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saints prêtres qui y reposent, les hommages de la vénération et de la piété. C'est là que, sous les auspices de ces Martyrs, ils seront plus sûrs de faire agréer à Dieu leurs vœux et leurs prières, pour que le pélerinage d'ici-bas se termine heureusement, par leur admission avec eux dans la patrie de l'éternité (1).

(1) Pour qu'on ne nous accuse point de plagiat dans ces dernières réflexions, nous nous voyons obligés d'avouer que c'est nous-mêmes qui les avions présentées avec plus de développemen's en 1799, le 8 décembre (17 frimaire an VIII), dans la partie Variétés morales et littéraires de notre journal, alors intitulé: la Feuille impartiale (N° XCIV). Depuis le 18 brumaire (9 novembre précédent), que Buonaparte étoit devenu maître du gouvernement, les journaux, disons plus, les hommes mêmes les plus notables de la révolution, y compris Barrère, demandoient hautement que les lois de déportation fussent abrogées. Les esprits étant ainsi préparés, Buonaparte, au nom des consuls de la république, rendit, le 8 frimaire (29 novembre 1799), un arrêté portant le rappel des prêtres détenus aux fles d'Oléron et de Ré, à des conditions analogues à ce qui sera dit ci-après, pag. 473. Déjà des laïcs déportés, même à la Guiane, pour des causes politiques, revenoient librement en France; mais six mois devoient encore s'écouler avant que les prêtres qui y étoient relégués eussent la demi-faveur de ceux d'Oléron et de Ré. L'on ne s'occupoit nullement d'eux, quand, le 8 décembre 1799, nous osâmes plaider leur cause, et demander hautement lear retour en ces termes :

« Nous seroit-il permis, à nous qui ne nous flattons point d'être philosophes, qui ne fêmes jamais de feuilles philosophiques, de solliciter le rappel des hommes de bien, de ces prêtres fidèles et vertueux, que des tyrans, dirigés par cette même philosophie, n'ont cessé de jeter, pendant plus de deux ans, sur les plages dévorantes de la Guiane? Vénérables Martyrs de la Foi, je déshonorerois votre cause, si je venois la plaider avec le langage de celle-là même qui vous a fait immoler. Lorsqu'elle se tait sur la convenance de votre rappel, plus par la peur qu'elle a des vertus religieuses qu'elle verroit en vous, que par la honte de les avoir exilées, ne craignez pas que je la fasse parler en votre faveur : la religion seule est digne de réclamer pour vous. Par une juste reconnoissance de ce que vous avez fait pour elle, comme par intérêt pour la France altérée de vos leçons et de vos exemples, elle se réserve d'être la première à demander aux magistrats suprêmes de vous restituer, avec vos vertus, aux peuples qui vous demandent. Quoi qu'en dise, par l'habitude invétérée du langage des persécutions, ce qu'il reste encore dans les fonctions publiques, des agens de ce Directoire déportateur, les premiers magistrats ont reconnu que la nation française, inconciliable avec l'athéisme, a besoin d'une religion; que la seule qu'on y puisse croire encore utilement pour les mœurs publiques, c'est la religion catholique, sa religion innée en quelque sorte.

N° XXIII.

OLÉRON et RÉ.

LES îles qui existent sous ces deux noms, sur la côte du pays d'Aunis ou département de la Charente - Inférieure, ne commencèrent à devenir des lieux de supplices pour les

Ses ennemis affectent de publier que le gouvernement ne la protégera pas plus que les autres; mais par cela même qu'il la protégera, et qu'elle est celle du plus grand nombre, celle de tous les Français vraiment religieux, il protégera donc réellement une religion qui, de fait, est la religion dominante. Qu'on lui en dispute le titre et le droit qu'au surplus nulle secte ne sauroit lui ravir; elle n'en sera pas moins celle de toute la France religieuse. Oh! comme ses sentimens encore comprimés se développeront avantageusement pour les mœurs publiques presque anéanties, lorsqu'elle reverra ses apôtres autorisés à dire comme le plus grand des leurs : « Nous sommes assurés maintenant que les souffrances de l'exil, et même la mort lente, plus dangereuse que celle des fusillades et de l'échafaud, ne nous sépareront point de la charité de JésusChrist. Vous voyez en nous des victimes en qui les plus cruelles épreuves n'ont pu altérer ce double amour qui nous unit avec les hommes comme avec la Divinité. » Au mérite des vertus que nous leur avons connues, ces prêtres auront joint celui de les avoir épurées au feu des plus cruelles tribulations. Pleins d'une charité sublime, ils reviendront en demandant grâce pour leurs impies bourreaux; ils les remercieront même des épreuves auxquelles ils ont mis une sainteté qui n'en sera devenue que plus pure et plus brillante. Ils béniront ceux qui les avoient maudits, lors même que ceux-ci les maudiroient encore. Etrangers à tout souvenir capable d'éveiller des ressentimens humains, ils n'éprouveront que la satisfaction de revoir leurs ouailles chéries, et de pouvoir leur inspirer de nouvelles vertus, toutes profitables à la patrie.

<< Ils oublieront..... Mais nous, qui tînmes autrefois la plume pour inscrire dans les fastes de la religion les actes mémorables de ses ministres et de ses enfans, nous saurons la reprendre pour y consigner des exemples que les beaux siècles de la primitive Eglise n'ont point surpassés. Il importe à l'édification de la génération présente, comme à l'instruction de celle qui nous suivra, de consigner d'une manière durable tout ce qu'ont déployé d'héroïsme les milliers de prêtres, que la rage de l'impiété fit entasser dans des fonds de cale étouffans, infects, et jeter ensuite sur les rives mortelles de Synnamari, ou dans les affreux déserts de Konanama,

<< Atroce raffinement de nos tyrans modernes! Ils avoient entendu dire à ces ministres, d'après Tertullien, que « le sang des Martyrs devenoit la semence

prêtres que vers la fin de 1798, lorsqu'il ne fut plus possible d'aller les jeter dans les déserts de la Guiane. (Voyez GUIANE.) Les Anglais avoient pris sur mer la troisième des corvettes qui en portoient encore un grand nombre dans cette contrée sauvage; et, les déportés de ce navire ayant été sauvés par les vainqueurs, le Directoire exécutif de la république française, moins touché de la perte de la corvette qu'irrité de la délivrance de ces proscrits, ne voulut pas

des chrétiens; que les chrétiens se multiplioient à mesure que le glaive les moissonnoit » et c'est pour cela, n'en doutons pas, que s'abstenant de moissonner leur tête, et de féconder la terre de leur sang, ils les ont envoyés mourir en détail, et chaque jour, dans ces climats homicides. Ils les ont livrés aux bêtes féroces, non pas dans un amphithéâtre public, où l'admiration et la compassion leur auroient fait autant de prosélytes qu'il y auroit eu de spectateurs, mais dans des lieux lointains, inhabitables, où l'insalubrité d'une atmosphère empoisonnée devoit sans cesse leur infiltrer la mort, en même temps que les scorpions et les serpens s'efforceroient de leur arracher la vie. Si, pour tâcher de respirer un air moins funeste que celui de leurs étroits carbets, ils s'avancent dans les champs, les bêtes féroces les dévorent; s'ils rentrent, les insectes et la mort viennent les y détruire. O vous! qui pérites sous les proscriptions antérieures, le prompt supplice qui termina d'un seul coup vos peines, fut moins affreux que ces tortures sans cesse renaissantes, cette agonie perpétuelle qui éternise les douleurs de la mort sans en procurer le repos!

« Dans ce long supplice, dans cette mort prolongée, d'où les persécuteurs s'attendoient à voir jaillir le désespoir et la fureur, quel est le langage de leurs victimes? Je vais mourir, écrit l'un de ces prêtres à son frère en France, je vais mourir; et je serois coupable devant Dieu, si je ne pardonnois pas à mes ennemis! Un autre, adressant des bords de sa fosse une lettre à son père, lui dit: Vous parlerai-je de mes ennemis? Oh! non; le ministre d'un Dieu de paix ne doit point en avoir.

«Oh! qu'elle est favorisée du Ciel cette terre disgraciée par la nature, où l'héroïsme de la religion se déploie avec une liberté si majestueuse; où les victimes peuvent manifester, dans tout leur éclat, des vertus célestes qu'il faut ici cacher sous le boisseau; où elles peuvent dire hautement qu'elles pardonnent à leurs tyrans, qu'elles prient pour leurs bourreaux : ce qui ne leur seroit pas permis parmi nous! Terre des confesseurs et des Martyrs, serez-vous longtemps, sous cet aspect, préférable à la France, où l'on n'ose presque pas dire qu'on vit et qu'on meurt en chrétien? Combien vous rachetez à nos yeux, par les vertus éminentes auxquelles vous donnez l'essor, les fléaux dont vous accablez ceux qu'on livre à votre rigueur! Désormais on ne parlera plus de Synnamari, de Konanama, d'Aprouague, que comme d'une autre terre sainte,

exposer à la même délivrance ceux qui restoient à Rochefort, et ceux qu'on ne cessoit d'y conduire pour la déportation. Il les fit transporter en des îles voisines, celles de Ré et d'Oléron, pour y être enfermés dans les forts quis'y trouvent. Les premiers qui y débarquèrent eurent pour logement une partie des casernes; et dans chacune de leurs petites chambres l'on entassa quatorze d'entre eux. Quand elles furent ainsi comblées, on relégua les autres prêtres en des galetas dont les

dont l'insalubrité, comme un gardien sévère, écartera les profanes, indignes de marcher sur un sol qu'ont habité des Saints, mais dont elle ne réussira pas plus à détourner la ferveur, jalouse de vénérer leurs traces, qu'autrefois le fer menaçant des Sarrasins ne déconcerta les conquérans de la Palestine. Un jour, peut-être, nous irons en pélerinage sur ces rives sauvages, demander à cette terre barbare les ossemens de nos frères qu'elle a vu s'endormir dans le sein de l'immortalité. Nous les rapporterons en France avec autant de respect que Philippe III y rapporta lui-même le corps de son père, pour y posséder, avec ces reliques chères et vénérables, des sujets constans d'émulation et d'encouragement à la vertu.

« Vous aurez déjà prévenu nos démarches en nous rapportant quelques uns de ces restes si désirés, vous que la Providence n'a conservés sans doute que pour vous ramener au milieu de nous. En nous les remettant, vous nous raconterez l'immensité des détails édifians que vous ont offerts ces héroïques autant que malheureuses victimes. Vous nous répéterez comment leur dernier soupir fut encore une bénédiction pour leurs persécuteurs; vous nous direz comme ils expirèrent en formant des vœux pour la France. Et, témoins de leurs derniers souhaits, 'participans des mêmes sentimens, disciples de la même doctrine, enfans du même père, vous ne viendrez pas sans un égal amour pour vos ennemis, sans un pareil désir de concourir à cette prosperité nationale, à à laquelle, au reste, il est déjà reconnu qu'on ne fera parvenir la France que par la morale et la vertu ; prospérité à laquelle on aspireroit en vain, si votre Dieu n'étoit pas invoqué. Qu'ils cessent donc de vous craindre, ceux qui ne vous haïssent qu'à cause du mal qu'ils vous ont fait! Des hommes qui leur ressembleroient seroient en effet redoutables pour eux : mais vous qui, purifiés au creuset de la persécution, allez nous paroître descendus de la région des anges, tout en vous sera saint, grand et généreux. Votre injuste patrie, devenue pour vous si marâtre, n'aura de votre part que des témoignages de véritable tendresse; et peut-être même vous abstiendrez-vous encore de lui dire en la revoyant les larmes aux yeux, ce que votre maître disoit en pleurant, à la vue de Jérusalem : « Hélas! si toi qui massacras tes prophètes, tu eusses suivi leurs conseils, tes crimes, qui se sont amoncelés jusqu'aux cieux, n'auroient pas attiré sur toi leurs vengeances! etc. etc. >>

fenêtres sans châssis, et les toits ruinés les livroient à toutes les injures de l'air, que les vapeurs de la mer rendoient trèsmalfaisant. Là, pendant l'hiver, ils étoient abandonnés à toutes les rigueurs de la saison; et pendant l'été, ils nageoient, pour ainsi dire, dans une atmosphère méphitique. Aucun lit n'étoit donné pour le repos de la nuit, ni aux uns ni aux autres; et ils n'eurent pour se coucher que de la paille, quand toutefois ils avoient pu en acheter; et lorsque la vermine s'y introduisit, ils n'eurent pas toujours les moyens de la faire renouveler. La nourriture qu'on leur distribuoit chaque jour, ne consistoit que dans une livre et demie de pain noir et grossier, accompagné d'une légère portion de viande malpropre, remplacée quelquefois par un peu de morue rance et dégoûtante, ou de vieux haricots très-durs. Pour leur boisson, l'on distribuoit à chacun trois verres environ d'un vin âpre et répugnant. Quel sort pour des prêtres déjà exténués par un pénible voyage et par leur cruel séjour dans les prisons; pour des prêtres dont beaucoup, étant octogénaires, ou accablés d'infirmités, ne pouvoient se mouvoir seuls, ou marcher qu'avec des béquilles!

Et cependant le Directoire, par arrêté publié le 29 prairial an VII (17 juin 1799), vint présenter à la France leur condition comme assez douce. Regrettant que ceux qu'il faisoit rechercher encore pour les y soumettre, lui échapassent, il les invitoit perfidement à se rendre d'eux-mêmes en ces îles, afin de s'épargner l'inquiétude d'être surpris dans leurs retraites, et le désagrément d'être traînés de force en ces deux succursales de la Guiane. Pour mieux les tromper, il fit annoncer ensuite mensongèrement par les journaux que, depuis son arrêté, plusieurs déportables dont il donnoit même les noms, avoient demandé des passeports pour se rendre dans ces îles.

Ce stratagème d'imposture étoit d'autant plus atroce que le Directoire devoit être content du grand nombre de captifs qui s'y trouvoient déjà. Dans le seul fort de Ré, il y

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