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fosses. N'ayant pu mourir en héros, ces victimes de la guerre et du malheur mouroient en Martyrs, sans regret comme sans orgueil, donnant eux-mêmes leurs vêtemens aux soldats commandés pour les tuer, et réitérant leurs vœux pour le bonheur de leur pays. C'est auprès d'Auray que se fit la majeure partie de ces exécutions sanglantes, dans une prairie au bas d'une colline : elle est aujourd'hui en grande vénération. Les habitans d'Auray y font encore journellement des pèlerinages, et l'appellent la Prairie des Martyrs », comme nous l'avons déjà fait connoître.

C'étoit en regardant, avec un égal enthousiasme, comme Martyrs les victimes dont il vient d'être parlé, qu'un royaliste octogénaire, étranger à la province de Bretagne, mais qui y avoit passé quinze ans à cette époque désastreuse, leur consacra dans Paris même, en 1817, un hommage poétique, lorsqu'il apprit que S. A. R. le duc d'Angoulême leur avoit lui-même dédié un glorieux monument funèbre. Il leur disoit :

« Martyrs de Quiberon, goûtez un saint repos.

Priez pour nous, Martyrs.......

C'est sur ce marbre saint qu'allant nous recueillir,

Nous apprendrons de vous comment il faut mourir (1) ».

Cette pieuse croyance, qui les faisoit appeler Martyrs avoit presque été commandée d'une manière bien solennelle par un savant et vertueux ecclésiastique auquel notre Eglise gallicane a dû tant de lumineux écrits dans ces derniers temps; et sur cet indice, quiconque a connu toute la splendeur qu'elle s'est acquise, ou ne veut pas l'étouffer, nommera l'abbé de Chateaugiron, du diocèse de Rennes (2). Dans le

(1) Les Victimes du Morbihan, par le vieux Troubadour. Paris, 1817.

(2) Il avoit déjà prononcé à Londres, en présence de tout ce qui s'y trouvoit d'évêques et de prêtres français, comme encore de catholiques anglais, l'oraison funèbre du saint évêque de Dol (Voy. U. R. DE Hercé), quand il vint faire à Jersey celle des autres victimes de Quiberon, à l'occasion du service solennel célébré à Jersey pour les officiers et soldats du régiment de

discours qu'il fit le 2 mars 1796, en l'île de Jersey, lors du service qui y étoit célébré pour les officiers et soldats du régiment de Dresnay, morts à la suite de l'affaire de Quiberon, n'éleva-t-il pas bien près de la gloire du martyre, celle de ces héros qu'il appeloit victimes de leur fidélité à Dieu comme au Roi et à la patrie? Qu'on est porté à voir en eux de vrais Martyrs, lorsqu'on l'entend, dans ses énumérations oratoires, nous peindre la manière sainte et généreuse dont plusieurs firent à Dieu le sacrifice de leur vie! « Un père vertueux, disoit-il, (M. de La Chevrière, ancien

Dresnay, morts à Quiberon, victimes de leur fidélité à Dieu, au Roi et à la patrie. Tel est le titre du Discours qu'il prononça dans cette circonstance. Quelques uns des détails particuliers que nous avons donnés sur l'affaire de Quiberon (Voy. VENDÉE), et que nous donnerons sur l'évêque de Dol, ont été tirés des notes dont l'abbé de Chateaugiron a enrichi ces deux oraisons funèbres; mais aussi beaucoup d'autres nous ont été fournis par le Journal historique et religieux de l'Emigration et de la Déportation du Clergé de France; par M. l'abbé de Lubersac, dédié à S. M. le Roi d'Angleterre, George III, et publié à Londres en 1802.

Profitant ici de la facilité qui se présente si naturellement de rendre hommage à la mémoire de l'abbé de Chateaugiron, l'un des ecclésiastiques qui, pendant les malheurs de l'Eglise gallicane, et dans l'exil, ont le plus honoré la religion par leur conduite et leurs lumières, nous dirons qu'il avoit en outre prononcé: 1o. Un « Discours à l'occasion du Service solennel (fait à Londres) pour les généraux, officiers et soldats morts aux armées catholiques et royales de la Vendée, du Poitou et de la Bretagne »; avec ce texte : Nunc vadam et auferam opprobrium populis, quoniam quis est iste incircumcisus qui ausus est maledicere exercitui'Dei viventis? (I Reg. C. xv11, . 36.) 2o. Un « Discours à l'occasion du Service solennel pour tous les ecclésiastiques victimes de la révolutiou »; avec ce texte : Datæ sunt illis singulæ stolæ albæ, et dictum est illis ut requiescerent, donec compleantur conservi eorum qui interficiendi sunt sicut et illi. (Apocal. C. v1, ✯. 11.) 3o. «L'Oraison funèbre de Louis XVI »; avec ce texte : Justum deduxit Dominus per vias rectas, et ostendit illi regnum Dei. (Sapient. C. x, . 10.) 4o. Un « Discours pour l'anniversaire de la mort de Louis XVI » : Regnum à gente in gentem transfertur, propter injustitias, et injurias, et contumelius, et diversos dolos. (Eccl. C. x, f. 8.) 5o. « L'Oraison funèbre de S. M. la Reine de France » In die bonorum ne immemor sis malorum, et in die malorum ne immemor sis bonorum. (Eccl. C. x1, ✯. 27.) 6o. « L'Oraison funèbre de Mme Elisabeth de France»: Et fleverunt eam omnis populus Israel planctu magno, et lugebant dies multos, et cætera virtutum quas fecit, et magnitudinis ejus non sunt descripta: multa enim eranţ valdè.

commissaire des Etats de Bretagne), étant près d'expirer, accompagne et dispose lui-même son fils à la mort qu'ils reçoivent ensemble avec courage et résignation. De jeunes officiers, les chevaliers de Champsavoy et de Coetlosquet, pourroient ne pas mourir, parce que la délicatesse de leur complexion les autoriseroit à se faire croire plus jeunes qu'ils ne le sont, afin de jouir du bénéfice de l'âge déterminé par les lois républicaines pour échapper à la mort; les bourreaux eux-mêmes leur suggèrent ce stratagème; mais racheter sa vie par un mensonge.!.... non; ils marchent au supplice. Dieu a vu la vérité de leur cœur, et les console: Dominus aspiciet veritatem et consolabitur in nobis (II Mach. 7,6). Un estimable jeune homme (le chevalier de Lage de Volude, lieutenant de vaisseau), l'espoir de sa famille et de son corps, implore avec douceur le coup de fusil qui doit le faire périr. Vivant encore après en avoir reçu trois, il dit avec calme : Messieurs, un quatrième! je ne suis pas mort. Là, tombe ce vertueux lieutenant-colonel, le comte de Talhouet, colonel au régiment du Roi, lieutenant-colonel en celui de Dresnay, modèle de piété, de bravoure, de bienfaisance et de désintéressement, etc. » Noluerunt infringere legem Dei sanctam, et trucidati sunt. (I Mach. C. 1. Texte du discours.)

(I Mach. C. 1x, †. 20.) 7o. «L'Oraison funèbre de Louis XVII » : Odio habuerunt me gratis. (Joann. C. xv, ✯. 25.) 8°. « L'Oraison funèbre de Msr l'évêque de Tréguier, Augustin-René-Louis Le Mintier » Rectorem te posuerunt; noli extolli, esto in illis quasi unus ex ipsis. (Eccl. C. xxx11, . 1. ) On doit encore au savoir comme au zèle de l'abbé de Chateaugiron deux importans ouvrages théologiques, à savoir: 1°. «Ecclaircissemens demandés à Mér l'archevêque d'Aix (Jean-de-Dieu Raymond de Boisgelin), à propos du concordat de 1801 (Londres, 1801) » : la question des démissions épiscopales de cette époque y est examinée à fond. 2o. Une ample réplique aux écrits contradictoires que le précédent avoit fait naître ; elle est intitulée : « Examen impartial et paisible des objections proposées à l'auteur des Eclaircissemens (Londres, 1802) ». Ces deux ouvrages, et surtout le second, jouissent d'une grande estime.

No XV.

ROCHEFORT.

Ce fut là qu'en mars 1794, on embarqua, sur le fleuve la Charente, et si près de son embouchure dans l'Océan, le plus grand nombre des prêtres condamnés à la déportation à la Guiane, d'après la loi du 26 août 1792 (Voy. DéportaTION). Déjà, pour n'être point retardés dans l'histoire de ce supplice d'un nouveau genre, qui en fit périr environ cinq cent trente - neuf, nous avons fait connoître, à l'article LA ROCHELLE, ce qui se fit de massacres, en haine de la Foi, dans la première comme dans la seconde de ces deux villes.

On sait que, parmi les innombrables prêtres catholiques qu'avoit proscrits cette première loi de déportation, il en étoit beaucoup qui, pour ne pas laisser les peuples manquer des secours de la religion, étoient restés en France. Plusieurs y furent arrêtés en 1793; et, par l'article III de ce décret-là même, ils étoient condamnés d'avance à être jetés au-delà des mers, dans les déserts pestilentiels de la Guiane,

Indépendamment de ces nouveaux prisonniers, la faction Dantoniste avoit à sa disposition, en des maisons de réclusion, une multitude de ces prêtres sexagénaires ou infirmes que la même loi n'avoit dispensés qu'à cette condition, de s'exiler eux-mêmes; et la mort de ceux-ci n'étoit pas moins vivement désirée par les impies, Dans le courant de juillet 1793, il s'engagea, au sein de la Convention, à l'égard des premiers, une discussion qui fit entrevoir qu'on ne vouloit pas même épargner les seconds. Il ne s'agissoit d'abord que de régler le mode de la déportation des premiers; et le parti Dantoniste, à la haine duquel il ne suffisoit pas de les envoyer périr loin de ses regards avides de voir couler leur sang, trouvoit plus convenable à ses goûts de ne les déporter que dans un lieu particulier de l'intérieur de la France, où, les

ayant parqués en quelque sorte, l'on pourroit, en un seul jour, et très-facilement, les faire égorger tous ensemble, comme cela s'étoit pratiqué le mois de septembre précédent (Voy. SEPTEMBRE). « Gardons-nous, s'écrioit Danton (séance du 23 juillet), gardons-nous de les envoyer au-delà des mers: il ne faut pas nous venger du poison que nous avons reçu du Nouveau - Monde, en lui envoyant un poison non moins mortel ». Par une supercherie qui cachoit son dessein sous une feinte modération, il se résumoit par une proposition qu'il savoit être inadmissible, en demandant qu'ils fussent « jetés sur les plages de l'Italie, comme étant, disoit-il, la patrie du fanatisme ». Barrère s'opposoit également, sous un prétexte du même genre, à la déportation de ces prêtres au-delà des mers, prétendant « qu'on devoit craindre qu'ils ne se réunissent aux hordes sauvages de la Guiane, et ne leur apprissent l'art de nuire davantage aux habitans de la colonie ». Lacroix (d'Eure-et-Loir), ami particulier de Danton, indiqua mieux le dessein des deux préopinans, lorsque, prétendant que la déportation de ces prêtres seroit trop dispendieuse, il proposa de les enfermer dans des châteaux forts où ils n'auroient d'autre subsistance que celle qu'ils auroient gagnée par des travaux difficiles: raffinement que sembloit avoir suggéré, dès la fin du cinquième siècle, cet Huneric, roi des Vandales, par qui les chrétiens d'Afrique furent alors si cruellement persécutés (1).

Roberspierre vint déconcerter les projets des Dantonistes, en faisant «< écarter leurs propositions comme dangereuses pour la chose publique, et décider en même temps que le plan d'exécution de déportation à la Guiane, qui venoit d'être présenté par le comité de législation, lui seroit renvoyé, pour étre múri ». Mais l'on ne put s'y accorder sur le

(1) Cogitat ut nostræ religionis homines, neque annonas, neque stipendia solita potirentur: addidit quoque et laboribus eos conterere rusticanis. (Victor : de Persecutione vandalica. L. II.)

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