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D'où il résulte que d'anciennes observances, qui sont de devoir rigoureux, se trouvent souvent remplacées par des pratiques, qui plaisent par leur nouveauté, et dont le succès flatte toujours l'amour-propre de celui qui les propage : ce qui est souvent un prétexte aux ennemis de la religion, pour diviser ses ministres, et l'attaquer avec plus d'avantage.

« D'autre part, cet esprit d'innovation qui s'est introduit jusque dans le sanctuaire, et dont nous déplorons tous les jours les funestes progrès, ne peut rien supporter de ce qui a le sceau de l'antiquité. Il veut que tout paroisse sous des formes nouvelles ; et ces formes, presque toujours, changent le fond des choses: il n'y a plus aucun principe qui reste certain; les questions les plus simples sont devenues des problèmes ; le bien et le mal, le sacré et le profane, tout est dans une horrible confusion : nulle autorité pour les recon. noître ; et chacun déplore ce vague indéfini où s'agite une nation qui a congédié tous ses guides. Il est donc urgent encore de rétablir, pour les consciences inquiètes et troublées, ce conseil qui, ayant un grand usage des délibérations, avec toutes les notions d'équité et de bonne foi qu'il prit à leur véritable source, avoit l'avantage de délivrer la conscience de celui qui recouroit à ses lumières, d'un doute pénible, et quelquefois d'un remords qui pouvoit le conduire au désespoir ce conseil seroit encore le refuge du malheureux que des circonstances ont entraîné dans le crime, et qui, dans l'excès de sa douleur, a besoin de consolation, d'encouragement et d'appui ».

Mais, hélas! des vœux aussi patriotiques qu'ils sont religieux, n'ont point été exaucés; et l'on ne sauroit se dissimuler que l'obstacle est moins venu de la difficulté de trouver assez d'anciens docteurs encore vivans pour recomposer cette utile et vénérable institution, que des causes indiquées par nous-mêmes en commençant à parler de la Sorbonne (1).

(1) Voyez encore ce qui a été dit ci-devant par Rollin, pag. 481 et 482.

son

Il ne nous reste plus, ramenés que nous sommes au fond de notre ouvrage, par l'histoire même de cet aréopage sacré, il ne nous reste plus qu'à faire observer que sur plus de dix-huit cents docteurs de la Faculté de Paris, dispersés dans toute la France, il n'y en eut que trente au plus qui déshonorèrent les principes de cette école si pure et si lumineuse, par une coupable adhésion aux erreurs du temps, et qu'un nombre infiniment plus grand parmi ceux qui restèrent dignes de antique réputation, eurent la gloire de sceller de leur sang la sainte doctrine qu'elle professoit avec toute l'Eglise catholique. La ville des Vans, au diocèse d'Uzès, avoit déjà vu tomber, victime de cette cause divine, un de nos docteurs, le 14 juillet 1792 (V. CLÉMENCEAU), quand périrent pour elle, les 2 et 3 septembre, à Paris, plusieurs d'entre eux, notamment ce digne évêque de Beauvais, qui étoit l'un des trois prélats, choisis, selon l'antique usage, pour être les conservateurs des priviléges apostoliques de l'Université de Paris. (V. F. J DE LA ROCHEFOUCAULD. )

et

N° XXV.

FUITE A L'ETRANGER.

AVANT la loi de déportation, rendue le 26 août 1792, et dont nous avons parlé ci-devant, page 132, beaucoup d'évêques et de prêtres plus particulièrement voués à la persécution, étoient déjà sortis de France. Ils y furent décidés par le projet de les déporter, qui avoit été décrété le 26 mai précédent, et surtout par la marche de plus en plus effrayante de la révolution. La puissance toujours croissante des persécuteurs ne permettoit pas de se dissimuler qu'on étoit à la veille des plus funestes catastrophes.

Le nombre de ces respectables fugitifs s'accrut bientôt

prodigieusement chez les diverses nations étrangères, par l'effet de la loi du 26 août 1792; les premiers avoient été accueillis par les évêques avec la même bienveillance, la même estime que l'étoient alors les déportés. Le Saint-Père Pie VI les confondoit tous dans une égale affection; et, en chargeant les évêques et les monastères des Etats romains de pourvoir à leur subsistance, Sa Sainteté préconisoit également les uns et les autres, comme « d'illustres confesseurs de la Foi (1) ». L'archevêque de Turin les recommandoit comme «< expulsés de France en haine de la religion, et à cause de leur constance à défendre la Foi et la discipline catholique (2) ». Celui de Vienne en Autriche professa pour eux solennellement << une vénération semblable à celle qu'il avoit pour les premiers Martyrs de la religion (3)». Il seroit trop long de rapporter les preuves que nous avons de l'uniformité des sentimens de cent cinq archevêques ou évêques de l'Italie, de la Suisse, de la Bavière, de la Hongrie, de l'Allemagne, de la Belgique, de l'Angleterre, du Portugal et de l'Espagne, à leur égard (4). Les lettres pastorales que tous

(1) Quemadmodum verò persecutionis furor qui, postremo hoc tempore.... efferbuit, numerum AUXIT illustrium confessorum, qui de sanctá religione nostrá optimè sunt meriti. (Litteræ encyclicæ ad Arch. et Episc. Pontificia ditionis pro recipiendis ecclesiasticis personis iis, quæ ex Galliarum regno emigrárunt: 10 oct. 1792.) Le S. P. Pie VI en parle de même dans ses brefs aux archevêques, évêques, abbés et abbesses, chapitres, clergé séculier et régulier de l'Allemagne, 21 novembre 1792; aux cantons suisses catholiques, et en particulier à celui de Fribourg, 20 avril 1793, comme dans son édit du 17 février de la même année.

(2) Dans les approbations et recommandations particulières de ce prélat en faveur de chaque prêtre exilé ou déporté, il le reconnoissoit pour odio catho licæ religionis Gallia expulsum; le disant encore: Ob constantiam in catholicá Fide et discipliná tuenda, detrectatumque jusjurandum, quod ipsis adversatur, vi Gallia expulsum. (V. C. B. M. Card. Costa de Arignano, Arch. Taurinens., 5 octobre 1792.)

(3) Non sine maximæ venerationis sensu.... Vos jure ac meritò primis christianæ religionis, vestræque Ecclesiæ Martyribus assimilavi. ( Christoph. de Migazzi de Valle à Solletturin. Arch. Vienn. in Austria, 15 mai 1794.)

(4) L'évêque d'Orense, en Espagne, Pierre de Quevedo y Quintano, écri

publièrent en leur faveur devroient être conservées dans nos archives ecclésiastiques, comme dans celles du Vatican.

Cependant, malgré l'autorité de tous ceux que « le SaintEsprit a établis pour gouverner l'Eglise de Dieu »>, on vit, dans ces diverses contrées, quelques membres du clergé inférieur, mus par des motifs peu louables, blâmer la fuite de tous ces vénérables réfugiés qui n'apportoient chez eux qu'une honorable indigence. A Rome même, sous les yeux du Saint-Père, le vicaire-curé du chapitre de Sainte-Marie in viá latá, dans les premières années de la persécution, étant soutenu par un parti assez nombreux, déclamoit en chaire contre ces évêques, ces curés et autres prêtres qui, sans doute afin de se réserver pour de meilleurs temps, avoient fui le fer des persécuteurs. La véhémence de ses déclamations força les prélats français à s'en plaindre, et à lui représenter que leur conduite, conforme d'ailleurs à la doctrine de l'Eglise, étoit glorieusement justifiée par l'exemple des Athanase, des Chrysostôme, et de beaucoup d'autres saints personnages de l'antiquité ecclésiastique.

En Allemagne, fermentoit le même esprit de jalousie et

voit Suscipimus, veneramur, ac debitis, si tempus pateretur, prosequeremur laudibus, illustres tot confessores, qui in hisce rerum angustiis et post tot elapsa sæcula, primitivæ Ecclesiæ fervorem non adumbrant solùm, sed referunt, et ad vivum expressis coloribus repræsentant. (Epist. ad Cæs. Scip. à Villanova, decan. et vic. gen. Andegav. 21 octobre 1792.)

Plusieurs prêtres de Sistéron, Digne, Gap, Aix, Marseille, qu'avoit accueillis avec un égal respect l'évêque de Nice, Charles-Eugène Valperga de Malione, étant bientôt forcés de fuir plus loin, au mois d'octobre 1792 (V. SAVOIE), vinrent lui demander sa bénédiction : « Vous n'en avez pas besoin, leur répondit-il, et je me recommande à vos prières. » Comme ils insistoient, le prélat, ne pouvant plus résister à leurs désirs, cède en disant : ‹ Puisque vous voulez ma bénédiction, je vous la donnerai de tout mon cœur; mais un pécheur comme moi ne peut bénir qu'à genoux des confesseurs de la Foi pour lesquels il est pénétré d'estime et de vénération ». Déjà il est tombé dans cette humble posture; et les prêtres, prosternés devant lui, sans oser lever les yeux, reçoivent, avec des sentimens de confusion, d'admiration, de respect et de piété, la bénédiction qu'ils sollicitoient avec tant d'instance : nous tenons ce fait de l'un d'entre eux.

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d'inimitié contre nos prêtres réfugiés; mais il n'éclata qu'en 1796, par la diatribe qu'un anonyme, se disant moine de Saltzbourg, fit insérer dans le journal littéraire de cette ville, le 27 juillet de cette année (1).

En Espagne, le même odieux sentiment s'étoit manifesté depuis la fin de 1792. Non seulement des prédicateurs, et surtout les religieux, blâmoient hautement, dans les chaires évangéliques, la fuite de nos prêtres, mais encore des universités faisoient soutenir des thèses publiques dans lesquelles on prétendoit que les évêques et les pasteurs étoient coupables, pour avoir abandonné leur troupeau au fort de la persécution, sans excepter même les prêtres que la loi de déportation avoit formellement et violemment expulsés.

Mais, partout où la malignité, l'avarice, et peut-être un secret penchant pour la révolution française, inspiroient des censures si indécentes, si injustes, et même si anti-chrétiennes, il se rencontra des prêtres français qui les confondirent avec les armes que leur fournissoient la tradition apostolique, et même l'Evangile. Comme ils plaidèrent cette cause beaucoup mieux que nous ne saurions le faire, nous préférons de laisser parler à notre place l'un d'eux, en choisissant toutefois celui dont la réplique, égalant pour le moins toutes les autres par la solidité des preuves, la justesse et la clarté du raisonnement, est restée presque inconnue en France, et mérite néanmoins de figurer parmi les monumens écrits de l'Eglise gallicane. Elle fut composée au commencement de 1793, à Orense, en Galice, par un docteur de la maison de Navarre, membre de la société de Sorbonne, et vicaire-général d'un évêque qui avoit déjà subi le martyre dans la maison des Carmes, le 2 septembre 1792. Avant de lire cette justification de presque tous les évêques et prêtres réfugiés chez l'étranger, il est bon toutefois d'être prévenu qu'elle ne sauroit obscurcir le mérite du petit

(1) Voyez ci-après, tom. II, pag. 3a.

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