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exposés, c'eût été de leur part une haute imprudence de braver la férocité d'hommes armés et sans frein, qui fouloient aux pieds les lois sacrées de la religion, qui méconnoissoient même la voix de l'humanité. »

SECONDE PROPOSITION.

Le clergé de France a été tellement persécuté, qu'il a dú partir, et qu'il a été forcé à partir.

« Si le clergé a été autorisé à partir, notre cause est gagnée, mais cela ne nous suffit pas. Nous voulons, pour notre pleine justification, que l'on sache que nous avons dû partir; qu'en partant, nous avons, non seulement usé d'un droit, mais rempli un devoir; que si, par zèle, nous eussions tous voulu rester, ce zèle unanime eût été indiscret.

« Je suppose que le clergé de France, dans la position où il se trouvoit, eût consulté toutes les Eglises catholiques, que ces Eglises, réunies en conciles nationaux, lui eussent tracé un plan de conduite analogue aux circonstances, je soutiens que toutes lui eussent conseillé de faire ce qu'il a fait, de céder à l'orage et de s'éloigner. Sa présence, ne pouvant qu'aigrir les esprits, et ajouter aux rigueurs de la persécution, étoit non seulement inutile, mais même dangereuse. La fermeté a des bornes au-delà desquelles elle devient opiniâtreté. La fureur alloit toujours croissant, et eût multiplié les crimes. Déjà on avoit emprisonné une foule de prêtres, dans tous les départemens; déjà on en avoit assassiné plusieurs à Bordeaux, à Nismes, à Meaux, à Lyon. On avoit fait une boucherie de prêtres et d'évêques à Paris, lorsque le grand nombre s'est décidé à quitter le royaume. Ce n'étoit plus lâcheté, c'étoit prudence: c'étoit agir conformément au véritable esprit de la religion.

<< Pour mieux juger cette conduite, que l'on voie ce qui est arrivé aux prêtres restés en France, pour raison de vieillesse,

d'infirmités, ou par un zèle surnaturel. Tous ceux d'entre les premiers qui étoient employés dans le gouvernement des paroisses, curés ou vicaires, sont enfermés dans des maisons communes. Ils y sont prisonniers, et par là, réduits à la plus grande inutilité. Quel bien leur présence fait - elle à la France ? Aucun : ils sont tous les jours exposés à la fureur populaire ; et qui sait si la rage des factieux ne se portera pas jusqu'à les exterminer (1)? C'est là une des inquiétudes qui nous dévorent dans notre exil. Nous les plaignons, ces amis, ces frères : nous tremblons pour eux. Nous avons de vifs regrets qu'ils n'aient pas pu nous suivre loin de notre patrie, et partager la sûreté dont nous jouissons. Ce qui nous tourmente le plus, c'est que, parmi eux, plusieurs sont exposés à la cruelle tentation d'acheter leur repos par des sermens coupables.

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<< Quant à ceux qui ne sont pas fonctionnaires publics, comme les chanoines, les curés qui s'étoient démis de leurs cures, les religieux, les bénéficiers simples, ils jouissent, à la vérité, de leur liberté; mais de quelle liberté! S'ils sortent, on les épie, on les espionne, on les veille. On craint surtout qu'ils n'approchent des malades et des mourans. Ce n'est qu'avec d'incroyables précautions qu'ils peuvent échapper à ces ennemis acharnés qui, semblables au lion rugissant, sont toujours en embuscade pour dévorer leur proie, et pardonneroient bien plutôt à un prêtre d'avoir assassiné son semblable, que d'avoir sauvé une âme.

<< Lorsque les choses en sont parvenues à un tel point, il est certainement permis de chercher un autre asile, et de dérober sa tête au fer des scélérats altérés du sang sacerdotal, et pour qui le meurtre et les sacriléges sont des jouissances. Il y a plus : quand même les prêtres auroient voulu rester ; quand ils auroient été déterminés à braver tous les dangers, à essuyer toutes les fureurs de la persécution, cela leur eût

(1) Il ne faut pas oublier que l'auteur écrivoit au commencement de 1793.

été impossible. Pourquoi ? C'est qu'il y a eu un décret général d'exil ou de déportation contre tous les prêtres qui, assujétis à la loi du serment, ne l'avoient point prêté; c'est que ce décret a été exécuté par la force; c'est qu'il eût été inutile et illicite d'y opposer de la résistance; c'est que tous les hommes armés du royaume (et il n'y a pas un méchant qui ne soit armé), tous ces hommes passionnés, qui sont les exécuteurs ardens des décrets de l'Assemblée Nationale, et qui, en les exécutant, n'ont jamais connu les mesures ni la modération, eussent déployé, contre les prêtres qui n'avoient pas fui, toute la violence dont ils étoient capables; et alors le sang eût coulé de toutes parts (1).

<< Il est donc vrai de dire que les prêtres en général ont dû partir; qu'ils ne pouvoient s'en dispenser. Je dirai même qu'ils eussent fait un très-grand mal en restant, et je le prouve. »

TROISIÈME PROPOSITION.

Le clergé a été tellement persécuté, qu'il n'auroit pu se dispenser de partir, de partir, sans s'exposer au blâme, et sans offenser Dieu.

<«< Que prescrit la loi de Dieu ? De remplir son devoir autant qu'il est possible de le remplir. Mais, lorsqu'une force majeure vous arrache à vos fonctions; lorsqu'on vous contraint à quitter le lieu de vos fonctions, que dit alors la loi de Dieu, surtout à des prêtres ? Elle leur dit bien clairement qu'il ne faut pas opposer la force à la force; qu'il faut céder et se retirer. Elle leur dit que, si on les envoie en exil, quoique cet exil les sépare des troupeaux auxquels ils étoient

(1) C'est ce qui arriva, dans la suite, à l'égard de ceux que leur zèle, approuvé de leurs supérieurs, avoit retenus en France, dans l'espoir fondé d'y être ignorés des persécuteurs.

liés, il faut qu'ils partent, et n'opposent d'autres armes que la résignation et la patience : s'ils restent par esprit de résistance (1), ils sont blâmables, ils sont même responsables des crimes qui pourroient en résulter. Ce ne seroient plus des prêtres de Jésus-Christ; ce seroient des séditieux, des rebelles. Voilà ce que dit la saine et vraie morale: et dès lors le clergé de France est absous.

« Pourquoi est-il parti ? Parce qu'il y a été forcé. Il ne s'éloigna point tant que la persécution fut supportable; et Dieu sait ce que, pendant trois ans, il a enduré de contradictions et d'injustices, d'injures et d'outrages; et la spoliation de ses biens, et la perte de ses places; et l'expulsion de ses maisons, et le bannissement; et les amendes, et les emprisonnemens, et les menaces les plus atroces: menaces qui, en plusieurs lieux, ont été accompagnées des violences les plus sanguinaires. Enfin, il n'est parti que lorsque la mort a été sur sa tête, et lorsqu'une loi inique et barbare l'a chassé de sa patrie. Si quelques uns l'ont prévenue, cette loi digne des Néron et des Dioclétien, c'est que le danger étoit plus pressant dans les lieux qu'ils habitoient; c'est qu'ils avoient vu égorger de malheureux confrères; c'est qu'ils étoient dans l'impossibilité de faire aucun bien, et d'empêcher aucun mal.

« Une pareille conduite, je le demande, est-elle répréhensible? J'ose dire qu'elle mérite, non le blâme, mais des éloges : j'ose dire que nous avons soutenu la cause de J.-C. ; que nous avons souffert pour lui; que c'est encore pour lui et pour son nom que nous sommes en exil. Aussi, est-ce là l'idée qu'on a de nous dans toute l'Europe; c'est là ce qui, partout, nous a attiré la bienveillance et les bienfaits des âmes chrétiennes ; c'est là ce qui a ouvert des asiles et procuré des ressources à notre pauvreté. Nous ne sommes rien par

(1) Le motif du petit nombre de ceux qui crurent devoir rester, étoit au contraire éminemment évangélique.

nous-mêmes; et nous ne pouvons inspirer qu'une pitié vague; mais la miséricorde de Dieu nous a choisis pour être les défenseurs et les confesseurs de la Foi; et c'est un rôle qui nous relève et nous honore : c'est à ce beau titre que nous devons tant de protecteurs, dans les pays où nous nous sommes réfugiés. Ce titre est si parlant, que, dans les pays même où l'on ne professe point la Foi catholique, nous avons été accueillis et secourus avec une affection touchante, avec la plus noble générosité. L'Angleterre et la Hollande, marchant sur les traces des gouvernemens catholiques, malgré la différence des religions, nous ont prodigué et les hommages et les consolations. Tout cela a été réglé par la Providence. Aussi n'en concevons-nous pas de l'orgueil, mais de la reconnoissance; et cette opinion générale que l'on a sur notre compte, devroit nous dispenser de toute apologie.

« Je suppose maintenant que nous eussions tenu une conduite directement opposée à celle que nous avons tenue; que, lorsqu'on nous a ordonné de partir, nous fussions tous restés ; que ce cri de résistance eût été universel parmi nous; qu'il eût été commun à tous les diocèses de la France : je dis que nous eussions offensé Dieu, que nous eussions attaqué directement les vues de sa providence; je dis que nous eussions été la cause directe des crimes que se fussent permis des hommes effrénés, et du sang qu'ils eussent versé. Je dis que, mourant alors victimes d'un entêtement inexcusable, nous eussions été privés des grâces que Dieu accorde à ceux qui se sacrifient pour lui.

<< Calculons encore ce qui en seroit résulté ; et suivons cette hypothèse jusqu'au bout. Il en seroit résulté que la totalité ou la presque totalité des évêques et des prêtres eût péri; et ensuite, si Dieu, par son infinie bonté, eût résolu de rendre à la France sa religion, de rappeler la Foi dans ce pays, d'où elle est presque entièrement exilée, que seroit une religion sans ministres? Qu'on ne m'accuse pas de douter de la

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