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renversé avec lui, signoit ici, quoique Roberspierre ne signât point; nous pourrions, entre autres explications, faire observer que la liaison de l'un avec l'autre, ne devint bien intime qu'en prairial, et seulement lorsqu'à cette époque, Roberspierre imagina de former avec lui et Saint-Just, dans ce comité même, un bureau de police générale, dirigé secrètement contre les Dantonistes. Cette particularité nous est révélée par un des premiers agens du comité de sûreté géné

rale (1).

Quand Maignet à qui Roberspierre n'avoit pu confier ses secrets desseins, et qui n'avoit plus pour guide que son aveugle fougue révolutionnaire, vit enfin ses atroces vœux comblés par l'autorisation d'établir une commission permanente à Orange, il venoit de donner une terrible preuve de sa férocité à l'égard de l'important bourg de Bédouin, non moins distingué par sa piété que par son opulente industrie. Le prétexte d'un arbre dit de liberté, renversé dans les environs, peut-être par les siens, mais à l'insu des habitans, dans la nuit du 2 au 3 mai, lui ayant fourni un prétexte pour prononcer leur destruction et celle de leurs voisins, il y avoit conduit une commission, prétendue municipale, de sa composition, avec un bataillon dit de l'Ardèche. Cette commission y avoit fait périr quantité de pères de famille; et les soldats, au signal de leur commandant, avoient mis le feu aux cinq cents maisons de ce bourg. Maignet, voyant que l'église, construction nouvelle qui avoit coûté deux cent trente mille francs, résistoit aux flammes, avoit fait mettre

(1) Senart (Mémoires manuscrits) dit chap. xiv: « Le comité de sûreté géné rale étoit espionné pour le compte de Roberspierre par Héron, David et Lebas. Par eux il savoit tout ce qui s'y passoit. Cet espionnage donna lieu à des rapprochemens plus intimes entre Couthon, Saint-Just et Roberspierre. Son caractère ambitieux et farouche lui suggéra l'idée de l'établissement d'un bureau de police générale, qui, à peine conçu, fut formé. Alors la section de police du comité de salut public mettoit en liberté ceux que le comité de sûreté générale faisoit arrêter; et elle faisoit arrêter ceux qu'il mettoit en liberté »,

de la poudre dans ses souterrains, et s'étoit réjoui de la voir sauter avec un horrible fracas. Il n'avoit pas même voulu qu'on épargnât l'hôpital (1). Un de ses affidés racontoit cette désastreuse expédition avec un air de triomphe le 16 prairial (5 mai): « J'ai vu hier de quatre lieues, écrivoit-il à un ami, j'ai vu les flammes révolutionnaires qui consumoient l'infàme Bédouin. Il y a eu soixante-trois guillotinés (ou fusillés); le reste des habitans a été réparti dans quatre communes environnantes, où ils seront traités comme les cidevant (nobles) qu'on a forcés de sortir de Paris (2) ».

Que n'alloit donc pas se permettre, ce forcené Maignet, revenu à Orange, et y installant le 15 prairial (4 mai) cette infernale commission que le comité de salut public lui avoit accordée ? Quelle épouvantable licence étoit donnée à cette commission de bourreaux sous le nom de juges, par l'instruction du comité du 29 floréal (8 mai), qui leur avoit dit: « Vous êtes établis pour juger les ennemis de la révolution; et les ennemis de la révolution sont tous ceux qui, par quelque moyen que ce soit (même en faisant des prières et pratiquant la religion), et, de quelques dehors qu'ils soient couverts, ont cherché à contrarier la marche de la révolution, et à empêcher l'affermissement de la république. La peine due à ce crime est la mort; la preuve requise pour la condamnation sont tous les renseignemens, de quelque nature qu'ils soient, et qui peuvent convaincre un homme raisonnable et ami de la liberté. La règle des jugemens est la conscience des juges, éclairés par l'amour de la justice et de la patrie. Leur but est le salut public et la ruine des ennemis de la patrie. Les membres de la commission auront sans cesse les yeux fixés sur ce grand intérêt. Ils lui sacrifieront toutes les considérations particulières...; ils repousseront toutes sollicitations dangereuses; ils fuiront toutes les sociétés et

(1) Prudhomme : Hist. des Crimes de la Révol. pag. 170 du tom. VI. (2) Rapport de Courtois. Pièce 117, pag. 393.

toutes les liaisons particulières qui peuvent affoiblir l'énergie des défenseurs de la liberté, et influencer la conscience des juges, etc. etc. » Précaution extrême, pour que ces hommes ignorans et pervers ne se laissassent point gagner par une faction contraire.

Ils sont aveuglément dociles à la seule impulsion du frénétique Maignet; et il n'importe pas plus à Maignet qu'au frénétique Lebon (Voy. ARRAS) de savoir quelle faction il sert, pourvu qu'elle l'autorise à se livrer à toutes sortes de fureurs. On pouvoit bien dire alors ce que Lactance avoit raconté des procédés de Galère, dans ses persécutions contre les Chrétiens. «< Les peuples furent livrés à des juges qui n'étoient que des hommes grossiers, sans instruction, accoutumés au meurtre, et pour lesquels n'existoient plus toutes les formes voulues par la justice, et toutes les lois protectrices de l'innocence : ils eurent la permission de tout oser dans la carrière des forfaits; et ils en usèrent avec une rage effrénée (1) ».

Les cinq membres de la sanguinaire commission de Maignet commencent par envoyer à la mort, sans procédure, les prêtres et les religieuses qui ont été enlevés à Bédouin (Voy. J. B. ALLEMAND). Pour fournir une plus ample pâture à ces cinq tigres, le proconsul, non content de ce que renferment déjà les prisons d'Orange, et des victimes qu'il fait amener des autres prisons du département de Vaucluse, ordonne, comme l'atteste un de ses complices, « qu'il soit fait une fouille générale dans les maisons et les champs de toute la province, pour y saisir, dit-il, avec tous les ci-devant (nobles) qui n'auroient pas été zélés patriotes (révolutionnaires), tous les prêtres (auxquels ils pourroient faire le même reproche); en un mot, tous les suspects (les personnes probes

(1) Judices.... humanitatis litterarum rudes, sinè adsessoribus in provincias ìmmissi..... licentiá rerum omnium, solutis legibus, adsumptá et judicibus datá. (De Morte Persecutorum, no 22.)

et religieuses). Il y a eu, poursuit-il, plus de cinq cents de ces coquins arrêtés. Bientôt cette partie du Midi, si empestée par le papisme (la religion catholique), répondra au reste de la république ; et nous serons dignes de la grande et chère famille qui nous a accueillis dans son sein (1)».

Les premiers meurtres de l'atroce commission avoient eu lieu le 19 prairial (7 juin): elle les continuoit depuis le 1er messidor surtout, avec une féroce activité; et, ce qu'il faut bien observer, c'est que la nouvelle de la mort de Roberspierre, qui lui arriva le 1er août, ne suspendit pas sa fureur homicide. Neuf jours après le 9 thermidor, c'est - à - dire le 4 août, elle envoyoit encore cinq victimes à l'échafaud. La veille, elle y avoit fait périr un vénérable prêtre septuagénaire, l'honneur du sacerdoce et le bienfaiteur de l'humanité souffrante (Voy. J. P. BOYER).

Depuis le 1er messidor seulement, jusqu'au 17 thermidor (4 août), dans ces quarante-sept jours, elle avoit immolé trois cent vingt-huit personnes, parmi lesquelles on compte au moins quarante religieuses, et vingt-huit ministres des autels. C'étoit avec une joie extrême que les affidés de Maignet en informoient leurs amis de Paris (2); et cependant ils se plaignoient encore de ne pouvoir détruire toutes les personnes dévotes de la contrée. Ce fut un beau témoignage qu'il rendit à la Foi et à la piété du Comtat venaissin, ce complice de Maignet qui écrivoit, le 27 messidor (15 juillet): «< S'il falloit emprisonner, immoler cette classe-là, nous aurions pu y comprendre toutes les femmes du pays (3)».

L'attachement à la religion et à ses pratiques sembloit inextinguible et presque général dans tout le Comtat; et la mort dont on le punissoit en ce temps d'horrible impiété, ne pouvoit le contraindre par la terreur. On en peut encore juger

(1) Rapport de Courtois à la Convention. Pièce 116, pag. 387.
(2) Ibidem. Pièce 119, pag. 401, et pièce 120, pag. 402.
(3) Ibidem. Pièce 121, pag. 407.

par l'aveu qu'en faisoit un autre complice de Maignet, quand il écrivoit : « L'on tient encore, dans ce pays, au fanatisme (à la religion); et, si l'on n'en avoit pas d'autre preuve, on pourroit en juger par la manière inexacte dont on observe les fêtes décadaires, et par l'affectation avec laquelle on cesse les travaux, dans les jours de ci-devant dimanches (1) ».

Mais c'étoit surtout dans la prison, devant les juges et à l'heure du supplice, qu'il falloit admirer la Foi et la piété des victimes que la sacrilége commission faisoit égorger. Dès le 2 mai (13 floréal), on avoit amené captives, à Orange, d'une seule fois, quarante-deux religieuses de différens ordres, qui, depuis l'abolition des cloîtres, s'étant réunies en communauté, dans une maison de la petite ville de Boulène, y remplissoient paisiblement et modestement les devoirs de leur sainte profession, chacune suivant la règle de son ordre spécial. Le lendemain de leur entrée dans la pri

ne doutant plus qu'elles ne fussent destinées au martyre, elles se réunirent dans la même chambre, pour concerter ensemble les exercices de leur préparation au sacrifice de leur vie à la cause de Jésus-Christ. Leur première résolution fut de n'avoir plus entre elles qu'une même règle, et de ne suivre toutes que le même plan de vie, puisqu'elles avoient la même destinée. Elles portèrent même l'esprit d'union jusqu'à vouloir que tout ce qui étoit à l'usage de chacune en particulier, tels que le linge et les assignats (monnaie d'alors), fût commun entre elles, comme cela s'étoit pratiqué parmi les chrétiens des jours les plus fervens de l'Eglise primitive.

Les autres religieuses qu'on enfermoit ensuite dans la même prison, s'associoient bien vite à cette admirable confraternité. Chaque jour ces saintes filles commençoient ensemble, dès cinq heures du matin, leurs pieux exercices

(1) Rapport de Courtois à la Convention. Pièce 121, pag. 404.

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