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guillotine, on remarqua six jeunes vierges dignes du plus grand respect, par leur candeur autant que par leur piété. Une heure avant d'être conduites à l'échafaud, où elles le furent sans jugement, apprenant leur sort par le géolier, elles s'écrioient, avec la candeur de l'innocence : « Mais au moins qu'on nous juge, qu'on nous entende! » Le géolier leur répondoit: « Cela ne sera pas; Carrier le veut ainsi ». Voyant alors qu'elles n'avoient plus d'espoir que dans le ciel, elles se prosternèrent aussitôt la face contre terre; et, s'adressant au Dieu consolateur suprême des opprimés, et rémunérateur de la vertu, elles lui offrirent héroïquement le sacrifice de leur vie.

De combien de noms seroit augmenté notre Martyrologe, s'il eût été possible de connoître toutes les personnes qui sont mortes, pour la religion, sous le proconsulat de Carrier à Nantes! Ce ne fut pas le seul endroit où il donna des preuves cruelles de sa haine contre la Foi. Proconsul, dont le pouvoir s'étendoit sur le diocèse de Vannes (département du Morbihan), il y fit fusiller, dans la paroisse de Noyal-Muzillac, par le général Lebatteux, commandant d'une division révolutionnaire, huit catholiques qui sortoient de l'église; et lui-même d'avance avoit fait creuser la fosse au bord de laquelle il voulut que ces huit personnes fussent immolées, à cause de leur piété. On le vit mettre, de ses mains, le feu à l'église du village de Petit-Fay, où il ne restoit plus que des femmes et des enfans, dont, à son exemple, la soldatesque incendia les chaumières.

Carrier n'eut pas le temps de faire submerger les soixante-un prêtres du département de la Nièvre, qui n'étoient arrivés à Nantes avec quinze autres d'Angers, que le 15 mars 1794 (Voy. NEVERS). La faction Dantoniste étant alors momentanément abattue dans la Convention, Roberspierre, en vertu du décret qu'il y obtint, le 27 germinal (16 avril), fit rappeler ce proconsul, en même temps qu'il faisoit condamner à mort, par une commission militaire, à Nantes, deux de ses plus fu

rieux complices, savoir, Fouquet et Lamberty; et, à Paris, par le tribunal révolutionnaire Danton, Hébert, Chaumet, etc. L'ex-proconsul voulut se rattacher à la faction de Roberspierre, en parlant en faveur de sa loi du 22 prairial (séance du 24), quoiqu'il méritât d'être un des premiers qu'elle dût frapper le parti Dantoniste ne lui pardonna pas cette lâche défection.

Cependant, après le 9 thermidor, les Dantonistes, malgré la justice dont ils faisoient parade, et malgré l'indignation de toute la France contre ce proconsul, crurent prudent de ne pas éclater contre lui. Leur hypocrite système alloit en être compromis, lorsqu'après deux mois de silence intéressé, ne pouvant plus se taire, ils imaginèrent de satisfaire la clameur publique en la répétant, dans la séance du 28 vendémiaire an III (29 septembre 1794), mais avec la précaution de se mettre d'avance à couvert, s'il falloit absolument donner suite à cette accusation. Ce fut de dénoncer Carrier comme agent de Roberspierre qui ne pouvoit plus les démentir (1). La dénonciation resta sans effet; et l'on en voit la raison. Quoique, dans la suite, les membres du comité révolutionnaire de Nantes de qui Fouché avoit fait l'apologie dans la Convention le 25 floréal précédent (14 mai 1794), et pour lesquels il avoit obtenu un décret portant que « les patriotes Nantais n'avoient pas cessé d'être dignes de la patrie »; quoique ces complices de Carrier fussent traduits devant le tribunal révolutionnaire depuis le 25 vendémiaire an III (16 octobre 1794), et qu'ils y demandassent avec les plus pressantes et les plus justes instances que Carrier, qui avoit provoqué les attentats qu'on leur reprochoit, fût mis, comme eux, en accusation, la faction Dantoniste-Thermidorienne ne vouloit pas que la Convention y consentit. Mais enfin il fallut céder aux cris du public, révolté d'une telle résistance,

(1) Voy. dans le Rapport même de Courtois, les lettres de Julien fils à Roberspierre contre Carrier: Pièces 107k; 107; 107 m; 107 n.

sans en pénétrer le vrai motif. Ce fut seulement le 7 frimaire (27 novembre), que la Convention, ne pouvant plus résister, abandonna Carrier au tribunal. L'indignation générale, dégagée d'une partie de sa contrainte, par l'effet même du système des Thermidoriens, força des juges qui cependant leur étoient dévoués à condamner ce monstre à la peine de mort, le 25 frimaire (15 décembre); mais, en marchant au supplice, il répétoit encore ce qu'il avoit dit au tribunal, «< qu'il n'avoit fait qu'exécuter ce que le comité de salut public de la Convention lui avoit ordonné; et qu'elle lui faisoit expier ses propres crimes ». (Voy., pour la série des Martyrs de Nantes, BAUDRY, DAVAINE, etc. etc.)

N° X.

VENDÉE.

Nous comprendrons sous ce titre, non seulement la première guerre, bien plus religieuse que politique, à laquelle on donna ce nom, mais encore celle du même

a nommée la Chouannerie.

genre, qu'on

La première s'alluma dans cette vaste portion de la France, qui, bornée au Nord par la rive gauche de la Loire, depuis Erigné, vis-à-vis d'Angers, et dans son diocèse, jusqu'à Paimbœuf, diocèse de Nantes, se déploie au Sud dans l'Anjou et le haut Poitou, jusque bien au delà de la Roche-sur-Yon, diocèse de Luçon, et un peu de la Châteigneraie, diocèse de la Rochelle, en comprenant au Sud, Bressuire, même diocèse; Argenton-le-Château, diocèse de Poitiers; et à l'Est dans celui d'Angers, Vihiers, près Saumur, AubignéBriand, Beaulieu-des - Marchais. Plus des trois quarts de cette vaste étendue de pays sont appelés par ses habitans Le Boccage; et seulement la partie rapprochée de la Loire se

nommoit le Pays de Mauge. Telle est la contrée à laquelle, depuis la noble et généreuse guerre de ses habitans, on donne le nom de Vendée. Nos lécteurs pourront aisément en fixer d'une manière précise toute l'étendue sur des cartes ordinaires de la France, en tirant à l'Ouest, depuis Paimbœuf jusqu'à Bourneuf-en-Rets, port de mer, au même diocèse, une ligne sinueuse qui excluroit le promontoire avancé entre l'embouchure de la Loire et la baie de Bourgneuf; puis de Bourgneuf une semblable, jusqu'à Notre-Dame-du-Mont, sur les bords de la mer, au diocèse de Luçon; de là, une ligne plus tortueuse encore, jusqu'à Saint-Hilaire-de-Rié, près Saint-Gilles-sur-Vic, même diocèse; ensuite, une presque droite, jusqu'à Saint-Vincent-sur-Grain, même diocèse; puis, sinueuse jusqu'à la Caillère, près la Châteigneraie, diocèse de la Rochelle; se dilatant après cela pour embrasser Saint-Cyr-du-Gault, Marillet et Fenioux, diocèse de Poitiers; revenant enfin du côté de l'Est par le diocèse d'Angers, jusqu'à Erigné, sans comprendre Parthenay, Airvaux, Thouars, Doué et Brissac. Ainsi donc, ce sont les diocèses d'Angers, de Nantes, de Luçon, de Poitiers et de la Rochelle qui ont fourni ces défenseurs du trône et de l'autel, que le plus fameux conquérant de notre âge, tout en les regardant comme ses ennemis, appeloit néanmoins les Géans de la Vendée.

La seconde guerre du même genre, et qui succéda à la première, éclata sur les confins du Maine. Elle eut pour combattans la plus saine partie des habitans, non seulement de cette portion du Maine, mais encore de toute la partie de l'Anjou qui est en deçà de la rive droite de la Loire, de la haute et basse Bretagne, y compris les pays qui sont entre ce fleuve et la Manche. Ainsi vit - on concourir à défendre la même cause, et de la même manière que les Vendéens, les diocèses du Mans, d'Angers, de Rennes, de Saint-Brieuc, de Saint-Malo, de Dol, de Tréguier, de Saint-Pol-de-Léon, de Quimper, de Vannes et de Nantes.

Restreint par notre sujet à ne parler de ces deux guerres que sous le rapport de la religion, nous mériterons d'autant plus de confiance en ce qui la concerne, que nous tirerons presque tous nos récits d'ouvrages purement politiques, et même publiés sous la domination des diverses tyrannies que combattirent les Vendéens et les Chouans (1). Ceux qui l'ont été depuis le retour des Bourbons, n'ont fait que confirmer ce qui avoit été dit précédemment à cet égard (2). Les détails particuliers que nous y ajouterons, sont dus à des témoins oculaires, non moins recommandables par leur bonne foi que par leur piété.

Quelque grande qu'ait été la part que la politique vint prendre à la première de ces guerres, car elle avoit réellement commencé pour la défense des autels, son origine, son essence et ses progrès n'en forment pas moins une histoire qui nous reporte aux temps de ces généreux Machabées dont l'Esprit saint a voulu lui-même consacrer les pieux exploits. Ici, comme là, c'étoient des Antiochus, des Nicanor, des Gorgias, qui, déterminés à détruire la religion du vrai Dieu, pilloient son temple, en faisoient assassiner les Lévites, y plaçoient une idole impure, déclaroient et brûloient les livres de la Loi, mettoient à mort quiconque en conservoit quelqu'un chez lui, ou vouloit encore la pratiquer. Ici, comme là, c'étoient de vertueux Mathathias, qui, d'a

(1) Voy., dans le Moniteur, les rapports, lettres, actes, traités des proconsuls et commissaires de la Convention, en 1793, 1794 et 1795. — Histoire de la Guerre de la Vendée, par Alphonse Beauchamp ; trois vol. in-8°; Paris, 1806, réimprimée en 1820 en quatre vol. avec augmentation; Paris, chez L. G. Michaud, libraire, rue de Cléry, no 13.

(2) Mémoires de Mme la marquise de Larochejaquelein (refondus et corrigés en entier par M. Prosper de Barante). Vol in-8°; Paris, 1817. — Histoire des Guerres de la Vendée et des Chouans, par P. V. J. de Bourniseaux (des DeuxSèvres), témoin oculaire; trois vol. in-8°; Paris, 1820. Le Conservateur, par M. le vicomte de Chateaubriand; juillet 1819, XLIV. Livraison, pag. 193 du tom. IV.

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