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défendre. Je parois dès lors plus criminel; et, peu de jours après, l'ordre de ma déportation arrive. O mon père! traîné de cachot en cachot, chargé de fers, abreuvé d'amertumes, nourri d'inquiétudes, mon courage m'abandonna, et je connus toute ma foiblesse..... Chaque soir, dans une obscure prison, sitôt que la porte à double verrou, fermée sur votre fils, le déroboit aux regards de ses guides, il répandoit des larmes; le ministre des autels oublioit les souffrances de Jésus-Christ pour ne pleurer que sur les siennes..... Que l'homme est foible, quand Dieu l'abandonne un instant à sa propre force!.... Cependant, la Providence finit toujours par offrir au pécheur une main secourable. J'arrive à Rochefort; et c'est là que, dans l'asile du crime, je dois trouver des anges. Dieu puissant! Et je pourrois encore me plaindre! Ah! que ma bouche ne s'ouvre plus pour murmurer. O mon Dieu ! que ta bonté m'éclaire ; qu'elle guide mon cœur, et que je sois enfin digne de parcourir la nuit du tombeau avec ces hommes prédestinés, avec ces vertueux compagnons d'infortune! Mon père ! je n'ai plus le droit de vous parler de moi. Ces vieillards vénérables dont je suis fier de partager le sort, m'ont appris à souffrir: c'est à Rochefort que je les ai trou ́vés. Le cachot où je fus jeté renfermoit déjà huit ministres de la religion, et avec eux, toutes les vertus.... Il étoit nuit quand j'entrai dans ce séjour funèbre : une lampe y répandoit sa lueur sépulcrale. Quel spectacle! des vieillards couchés sur le carreau..... Ils n'avoient qu'un peu de paille pour reposer leurs têtes; et cependant ils dormoient tous : l'innocence sommeille si aisément!...... Bientôt mes regards se fixèrent involontairement sur l'un de ces infortunés : un visage céleste, de longs cheveux blanchis par les années, tout en lui commandoit la vénération. A sa vue, saisi d'un saint respect, je m'approche, je tombe à genoux devant lui, et je promets à Dieu de consacrer mes soins à ce vieillard. Il s'éveille, m'aperçoit, lève les yeux au ciel; puis, me tendant la main : O mon fils! me dit-il, vous êtes aussi l'en

fant du Seigneur; que la Foi vous soutienne dans la persécution; et que Dieu soit toujours votre consolateur..... Ses compagnons d'infortune, s'étant réveillés, s'unissent à lui; tous m'entourent; tous oublient leurs malheurs, pour ne s'occuper que des miens: je parois être la seule victime; je suis le seul que l'on console..... Ministres de Jésus-Christ! m'écriai-je, ô mes pères! ô mes modèles! que Dieu me donne cette force qui vous anime! que ma foiblesse soit punie par de longues souffrances! que ma Foi n'en soit point ébranlée! et que je puisse, en vous imitant, mériter la couronne du juste que le ciel vous destine!

» Deux jours après mon arrivée, nous sommes enlevés de notre prison, et traînés sur le bâtiment qui doit nous transporter à la Guiane, Des ecclésiastiques de toutes les parties de la France..... un grand nombre de sexagénaires..... sont entassés sur la frégate la Charente. Un bon vieillard, accablé d'infirmités de toute espèce, peut à peine marcher; l'un de mes confrères, que la fièvre tourmente, n'a plus que quelques jours à vivre. Plusieurs succombent sous le poids des années. Des membres du Corps Législatif, déportés avec nous, réclament en vain pour ces infortunés : leurs voix sont étouffées. C'est à Cayenne, leur dit-on, que vous réclamerez, Mon père! des malades, des vieillards, serrés les uns contre les autres, étendus sur des planches, tourmentés de vermine, sans linge, sans vêtemens, plus mal nourris que ne le sont les plus vils criminels: tel est le tableau déchirant qu'offrent les déportés ! Ils ne respirent que par une étroite soupape; le méphitisme propage la contagion; une odeur de mort se répand dans cette fournaise ardente; et cependant le plus léger murmure ne se fait point entendre. Tous ont ce courage que donne l'innocence. Tous ont appris à souffrir. L'équipage étonné contemple avec admiration les victimes; plusieurs matelots versent en secret des larmes sur notre infortune; et leur sensibilité les porte à nous prodiguer de généreux secours. (Voy. HAVELANGE.)

» Nous débarquons à Cayenne ; les habitans de cette colonie veulent nous secourir; mais une nouvelle déportation nous attend. Le commissaire du gouvernement exécute avec rigueur des ordres qu'il a sans doute reçus ; car quel homme seroit assez cruel pour se décider de lui-même à tourmenter ainsi ses semblables? Les déportés sont divisés en plusieurs classes: les uns partent pour Sinnamary et ses environs; les autres sont jetés dans les affreux déserts de Konanama.

» Konanama est l'un des cantons les plus reculés de la colonie. Ce pays, situé au milieu des bois, est couvert de marais fangeux, qui corrompent l'air par des exhalaisons fétides ; et les habitations se bornent à quelques cabanes informes, asiles de douleur et de mort. C'est dans ce lieu sauvage que l'on nous a relégués. Des huit infortunés que je trouvai dans les cachots de Rochefort, deux seulement sont encore existans. Depuis cinq jours, le vénérable prêtre aux pieds duquel je m'étois prosterné, dans la prison de Rochefort, et dont les saintes paroles avoient tant soutenu mon courage, a cessé de vivre; depuis cinq jours, la tombe du juste est arrosée de larmes........ Ce bon vieillard, une heure avant de rendre le dernier soupir, se traîna, malgré moi, au milieu du carbet qu'il habitoit; là, prosterné contre terre, entouré de ses frères, ou plutôt environné de spectres languissans, et après avoir reçu de moi les derniers secours spirituels, il nous dit : « Mes frères en Jésus-Christ, tous les maux que j'ai soufferts ne sont rien, puisque le Rédempteur des hommes a été abreuvé de fiel et de vinaigre..... Mourons, comme le dit l'apótre, avec l'espérance que nous allons étre introduits dans la sainte cité du ciel; mourons avec l'espérance que nos tribulations, qui n'auront duré qu'un moment, nous conduiront bientót à une gloire éternelle. Mourons avec l'espérance que Jésus-Christ transformera un jour notre corps vil et abject, pour le rendre conforme à son corps glorieux. Avant de mourir, prions pour nos persécuteurs ; et que nos prières s'élèvent jusqu'à Dieu.... Dom L.... cessa

de parler: je récitois près de lui les prières des agonisans; mais bientôt sa main glacée se refroidit dans la mienne. Il expira entre mes bras.

>> Chaque jour ce sont de nouvelles pertes: une victime est suivie d'une autre victime. Celui que, dans trois jours, demain peut-être, la mort va frapper, creuse aujourd'hui, avec délice, cette terre qui doit se refermer sur lui. Un tombeau est le terme des désirs; et l'infortuné qui se voit près d'y descendre, ne verse des pleurs que sur ceux qui lui survivent.

» Le cimetière où reposent nos amis, est le lieu où sans cesse nous dirigeons nos pas..... c'est-là que nous nous réunissons, et que nous aimons à choisir la demeure où nous espérons trouver le repos. L'ami marque sa place auprès de son ami. Etendu sur sa tombe, il voudroit ne s'en plus séparer. Cette fosse qu'il creusa de ses mains, et qui n'attend plus que sa dépouille mortelle, devient son espérance. Cinq ou six jours à donner encore à la vie, lui semblent une trop longue route à parcourir.....

>> Nous savons que, dans tous les cantons où se trouvent des déportés, leur sort n'est pas moins affreux que le nôtre. La mort se divise pour les frapper. Ceux qu'elle n'a pas atteints jusqu'à ce jour, languissent dans l'état le plus misérable. On diroit que cette partie de la Guiane n'est habitée que par des ombres.

» En faisant un calcul exact, il est probable que, des cent quatre-vingt-treize déportés, il n'en existera pas dix dans cinq mois..... Votre fils alors ne sera peut-être plus. Cette idée n'a rien qui le tourmente : il s'y arrête sans effroi; et l'espoir que son âme, épurée par le malheur, sera digne de paroître devant le tribunal de Dieu, le soutient dans l'avenir. Adieu, mon père ; que le Seigneur protège votre vieillesse; que ses biens se répandent sur ma sœur et ses pauvres enfans. Je finis, en demandant votre bénédiction et le secours de vos prières. Votre respectueux et affectionné fils,

D......>>

Le père de ce saint ecclésiastique venoit de mourir, quand cette lettre arriva en France: il n'a pas eu la consolation de la lire.

Un autre prêtre, sur le point d'expirer à la Guiane, en mars 1799, et faisant ses derniers adieux à son frère, notaire en France, lui écrivoit : « Mon frère, je vais mourir; et je serois coupable devant Dieu, si je ne pardonnois pas à mes ennemis. En me voyant partir pour la Guiane, tu as voulu connoître mon dénonciateur, et tu m'as assuré, dans ta douleur, que tu tirerois tôt ou tard vengeance de son crime..... O mon frère! abandonne un semblable projet..... pardonne-lui, comme je lui pardonne : je t'en conjure, au nom de Jésus-Christ qui va me recevoir dans sa sainte miséricorde. Recommande - moi aux prières de tous nos parens et de mes paroissiens. Adieu, mon frère; en mourant, je demande à Dieu qu'il répande sur toi, sur ta femme et tes cinq enfans, toutes sortes de prospérités. Je suis redevable de trente-deux livres à la bonne Mme L***: je te prie d'acquitter cette dette. Adieu, mon bien-aimé frère; Dieu va bientôt appeler à lui sa pauvre créature.....

Signé, P. M. G..............., curé ».

Oh! qu'elle fut honorée par la religion, cette terre barbare, où l'héroïsme des vertus chrétiennes s'est déployé avec tant de grandeur et de pureté! Combien, par là, elle rachète à nos yeux les torts des fléaux dont elle accabla ceux qui étoient livrés à ses rigueurs, pour la cause de JésusChrist! Les Martyrs dont elle conserve les ossemens, en font presque une seconde Terre-Sainte; et l'insalubrité dont elle reste armée, en écartera du moins, comme un ange exterminateur, les impies qui voudroient aller profaner ces précieuses reliques, comme ils ont profané celles qu'ils purent trouver en France. Mais cette insalubrité n'empêchera point les voyageurs religieux qui parcourront la Guiane, de venir sur les tombes de Sinnamary et de Konanama, rendre aux

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