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nombre relatif de ceux qui eurent le courage surnaturel de rester comme ignorés en France pour l'intérêt de la religion. La vocation particulière qui les y retint ne pouvoit être celle de tous les membres de l'Eglise gallicane. Si tous se fussent accordés pour y rester, comme l'auroient voulu leurs détracteurs, le corps entier du clergé, périssant infailliblement en cette condamnable résistance, auroit entraîné dans une perte, sans utilité comme sans honneur, ce petit nombre qui, dévoué au danger, devoit contribuer si puissamment au maintien de la religion, par l'exercice périlleux du saint ministère, et par l'effusion même de son sang. L'on ne doit voir, dans la pièce suivante, qu'un plaidoyer théologique pour la défense des honorables confesseurs que la Providence vouloit conserver dans les lieux de l'exil, afin qu'ils pussent, dans la suite, venir ranimer le flambeau de la Foi dans leur patrie.

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LES PRÊTRES FRANÇAIS ONT-ILS PU SANS BLESSER LEUR CONSCIENCE, SORTIR DE LA FRANCE? OU LEUR FUITE EST-ELLE UNE FAUte qu'on ait le droit de leur reproCHER?

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Ce qui nous détermine à traiter cette question, c'est qu'il nous est assuré que, dans une université célèbre d'Espagne, on a soutenu une thèse où l'on a dit que « la fuite des Français est illicite ». J'ai cependant peine à concevoir que, dans une université savante, on se soit permis de juger si sévèrement toute l'Eglise de France. Je me persuade difficilement que des hommes pleins de lumières et de modération, cherchent à accréditer une opinion dont l'effet naturel seroit d'enlever toute ressource à de malheureux proscrits; car il est notoire que le très-grand nombre de prêtres français, réfugiés dans les différens Etats de l'Europe, n'y subsistent que par la générosité et les bienfaits des nations hospitalières

qui les ont accueillis ; qu'ils ne pourroient même subsister autrement. Mais si ces prêtres, en partant, ont été prévaricateurs, dès lors tout l'intérêt qu'ils ont pu inspirer comme persécutés, tombe à l'instant. Si leur fuite a été coupable, si leur retour est un devoir, les hommes honnêtes de toutes les classes auront raison de supprimer des secours qui autorisent le mal, et de forcer par là les réfugiés à aller chacun reprendre la place que l'Eglise lui avoit confiée, et remplir des obligations auxquelles il ne pouvoit se soustraire sans blesser sa conscience.

« C'est cette thèse, si elle a été soutenue, que je me propose d'attaquer; et si, ce qui est plus probable, elle n'a point été soutenue, il n'est pas inutile de combattre une opinion qui est accréditée jusqu'à un certain point, qui ébranle même des personnes d'un esprit solide, et qui est d'autant plus dangereuse, que c'est de la religion même qu'elle semble tirer sa force.

« Ce n'est point par intérêt que je la combats. L'intérêt temporel n'est rien pour ceux à qui Dieu a donné le courage de faire tant de sacrifices. Je la combats pour l'honneur de l'Eglise; pour détromper des âmes qu'un préjugé fâcheux peut égarer; pour qu'on ne puisse plus former l'ombre d'un doute sur la cause du clergé de France; et pour qu'il soit incontestablement prouvé que cette cause mérite l'attention et l'approbation de toutes les Eglises catholiques.

« Je pourrois me dispenser de traiter cette question, que j'ai déjà résolue dans un petit ouvrage intitulé: Exposé des faits de la révolution française en ce qui touche le clergé; je me flatte d'y avoir prouvé jusqu'à l'évidence, que les prêtres ont été persécutés; qu'ils l'ont été cruellement et constamment depuis trois ans et plus. S'ils ont été persécutés, ils ont pu partir, puisque c'est un principe de droit naturel; c'est même un principe avoué par l'Evangile, et transmis à l'Eglise par J.-C., qu'il est permis de fuir en temps de persécution. «Cependant, comme l'examen particulier de cette ques

tion doit donner lieu à une discussion plus étendue, et qu'il me fournira l'occasion de développer des vérités utiles et intéressantes, je m'y suis décidé pour la justification du clergé, dont j'ai l'honneur d'être membre; et parce que je pense qu'il ne convient pas à la dignité de l'Eglise de France d'être seulement soupçonnée.

« Pourquoi les évêques et les prêtres français sont-ils partis? pourquoi ont-ils abandonné leurs places et leurs troupeaux? ne devoient-ils pas rester en France, malgré les dangers? la crainte de la mort devoit-elle les empêcher de donner aux catholiques tous les secours religieux?

<< Ici les réponses se présentent en foule; et, pour leur donner quelque ordre, renfermons-nous dans les propositions suivantes :

« 1°. Le clergé de France a été tellement persécuté, qu'il a pu partir, sans s'exposer au moindre blâme;"

« 2o. Il a été tellement persécuté, qu'il a dû partir, qu'il a été forcé à partir;

« 3o. Il a été tellement persécuté, qu'il n'auroit pu se dispenser de partir sans offenser Dieu, sans s'exposer au blâme;

« 4o. En partant, il a obéi au précepte de J.-C., il a suivi l'exemple de ce Dieu-homme;

«< 5°. Il a agi comme agissoient les apôtres, les premiers évêques et les prêtres, dans les temps de persécution.

« Ces cinq propositions sont suffisantes pour effacer tous les doutes, et ramener les esprits qui auroient les plus fortes préventions contre nous. »>

PREMIÈRE PROPOSITION.

Le clergé de France a été tellement persécuté, qu'il a pu partir sans s'exposer au moindre blâme.

<< Tant que la persécution s'est bornée à des insultes, à des menaces, à des calomnies, à des injures, à des écrits furieux

dans lesquels on invitoit le peuple à égorger les évêques et les prêtres, les uns et les autres sont restés à leur poste, bien persuadés qu'il faut savoir souffrir des affronts pour le nom de J.-C., et que le disciple n'est point au-dessus du maître.

« Lorsque les choses ont été plus loin; lorsqu'on a eu soulevé tous les fidèles contre leurs pasteurs; lorsqu'on a spolié le clergé de tous ses biens; lorsqu'on a exigé durement et militairement un serment inique, dont le refus entraînoit la perte des places, les évêques et les prêtres ont refusé le serment, et ils sont encore restés à leur poste.

« Lorsque, poussant les choses à la dernière impiété, l'assemblée eut levé l'étendard du schisme, eut substitué des intrus aux évêques et aux curés innocens et inamovibles, ceux qui purent rester à leur poste, y restèrent. Ils abandonnèrent leurs maisons à leurs usurpateurs ; mais, tant qu'il fut possible, ils ne quittèrent ni leur diocèse, ni leur paroisse ou ils s'en tinrent à une petite distance, pour entretenir encore une correspondance habituelle avec leurs ouailles; pour pouvoir aller en cachette visiter les malades, exhorter les mourans, et nourrir la piété des bons catholiques. Ils savoient bien que ce rôle les exposoit à des poursuites judiciaires, à des emprisonnemens, à des amendes: beaucoup néanmoins s'y exposèrent, et oublièrent le danger pour sauver des âmes.

<< Mais lorsque les remplacemens eurent été faits avec violence; lorsqu'il ne fut plus possible aux pasteurs de demeurer au milieu de leur troupeau, ou à la proximité de leur troupeau; lorsqu'il leur fut impossible de rendre aucun service à leurs paroissiens, devenus leurs ennemis et leurs persécuteurs, alors cessa le devoir de rester. Alors il fallut que les prêtres s'éloignassent et se cachassent. Encore les poursuivoiton dans les asiles, même éloignés, qu'ils s'étoient choisis. On leur suscitoit tous les genres de tracasseries et de désagrémens. Souvent même on les chassoit; et il y a beaucoup d'exemples de pasteurs, qui, ayant passé d'un département

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dans un autre, en ont été bannis par des arrêtés vexatoires, et qui, allant successivement dans trois ou quatre départemens, toujours poursuivis, toujours chassés, n'avoient plus d'autre ressource que de fuir loin d'une terre qui ne leur offróit plus ni feu ni lieu, et où ils ne pouvoient plus reposer

leur tête.

«< Qui osera les blâmer d'avoir pris enfin un parti, auquel la nécessité les contraignoit, et d'avoir secoué la poussière de leurs pieds, en quittant une terre de proscription? Ils étoient pasteurs, à la vérité; mais ils n'en pouvoient remplir aucune fonction; mais, même en bravant les dangers, la plupart ne pouvoient faire dans leurs paroisses aucun bien, absolument aucun. Les liens qui les attachoient à leur troupeau étoient donc, sinon rompus, du moins déliés, jusqu'à ce que les circonstances permissent de les renouer. Les plus austères casuistes ne peuvent pas en juger autrement. J'ai des devoirs à remplir, je fais ce qui est en moi pour les remplir; mais on m'oppose des obstacles multipliés et insurmontables: alors ce devoir n'existe plus, ou n'est plus obligatoire. Certes, les canons les plus sévères, qui obligent à la résidence les pasteurs des âmes, n'ont plus d'application, lorsque la résidence est devenue totalement impossible. Si donc, à cette époque, tous les prêtres eussent pris le parti de la fuite, on ne pourroit pas leur faire l'ombre d'un reproche. Mais la plupart n'ont pas voulu user d'un droit si naturel, si légitime. Ils passoient d'un diocèse dans un autre ; et si, moins connus, ils y étoient moins persécutés, ils faisoient encore des bonnes œuvres ; et, consultant bien plus leur zèle que leur sûreté, ils s'occupoient du salut de leurs frères. Comme de dignes ministres de J.-C., ils étoient contens dans leur détresse, dans leur état de mendicité, lorsqu'ils avoient pu arracher quelque proie à l'Enfer, ou fortifier les vrais fidèles dans l'amour de la religion.

« Et remarquez bien que les évêques furent autorisés à partir avant les prêtres, parce qu'étant plus connus, et par là plus

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