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disons-nous, doit toujours s'appliquer, de l'aveu même de Pie VI, ce que déclaroit Jacques Ier, calomnié par les factions anti-monarchiques de son royaume, quand il disoit « Les déclamations qu'on fait contre moi dans les assemblées tribunitiennes n'ont qu'un seul motif, c'est que je suis roi, et que cette dignité est, à leurs yeux,

vain, homme d'Etat, qui, ayant fait d'une manière distinguée, et dans les intérêts de la cour, en 1791 et 1792, la partie politique du Mercure de France, avoit alors été dans la confidence de la plupart des secrets du cabinet des Tuileries. Cet écrivain est M. Mallet du Pan, lequel, passé en Angleterre après le 10 août 1792, y publia les années suivantes cet ouvrage périodique, connu sous le nom de Mercure Britannique, que toute l'Europe, excepté la France, lisoit avec avidité. Le 5 janvier 1800, dans son n° XXXIII, il affirma d'abord, contre l'assertion de M. Bertrand de Molleville, que Louis XVI avoit connu à temps le bref du 10 juillet 1790, ainsi que les suivans du 17 août et du 22 septembre de la même année; qu'on avoit tort de présumer qu'ils lui avoient été soustraits par les deux prélats, et de fonder cette présomption sur ce que ces prélats ne les avoient point communiqués aux évêques qui faisoient partie de l'assemblée constituante. « Les prélats de Vienne et de Bordeaux, continuoit M. Mallet du Pan, auroient même été répréhensibles, s'ils n'eussent pas tenu secrets ces deux brefs (le premier et le second), parce que Sa Majesté avoit défendu positivement d'en donner connoissance. » Un vénérable ecclésiastique nous atteste, d'autre part, qu'en 1804, M. l'archevêque de Bordeaux, transféré depuis 1802 sur le siége d'Aix, lui disoit avec douleur, en parlant de ces brefs : Engagés que nous étions dans les liens d'un pénible ministère, frappés de terreur à la vue des plus imminens dangers (Eh! plût au ciel qu'ils n'eussent menacé que ma tête!), placés entre le double devoir de préserver la personne sacrée du Roi, et de sauver l'arche sainte, nous nous trouvions dans une situation bien cruelle, dont personne ne pouvoit connoître les terribles alarmes. Le jour arrivera peut-être où l'on pourra savoir les graves motifs qui nous empêchèrent de publier ces brefs. » La conclusion de toutes ces notions est que le Roi sanctionna sciemment, sinon librement, l'hétérodoxe constitution civile du clergé, comme il avoit sanctionné précédemment plusieurs autres décrets funestes à la religion, et que sa non-sanction de celui du 16 mai 1792 ne pouvoit nullement être regardée comme une protection formelle et positive des ministres de l'église catholique : ce n'étoit plus qu'un impuissant refus de consentir à ce qu'on fît de nouvelles persécutions contre eux.

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pire que tous les crimes (1). » C'est donc par là qu'il arrive, en pareille circonstance, que, lorsque le monarque déchu est catholique, la persécution que des sujets fidèles souffrent réellement pour la religion qu'il professoit, est d'intention plus faite à cause de lui que contre elle aussi a-t-on vu qu'en condamnant nos Martyrs comme fanatiques, les persécuteurs ne pouvoient s'empêcher de les condamner, en même temps

(1) Acta in Consist. secret. 17 jun. 1793. Le texte de Jacques I, vérifié dans ses ouvrages, est en ces termes: Crebræ adversùs me in tribunitiis concionibus calumniæ spargebantur ; non quòd crimen aliquod designassem, sed quia Rex eram, quod omni crimine pejus habebatur. Ac quoniam hanc odii causam palàm profiteri pudor erat, sollicitè in vitam meam, moresque inquirebant, minima quæque errata augentes in immensum........ et quanquam omninò videri volebant culpam ab officio, et vitium ab homine distinguere; larva tamen incautis nonnunquam decidebat; et consilia quæ tanto consilio tegebant, suo prodebant indicio. ( ΒΑΣΙΛΙΚΟΝ ΔΩΡΟΝ sive De institutione principis ad Henricum filium, in operibus editisab Jacobo Montacuto, Londini, 1619. L. II, p. 148.) Le même raisonnement se trouve, comme fruit de l'évidence, dans une Vie privée et politique de Louis XVI, publiée à Nismes en 1814 (vol. in-8°, chez Gaude fils). L'estimable auteur de cette Vie, tire fort justement la même conclusion des aveux de Brissot, l'un des chefs de la faction Girondine, au sujet de son Adresse à tous les républicains français, quelques mois après la déclaration de guerre qu'elle avoit forcé le monarque de faire aux puissances coalisées en faveur de la monarchie. Brissot avoit dit : « C'étoit l'abolition de la royauté que j'avois en vue, en faisant déclarer la guerre..... Les hommes éclairés m'entendirent le 30 décembre 1791, quand, répondant à Roberspierre (qui ne la vouloit pas), qui me parloit toujours de trahisons à craindre, je lui disois: Je n'ai qu'une crainte, c'est que nous ne soyons pas trahis... Les grandes trahisons ne seront funestes qu'aux traîtres... Elles feront disparoître ce qui s'oppose à la grandeur de la nation française, la ROYAUTÉ. » D'après cela, le judicieux auteur dont nous parlons raisonnoit ainsi : «< Puisque l'abolition de la royauté étoit nécessaire à l'établissement d'une république, Louis XVI n'étoit donc coupable que parce qu'il étoit Roi. Brissot, et ceux qui vouloient, comme lui, la république, n'ont donc voulu sa mort que parce qu'elle étoit nécessaire à l'établissement d'une république.» (Voyez p. 138 et 139.)

et par-dessus tout, comme royalistes. La haine de la royauté fut donc le principal mobile des grands attentats sous lesquels ont succombé tant d'illustres victimes, dont plusieurs sans doute ont mérité la brillante couronne des Saints, mais non la palme des Martyrs (1).

Et cependant, comme nous l'avons dit, quoique la haine de la royauté fût, dans les persécuteurs, la passion dominante qui fit périr en même temps, avec de purs royalistes, et comme tels, un très-grand nombre de personnes pieuses, condamnées aussi pour des actes. religieux, nous revenons à conclure que cette haine primitive de la royauté, ayant alors pour accessoire à leur égard celle de la religion qui les rendoit inébranlables dans leur royalisme, ces sortes de personnes moururent dès lors véritablement pour elle, et sont par conséquent de vrais Martyrs. C'est à ces personnes que convient plus spécialement le raisonnement de saint Basile, sur certaines victimes d'une persécution de son temps, à laquelle la nôtre a si souvent ressemblé. «< Quand je considère, disoit-il, leur condamnation, et la mort qui s'en est suivie, sans qu'elles pussent avoir ici bas, comme les Martyrs des persécutions décidément anti-chrétiennes, la gloire d'être alors même honorées comme eux, je reste convaincu que de plus grandes récompenses

(1) On pourroit croire, d'après le témoignage d'Ammien Marcellin, que tous les catholiques mis à mort injustement par des juges chrétiens, étoient vénérés dans l'Eglise comme Martyrs. En racontant (L. XXVII de son Histoire) les paroles d'Eupraxius à l'empereur Valentinien, cet écrivain prétend qu'il disoit : « Ceux que, par votre ordre, j'ai fait mourir comme coupables, sont l'objet d'un culte sacré chez les chrétiens. » Mais Baronius observe, dans les notes de son Martyrotoge, au 9 avril, qu'Ammien, étant païen, ne pouvoit être bien informé de ce qui se passoit dans l'Eglise, et que, dans ses fastes avoués par elle, il n'y a aucun exemple qu'elle ait regardé comme Martyr 'celui qu'un magistrat chrétien auroit fait mourir injustement, pour une cause civile: Nullum enim hujusmodi rei exemplum in ecclesia reperitur, ut Martyr habitus sit, quem christianus catholicus magistratus, licèt injustè, occidi mandasset.

leur sont décernées par le juste juge. Ceux qui avoient succombé sous le glaive des païens, tout en obtenant de Dieu la couronne promise, avoient en même temps reçu des hommes une juste louange; mais puisque ces Martyrs de nos jours, dont les exploits non moins beaux pour la même cause, n'ont pas eu cette compensation. temporelle à l'ignominie de leurs supplices, il est bien naturel que, dans le ciel, la récompense ordinaire des maux qu'ils ont soufferts pour la piété se double, pour ainsi dire, en leur faveur (1). »

Nous n'avons pas besoin d'ajouter, avec saint Astère d'Amasée, que, dans chacune des classes de nos Martyrs (2), la gloire et les récompenses ne sont pas égales

(1) Quapropter persuasum mihi est majora vobis, quàm iis qui tunc martyrium passi sunt, à justo judice præmia servari: siquidem illi et ab hominibus certam et exploratam laudem consequebantur, et à Deo mercedem exspectabant; vobis autem in paribus præclarè factis honores à populis non deferuntur, undè par est multiplicatam reponi infuturo ævo laborum pro pietate susceptorum remunerationem. (Epist. 257, ad Monachos ab Arianis vexatos.)

(2) Les Grecs, au rapport d'Eusèbe (Hist. Eccles. L. VI, c. xxxII), reconnoissoient quatre classes de Martyrs, à savoir: 1o. les Megatomarteres, ou grands Martyrs, tels que Démétrius, Georgius et Théodore, qui firent des actions éclatantes pour la Foi ; 2°. les Osiomarteres, ou Martyrs qu'aucun péché ne souilla jamais, tels que Nicon et quelques autres; 3°. les Jeromarteres, c'est-à-dire les Martyrs sacrés, ou revêtus de la dignité épiscopale, et même seulement du sacerdoce, tels que saint Sabas, etc.; 4°. enfin les Marteres, ou Martyrs ordinaires. On ne pourroit admettre dans aucune des classes de vrais Martyrs dont nous parlons, ceux que quelques théologiens appellent « Martyrs sans tyran » c'est-à-dire ceux qui, dans la pratique de quelque vertu chrétienne, n'ont souffert que moralement, ou par les difficultés physiques contre lesquelles ils avoient à lutter. C'est dans ce sens un peu figuré que saint Jean Chrysostôme s'est servi de l'expression de « Martyrs de l'amour divin» pour ceux qui en étoient consumés. (Homil. 10, in epist. ad Corinth.); que celle de « Martyrs de la virginité» a été employée par le même père (Oratio de sancta Thecla.-Oratio de sancto Barlaamo), et par saint Ambroise (L. I. de virginibus), comme encore par saint Ber

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pour tous. On sait, non seulement qu'il y a plusieurs demeures dans la maison du Père céleste (1), mais encore que le Dieu qui scrute les reins et les cœurs rend à chacun selon ses œuvres (2). « Le juge équitable par excellence, incapable d'aucune acception de personnes, considère la nature du supplice de chacun, et la constance plus ou moins grande qu'il a montrée dans les souffrances. C'est en examinant les combats, qu'il distribue ses prix aux athlètes, en raison de leurs mérites (3).

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nard, en parlant des personnes à qui la chair ou les circonstances rendoient cette vertu extrêmement difficile. (Serm. 1. de octava Pascha.) C'est ainsi que les Bollandistes ont appelé «Martyres de la patience», sainte Véronique de Binasco et sainte Justine sa compagne, parce qu'elles avoient souffert patiemment et avec une héroïque résignation, les douleurs aiguës d'une longue maladie qui les conduisit au tembeau (13 jan., c. vi, n° 8 ). Sans avoir un motif différent, ils ont poussé bien plus loin la profusion du titre de Martyr, lorsqu'ils l'ont encore donné, et cela plus formellement, dans le sens même le plus rigoureux, à un pape que l'Eglise gallicane n'a pas même voulu reconnoître pour saint, à Grégoire VII, dont la vie fut à la vérité fort orageuse, mais dont la mort, en des circonstances paisibles, ne fut point le résultat nécessaire de ses peines antérieures. Aussi Lambertini, que sa position empêchoit de s'exprimer à cet égard comme les Gallicans, n'admettoit qu'avec modification l'opinion des Bollandistes, en disant seulement : Inter quos (Martyres patientia) profecto recenseri potest sanctus pontifex Gregorius VII qui, post toleratas toto sui pontificatus tempore maximas tribulationes, in ejus actis apud Bollandinos, Tom. VI junii, p. 197, mortuus dicitur Martyr et confessor. (De Serv. Dei Beatif. L. III, c. xi, n° 11.) De tous ceux qu'on appelle « Martyrs sans l'intervention d'un tynuls n'approchent plus d'être dignes de ce titre dans le sens propre, que ces héros de charité et de miséricorde qui, en temps de peste, ont gagné le germe de la mort, en secourant les pestiférés, comme l'ont prouvé, et le Père Théophile Raynaud, jésuite, dans son traité: De veri Martyrii Notione, et Jean de Andreada, de l'ordre de la Trinité, dans son Apologia pro vero et proprio Martyrio per pestem. On trouvera de ces Martyrs dans notre Martyrologe. (1) Joan., c. xiv, †. 2.

ran»,

(2) Math., c. xvii, †. 27.—Ad Rom. c. 11, †. 6. — Apocal., c. 11, *. 23. -C. XXII, . 12.

(3) Verùm in ipsis non una est omnium gloria, nec una men

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