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C'est ainsi qu'à Lyon, dans le court espace d'environ quatre mois, furent envoyés au dernier supplice, non seulement plus de cent vingt prêtres, purs de tout serment révolutionnaire, et parmi lesquels il s'en trouvoit plusieurs de différens autres diocèses, réfugiés à Lyon, mais encore presque autant de laïcs de l'un et l'autre sexe, invariables comme eux dans leur attachement à la religion catholique.

Les victimes immolées en haine de la Foi dans la petite ville de Feurs, ne furent pas en moindre proportion parmi les personnes qu'on y fit périr. On peut juger des sentimens des Martyrs de Feurs par ceux d'une sainte veuve de la ville de Saint-Chaumont, nommée Fillat, mère de neuf enfans, qu'elle ne pouvoit nourrir que du fruit de son travail, et qui avoit été arrêtée à cause de ses vertus religieuses. En vain dans son pays, lui avoit-on demandé le serment de libertéégalité; elle l'avoit refusé constamment; en vain même, en la menaçant de la mort, l'avoit-on fait supplier, conjurer par ses neuf enfans effrayés, de le prêter : « Non, réponditelle; j'aime trop ma famille pour lui donner un si mauvais exemple; Dieu en prendra soin; mes enfans se passeront de moi; et ils ne peuvent se passer du Ciel, où conduit la seule vraie religion que je leur ai enseignée, et à laquelle j'espère qu'à mon exemple ils ne renonceront jamais ». Cette chrétienne si héroïque, étant amenée ensuite dans les prisons de Lyon, y repoussa avec une égale fermeté la proposition de sauver sa vie, en allant dans l'église cathédrale profanée, rendre un hommage impie à l'idole de la Raison, dressée sur l'autel du Dieu vivant. Après l'avoir laissée plusieurs mois dans les fers, espérant que sa constance en seroit affoiblie, on la fit traîner à Feurs pour y être égorgée par le tribunal de justice révolutionnaire; mais il n'en eut pas le temps. La faction athéiste succomboit à la Convention : il fut obligé, comme la commission révolutionnaire de Lyon, de suspendre le cours de ses hécatomphonies.

Celles de Lyon cessèrent tout à coup le 16 germinal (5 avril

1794), à l'instant où les proconsuls y apprirent que Danton, Hébert et Chaumet venoient d'être emprisonnés par la faction de Roberspierre. Perdant leurs guides, et voyant leurs autres appuis chancelans, ils craignirent la vengeance du vainqueur; mais honteux de leurs perplexités, et peut-être toujours altérés de sang, ils cherchèrent pour en avoir encore, à se placer dans une situation politique où la soif qui leur en restoit, seroit du moins protégée par un ancien décret de la Convention (du 3 juillet 1793), qui, mettant le monstre Challier déjà livré à la justice, sous la sauvegarde des fonctionnaires publics de Lyon, les avoit rendus responsables de ce qui lui arriveroit de funeste. Ce fut avec ce stratagème que les proconsuls firent condamner alors, comme ayant été des fonctionnaires responsables, le bourreau et son valet, qui, le 16 juillet, avoient exécuté la sentence de mort portée légalement contre Challier. L'un et l'autre furent décapités sous ce prétexte, le 17 germinal (6 avril 1794). On apprit bientôt que Danton l'avoit été à Paris le 5 avril, et Chaumet le 13. Roberspierre alloit faire rendre, le 16 (27 germinal), sur le rapport de Saint-Just, un décret qui révoquoit les pouvoirs des proconsuls Dantonistes, cassoit leurs tribunaux et commissions révolutionnaires, en évoquant à celui de Paris toutes les causes de révolution. Les proconsuls, tremblans pour eux-mêmes, ne songeant plus qu'à préparer leur justification, délivrèrent de leur présence la ville qu'ils avoient si fort ensanglantée. Déjà le 19 germinal (8 avril), la Société des Jacobins de Paris avoit entendu un mémoire justificatif de Fouché, dans lequel il disoit : « Le sang du crime féconde le sol de la liberté, et affermit sa puissance ».

Pour confirmer ce qui vient d'être exposé dans ce tableau; et ce qu'on a vu dans celui des Lois et TRIBUNAUX RÉVOLUTIONNAIRES, sur les vrais auteurs des massacres, il ne sera pas inutile ici de faire remarquer une lettre trop légèrement lue jusqu'à présent, dans le Rapport de Courtois sur les papiers trouvés chez Roberspierre, après sa mort. Un particulier

anti-dantoniste, resté dans l'asile secret où il s'étoit tenu caché, aux environs de Lyon, pendant le carnage qu'y avoient fait Collot et Fouché, écrivit de sa chaumière à Roberspierre, le 20 messidor (8 juillet 1794) : « C'est après neuf mois d'imprécations contre toi, qu'un de mes amis vient de m'assurer que toutes mes idées sur ton compte étoient fausses. Lyon fut agité, ainsi qu'une partie de la République, à l'époque du 31 mai, du 1er et du 2 juin (époque de la défaite des Girondins); mais son erreur n'auroit pas duré plus que celle des autres départemens, si les partisans secrets des Danton, des Hébert, n'eussent attisé le feu........ Collot-d'Herbois, Fouché, etc., etc., ayant, pendant leur séjour à Lyon, énoncé plusieurs opinions toutes marquées au coin du matérialisme, il me fut impossible de croire qu'ils ne fussent pas d'intelligence avec Danton et Hébert, etc., etc. » ( Pièce 105, pag. 327.)

Que si, avec toutes les données que nous avons fournies ailleurs comme ici (Voy. SEPTEMBRE), le lecteur prend la peine d'examiner avec attention les procès-verbaux des séances, soit de la Convention, soit de la société des Jacobins de Paris, il demeurera pleinement convaincu que la persécution d'alors, contre les prêtres et contre les personnes pieuses, venoit spécialement de la faction Dantoniste, autre- · ment dite des Cordeliers, et que ses motifs ne furent pas moins propres à faire des Martyrs que cette haine du christianisme par laquelle s'étoient distingués les Diocletien et les Galère. (Voy. S. AVE, etc. etc.)

N° IX.

NANTES.

NANTES est la ville de France où il a péri le plus de prêtres catholiques et de fidèles, durant la persécution dont il s'agit dans notre Martyrologe. Leur nombre est incalculable, quoique leur immolation ait eu lieu dans le court espace de cinq mois; mais l'on peut heureusement dire, à la louange des Nantais, qu'alors il n'en fut pas d'eux, en d'eux, en général, comme vers 303, où le préfet que Dioclétien venoit d'envoyer dans leur ville fut excité, par les habitans mêmes, à faire mourir les chrétiens (1).

Le féroce proconsul Carrier, que la faction Dantoniste y fit envoyer par la Convention, le 13 octobre 1793, n'y trouva qu'un petit nombre de scélérats disposés à le seconder. Déjà ils avoient rempli les prisons de tout ce qu'il y avoit de gens de bien dans Nantes; et cette proie, déjà si considérable, s'augmentoit chaque jour par les habitans des départemens vendéens qu'on y amenoit successivement. (Voy. VENDÉE.)

Au milieu de ces innombrables victimes vouées à la mort, Carrier, et les membres du comité révolutionnaire de Nantes, n'eurent plus à songer qu'à varier l'atroce plaisir de les détruire, en variant les genres de mort. Comme autrefois Dioclétien et Maximien, «< ils imaginoient chaque jour des supplices inouïs (2) »; et, entre autres, celui « d'enfermer en des espèces de cercueils leurs captifs, et de les précipiter ainsi dans le fond de la mer (3) ». Leur infernale imagination alla

(1) Ruinart : Passio sanctorum Rogatiani et Donatiani Martyrum. N• 3. (2) Tormentorum genera inaudita excogitabantur. (Lactance: de Mortibus Persecutorum. N° 15.)

(3) Alios quoque innumerabiles vinctos et scaphis impositos carnifices in profundum mare projecére. (Euseb. Hist. Eccl. L. VIII.)

même plus loin; et ils devinrent tout ensemble les rivaux de Néron et de Valens, réunissant à l'invention du bateau à soupape du premier, lequel encore ne s'en servit qu'une seule fois, l'atroce perfidie du second, envers ces quatrevingts ecclésiastiques de Constantinople, qu'en 370, tout en les faisant embarquer en apparence pour l'exil, il ordonna secrètement de submerger, quand ils seroient en pleine mer; et ils le furent en effet (1). L'Eglise, qui les honore comme Martyrs, le 5 septembre, refuseroit-elle le même honneur à ceux dont nous allons parler?

Il n'étoit certes pas moins dirigé par un esprit d'impiété que ces empereurs, le proconsul à qui l'on avoit livré Nantes, ce Carrier, ardent partisan de Chaumet, et qui, le 9 mars 1793, s'étoit hâté d'appuyer la demande que celui-ci avoit faite d'un tribunal révolutionnaire; ce Carrier qui, dans son affreux système de dépeupler la France, afin que la Convention pût aisément « la rendre républicaine, insistoit pour que l'on commençât par les ministres de la religion». «< Dans mon département, disoit-il aux Nantais (celui du Cantal), nous allions à la chasse aux prêtres; et je n'ai jamais tant ri qu'en voyant la grimace que ces b.....-là faisoient en mourant (2). »

Dès son arrivée, non content de ce qu'il y avoit de prêtres déjà emprisonnés, il avoit fait arrêter spécialement << toutes les filles ou femmes suspectées d'avoir été, dans l'année ou l'année précédente, à la messe d'un prêtre réfractaire »; et il déclaroit hautement que « les noyades n'étoient pas moins indispensables que les massacres du 2 septembre 1792.»

Alors se trouvoient à Nantes, parmi d'innombrables victimes aussi captives, quatre-vingt-dix prêtres, dont plusieurs étoient des vieillards; et même quatre-vingt-seize, suivant la déposition d'un témoin dans le procès de Carrier,

(1) Fleury Hist. Eccl. L. XVI. No 13.

(2) Voy. Prudhomme: Crimes de la Révolution, tom. VII, pag. 323.

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