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lui; car il auroit pu vouloir priver sa victime de la gloire du martyre, en employant contre elle des accusations étrangères à la Foi. » Eh! combien qui, parmi nous, condamnés comme rebelles, comme conspirateurs, ainsi que le furent jadis comme ennemis des empereurs, tant d'anciens confesseurs de Jésus-Christ, parce qu'ils refusoient de prier pour eux, ou d'adorer leurs idoles; combien auroient eu droit à la faveur qu'oblint le vieillard Ustazades, dont parle Sozomène (1)! On les auroit vu précédés, comme lui, dans leur marche au supplice, par un héraut publiant à haute voix que, malgré le prétexte politique de leur condamnation, ils mouroient véritablement pour n'avoir pas voulu trahir la cause de Dieu.

«Pour prouver qu'il y a martyre, conclut Benoît XIV, il suffit que le persécuteur soit mû notoirement par la haine contre la Foi, quoiqu'il prétende infliger la mort pour une cause tout-à-fait différente. Il suffiroit même qu'en croyant procéder avec justice contre un crime civil, il ne prononçât que d'après une fausse accusation dont la calomnie proviendroit, soit directement, soit obliquement, de la haine de la Foi (2). »

8. Disons plus encore une sentence n'est pas toujours nécessaire. C'est assez que le coup de la mort soit

(1) Hist. Eccles. L. II, c. vIII, et seq.

(2) Ad martyrium sufficit tyrannum ad inferendam mortem moveri ex odio adversus fidem Christi, quamvis occasionem mortis desumat ex alia re quæ ad ipsam Christi fidem aut nihil pertineat, aut non nisi ex accidente pertineat: cùm actus non ab occasione, vel à causa impulsiva, sed à causa finali veram sui speciem desumat. (De Serv. Dei Beatif. L. III, c. XIII, n° 12.) Satis esse ad martyrium, si reverà persecutor, seu tyrannus, ab odio in fidem moveatur, licèt aliam causam omninò disparatam præ se ferat, propter quam se mortem inflixisse dicat. (Ibid. L. III, c. XIII, n° 7.) Ad martyrium sufficere si judex putet se justè procedere, dummodò crimen falsò appositum prodeat ab accusatore qui calumniam struxerit ex odio in fidem directè vel obliquè. ( Ibid. ibid.)

porté par des hommes qu'auroient excités, ne fût-ce qu'indirectement, les discours de quelques puissans ennemis des vrais serviteurs de Dieu, comme en 1135, dans l'assassinat de ce bienheureux Thomas, prieur de Saint-Victor de Paris, dont parle saint Bernard (1), et que Benoît XIV, à son exemple, n'hésite pas à regarder comme Martyr (2). L'auteur primitif de l'homicide prétendoit s'en disculper, en disant que ce n'étoit pas lui qui l'avoit commis, et qu'il ne l'avoit ni ordonné, ni même conseillé. « Ce n'est pas toi sans doute qui l'as exécuté, lui répliquoit vivement saint Bernard; mais ne sont-ce pas les tiens, et ne l'ont-ils pas fait à cause de toi? Que Dieu voie et juge si tu es excusable, toi dont la langue fut un glaive aigu, dont les paroles étoient autant de flèches meurtrières! Eh! de ce que les Scribes et les Pharisiens, en excitant, par leurs discours, la populace à faire mourir Jésus-Christ, s'abstinrent cauteleusement de porter eux-mêmes les mains sur sa personne, s'ensuivroit-il qu'ils furent innocens de sa mort (3)? »

Ainsi donc, lorsque, par esprit d'impiété, les premiers auteurs de la révolution et les premiers héritiers de leurs conquêtes excitèrent la populace ignorante et brutale contre les prêtres, en les lui désignant comme des ennemis de son bonheur; lorsqu'ils la poussèrent à des insurrections violentes contre ces timides agneaux, qu'ils aban

(1) Epist. 159, ad papam Innocent. II. Voy. FLEURY: Hist. Eccl. Liv. LXVIII, n° 23.

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(2) De Servor. Dei Beatif, etc. Lib. III, c. xIII, no 11. Saint Bernard dit: Credimus et nostri MARTYRIS spiritum, quem novissimè diebus istis tua crudelitas morti dedit, cum cæteris animabus interfectorum voce valida sub altari clamare, et flagitare vindictam, eòque instantiùs quò recentiùs ipsius sanguis effusus est super terram. (Epist. 159.)

(3) Sed numquid ego, inquit, occidi eum? Non utique tu; sed tui, et propter te. An et per te? Videat Deus et judicet si excusabilis tu es, cujus dentes arma et sagittæ, cujus lingua gladius acutus: proindè nec Judæi Christi de morte culpandi sunt, quippè et ipsi manus continuere cauti? (Epist. 159.)

donnoient en même-temps à ses fureurs, et lorsqu'elle les égorgeoit tumultuairement par une espèce de droit de guerre, jure belli, suivant l'expression d'Eusèbe en racontant de semblables irruptions contre les chrétiens de son temps; les prêtres et les catholiques, tués en de telles occasions, furent aussi de vrais Martyrs. << Peu importe, disoit saint Cyprien, en un cas pareil, peu importe de la main qui livre ou de celle qui frappe, lorsque Dieu permet que ceux qu'il a résolu de couronner soient voués à la mort (1). »

Après avoir parcouru les différentes manières dont tant de prêtres et de fidèles sont morts pour la foi de nos pères, dans les derniers troubles politiques de la France, il est démontré que ceux qui ont péri pour cette cause, tant dans des émeutes populaires que sous le couteau de la guillotine ou le plomb des fusillades, tant dans les cachots qu'en de sauvages lieux de déportation, comme encore par suite de tourmens endurés pour la religion, sont de vrais Martyrs dans le sens du langage de l'Eglise.

Il nous reste à prouver qu'on ne doit pas regarder comme tels, ceux qui ont péri pour une cause politique, même juste et honorable, fussent-ils morts en saints, vraiment dignes de la couronne de justice.

§. II.

Benoît XIV, résumant les principes qu'il a développés sur les conditions du martyre, réduit à six les circonstances où l'on peut en voir un véritable dans la mort infligée, soit médiatement, soit immédiatement à un chrétien (2). C'est lorsqu'elle l'a été, ou 1o. parce

(1) Nihil interest quis tradat aut sæviat, cùm Deus tradi permittat quos disposuit coronari. (Epist. 55.)

(2) De Servor. Dei Beatif. Liv. III, c. xiv, no 6 et suivans.

qu'on n'a pu lui faire trahir sa foi (1); ou 2o. parce qu'il n'a pas voulu se prêter à un acte par lequel il auroit laissé croire qu'il manquoit à sa foi (2); ou 3°. parce

(1) Comme en adhérant par le serment ou par la communication in divinis avec les prêtres constitutionnels, à cette constitution civile du clergé, que Pie VI, par son bref du 13 avril 1791, avoit condamnée en montrant qu'elle étoit le résultat de principes hérétiques, etc. Ex principiis coalescere ab hæresi profectis, adeòque in pluribus decretis hæreticam esse, et catholico dogmati adversantem; in aliis vero sacrilegam, schismaticam..... non alio denique consilio excogitatam atque vulgatam, nisi ad catholicam religionem abolendam. « Ceux-là qui aimoient mieux mourir que déchirer l'unité de l'Eglise par leur adhésion au schisme, étoient encore plus recommandables que ces Martyrs qui furent immolés pour n'avoir pas voulu sacrifier aux idoles », dit saint Denis d'Alexandrie, dans son Epître au schismatique Novat: Satius quidem fuerat quidvis pati ne Ecclesia Dei discinderetur. Nec minus gloriosum fuisset idcircò subire martyrium ne Ecclesiam Dei scinderes, quàm ut ne idolis sacrificares. Immò, illud, meo quidem judicio, illustrius fuisset: hic enim pro sua unius anima; illic pro omni Ecclesia martyrium quis sustinet. (Euseb. Hist. Eccl. Lib. VII, c. XLV.)- Là, se trouvent compris, plus forte raison, ceux de qui l'on exigea, deux ans plus tard, une apostasie formelle de leur sacerdoce ou du christianisme.

(2) Tel que ce serment de liberté-égalité, prescrit en août 1792, lorsque se déchaînoit la plus grande fureur de l'impiété contre la religion et les prêtres, entre l'épouvantable catastrophe du 10 août et leur massacre en septembre. Ils pouvoient voir l'intention et le but de ce serment dans le caractère seul des circonstances au milieu desquelles il étoit ordonné, et sa condamnation même dans ce que l'année précédente, le pape Pie VI avoit dit, de cette liberté et de cette égalité déjà proclamée par l'Assemblée constituante : Manifestò percipitur æqualitatem et libertatem a conventu jactatam in illud, ut jam probavimus (bref du 10 mars 1791), residere ut catholica subvertatur religio, cui proptereà dominantis titulum in regno, quo potita semper est, detrectavit. (Bref du 13 avril 1791.) Des ecclésiastiques estimés firent néanmoins ce serment, et s'efforcèrent ensuite de prouver qu'à raison de la manière abstraite dont ils l'interprétoient, on pouvoit le faire en sûreté de conscience. D'autres en plus grand nombre, et tout aussi recommandables sous le rapport du savoir et de la piété, le regardèrent comme criminel, et même plus criminel que le premier, en ce que celui-ci étoit déci

qu'il a refusé de faire une chose défendue par

les pré

dément impie, tandis que l'autre n'étoit que schismatique. (Voy. FONTAINE, lazariste.) Dans cette divergence d'opinions, où les partisans du serment ne se fondoient que sur le vague de la formule et des expressions, interprétées à leur manière, abstraction faite des circonstances et de l'intention bien manifeste des législateurs, ils se retranchoient dans cette maxime de saint Augustin: In dubiis libertas. Les adversaires disoient avec raison que cette maxime n'étoit applicable qu'à des choses de pur système, où la Foi n'est point compromise; et que, par cela même que l'on reconnoissoit du vague et de l'ambiguité dans la formule du serment, et surtout d'un serment exigé par des impies avérés, on ne devoit point le faire, suivant cette maxime plus précise de saint Ambroise: Nemo benè jurat, nisi qui potest scire quod jurat: jurare igitur, indicium scientiæ, testimonium conscientia est; et benè jurat qui ad lucernam Verbi pedes suos dirigit, qui lucem in semitis suis cernit. (In psalm. 118 Expositio; Serm. xiv, no 14.) Ils disoient encore avec saint Augustin: «Tout homme qui fait un serment, jure, non suivant ce qu'il dit, ou prétend dire, mais suivant les intentions connues de celui qui exige son serment. » Non secundùm verba jurantis, sed secundùm exspectationem illius cui juratur, quam novit ille qui jurat, fidem jurationis impleri. (Epist. 125, ad Alypium, no 4.) Pie VI, étant consulté au milieu de ces opinions contradictoires, ne dissimula point qu'il regardoit ce serment comme très-criminel; mais, retenu par la considération dont jouissoient dans l'Eglise ceux qui, l'ayant fait d'abord, avoient induit beaucoup d'autres à les imiter, et craignant prudemment de trop multiplier les censures canoniques, il retarda son jugement doctrinal, en le faisant toutefois pressentir, et blâmant ouvertement cette témérité qui avoit fait jurer dans le doute sincère ou simulé. La réponse qu'il fit donner par la congrégation chargée des affaires de l'Eglise de France étoit en ces termes : Responsum fuit non esse locum PRO NVNC, pœnis canonicis, NONDVM edito per Sanctissimum Dominum nostrum judicio super præfato juramento; sed monendos esse et laicos et ecclesiasticos qui idem juramentum præstiterunt, ut consulant CONSCIENTIE suæ, cùm IN DUBIO JURARE NON LICEAT. (Resp. Congreg. 1 April. 1794.) Nous avons cru ces explications nécessaires, parce que beaucoup de prêtres, de religieux, de religieuses, de laïcs de l'un et de l'autre sexe, ont mieux aimé, par principe de religion, subir la mort que prêter ce serment. On peut voir, au t. II, p. 286 des Extraits cités ci-devant à la note 1 de la page 15, une nouvelle preuve que Pie VI réprouvoit ce serment. Il l'avoit été par Mer de Bovet, évêque de Sisteron, dans ses Réflexions sur le nouveau Serment prescrit

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