Collot et Fouché fermoient la marche, escortés de bourreaux qui portoient des faisceaux romains surmontés de leur hache étincelante. L'horrible cérémonie devoit se consommer sur la place de l'Hôtel-de-Ville : le cortége y arrive; et là, tous les acteurs de cette exécrable scène viennent l'un après l'autre adresser des vœux atroces à l'image de Challier; après quoi, détachant de la queue de l'âne, l'Evangile et le crucifix, ils les jettent dans un brasier préparé tout exprès. Ils font ensuite boire l'animal dans un calice, et vont livrer à une profanation plus grande encore des hosties que l'on croyoit consacrées, lorsqu'un orage, que rien n'annonçoit, fond tout à coup sur les profanateurs, et empêche leur dernier sacrilége, en les dispersant. Le Ciel crut devoir dans cette occasion opérer le même miracle qu'il avoit fait, l'an 304, en Afrique, au martyre du prêtre Saturnin, lorsque le magistrat alloit jeter dans les flammes les Saintes Ecritures. Une pluie abondante, par le temps le plus serein, vint éteindre le feu avec une sorte de colère; et les élémens indignés ravagèrent à l'instant toute la province (1).

Les proconsuls Collot et Fouché formèrent aussitôt avec des révolutionnaires, fournis par la Commune de Paris, une commission temporaire de surveillance républicaine,

(1) Quas (Scripturas sacras) cùm magistratus sacrilegus igni apponeret, subitò imber sereno cœlo diffunditur; ignis Scripturis sacris admotus extinguitur, grandines adhibentur, omnisque ipsa regio pro Scripturis dominicis, elementis furentibus devastatur. (Ruinart: Acta sanctorum Saturnini, Dativi, etc. No 3.)

chargée d'exécuter leurs ordres, et de faire des listes de proscription. Cette commission étoit divisée en deux sections, dont l'une devoit être permanente à Lyon, et l'autre parcourir le département du Rhône et celui de la Loire. (Arrêtés des 20 et 25 brumaire 10 et 15 novembre): cette dernière section de la commission fixa sa résidence dans la ville de Feurs; et toutes deux eurent à leurs ordres un tribunal de sang. Celui de Lyon s'appela Commission Révolutionnaire, et celui de Feurs, Tribunal de Justice populaire. Alors les Dantonistes n'eurent plus à reprocher aux juges ce qui avoit fait le sujet d'une plainte de l'un des précédens à la Convention, à savoir: « qu'ils s'embarrassoient dans les formalités, et qu'ils avoient besoin de preuves pour condamner, tandis que, selon lui, on devoit se contenter de celles que les fronts indiquoient, afin de donner plus de mouvement à la justice nationale (1)». Deux autres révolutionnaires de la même trempe se félicitoient de ce que « ces deux nouveaux tribunaux alloient être expéditifs, juger sommairement (2)»; et même « répéter en quelque façon la septembrisade de Paris (3) » : ce sont leurs expressions.

Tout en cherchant cependant à ne pas avoir l'air d'en vouloir spécialement aux prêtres, Collot-d'Herbois et Fouché les désignoient formellement, lorsqu'ils écrivoient à la Convention le 25 novembre: « Nous ne vous parlons pas des prêtres ils n'ont pas le privilége de nous occuper en particulier; mais nous ne nous faisons point un jeu de leurs impostures. Ils dominoient la conscience du peuple ; ils l'ont

(1) Lettre de Dorfeuille du 24 frimaire (14 décembre 1793) à la Convention, lue dans la séance du 1er nivose (21 décembre).

(2) Lettre de Pelletier au conseil-général de la Commune de Paris, en date du 22 frimaire (12 décembre 1793), et lue dans la séance du 27 frimaire. (Voy. Journal de la Montagne.)

(3) Lettre de Perrotin au comité révolutionnaire de Moulins, en date du 9 frimaire (29 novembre 1793).

égarée; ils sont complices de tout le sang qui a coulé leur mort est prononcée (1) ».

Ces deux proconsuls les avoient déjà voués à la fureur des scélérats par l'instruction qu'ils avoient envoyée le 26 brumaire (16 novembre), « aux autorités constituées, et principalement aux municipalités des campagnes, et aux comités révolutionnaires des départemens du Rhône, de la Loire, et même de l'Isère et de l'Ain ». Cette instruction, divisée par chapitres, disoit dans celui qui avoit pour titre, Extirpation du fanatisme : « Les prêtres sont les seules causes des malheurs de la France.... La révolution, qui est le triomphe des lumières, ne peut voir qu'avec indignation la trop longue agonie de cette poignée d'imposteurs.... Le temps des demimesures et des tergiversations est passé : aidez-nous à frapper les grands coups (2) ».

Le tribunal de Feurs ressembloit à celui de Lyon, et le rivalisoit avec une sanguinaire émulation. Si l'on y amenoit les laïcs qui déplaisoient aux révolutionnaires, on ne manquoit pas de traduire devant lui tous les prêtres et toutes les personnes pieuses que l'on pouvoit découvrir.

Les juges de Lyon étoient coiffés de bonnets rouges surmontés de panaches, couleur de sang. Un large cimeterre pendoit à leur côté, deux pistolets étoient à leur ceinture, et, sur leur poitrine, une petite hache descendoit en forme de décoration chevaleresque. Leurs jugemens consistoient seulement à la toucher sans rien dire, quand ils condamnoient à la peine de mort; et c'étoit devant ces hommes effroyables que comparoissoient les agneaux du sacerdoce, les colombes du cloître et d'humbles fidèles! Deux ou trois questions qu'ils leur faisoient pour la forme, et un coup-d'œil qu'ils jetoient sur le registre des dénonciations, composoient

(1) Lettre à la Convention, en date du 5 frimaire (25 novembre 1793). On la retrouve dans le Rapport de Courtois à la Convention, pièce 86. (2) Rapport de Saladin à la Convention, pag. 226, pièce 54.

toute la procédure, que suivoit immédiatement leur signe de mort. Le sacerdoce fut tellement en horreur à ces juges, que des prêtres assermentés qu'on leur amenoit, et qui auroient volontiers apostasié pour sauver leur vie, étoient traités comme les insermentés. Un des premiers à qui le président demandoit s'il croyoit en Dieu, ayant répondu qu'il n'y croyoit pas beaucoup, celui-ci lui répliqua brusquement: «Meurs, infâme, et va le reconnoître ». Un autre de cette classe à qui le même président avoit demandé ce qu'il pensoit de Jésus, ayant dit, dans l'espérance d'obtenir quelque faveur, « qu'il le soupçonnoit d'avoir trompé les hommes », s'entendit aussitôt condamner par ces mots : «< Cours au supplice, scélérat. Quoi! Jésus tromper les hommes! lui, qui leur prêcha l'égalité ! lui, qui fut le premier SansCulotte de la Judée (1)! »

Ce n'étoit pas avec ces formes railleuses que les juges procédoient à l'égard des prêtres non assermentés, et des personnes pieuses qu'ils trouvoient inébranlables dans leur Foi. Les barbares y mettoient plus de gravité. Eh! comment auroient-ils pu se défendre de quelque respect vis-à-vis de femmes vertueuses, de vénérables curés qui leur disoient: « Si votre devoir est de nous condamner, obéissez à votre loi; mais il nous faut obéir à la nôtre, qui nous ordonne de mourir plutôt que de faire ce que vous exigez de nous. » Ces admirables réponses pénétroient même les juges d'un respect involontaire. Ils auroient avec satisfaction sauvé les prêtres insermentés, si ceux-ci eussent voulu abdiquer le sacerdoce, en livrant leurs lettres de prêtrise; et les personnes pieuses, si elles eussent consenti à faire le serment de liberté-égalité, regardé par tous les catholiques de Lyon, comme une véritable apostasie.

(1) Les noms de ces monstrueux juges, signés au bas de leurs listes de jugemens qu'ils envoyoient au comité de salut public, y sont ainsi : Parein, président; Lafaye (aîné), Brunière, Fernex, Corchand, juges; et Brechet, secrétairegreffier.

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