mité de leurs crimes; alors, frappés d'une terreur extrême, ils se féliciteront de pouvoir retrouver quelques motifs de confiance dans ce livre consolateur qui ne leur parlera de leurs victimes, que pour les leur montrer occupées dans le ciel à demander leur grâce. O vous, pour qui elles ne cessent d'intercéder auprès de Dieu, ne soyez pas surpris, et même réjouissezvous de l'inutilité de vos efforts pour les oublier, et pour obtenir qu'on les oublie. Votre impuissance à cet égard est une preuve de la miséricorde divine envers vous; et si, vous parveniez à faire évanouir entièrement le souvenir de leurs victoires, auxquelles se rattache nécessairement leur intercession en votre faveur, il en faudroit peut-être conclure que votre réprobation est sans ressource. Mais non : tout, par l'effet de la bonté divine, concourt à vous les rappeler. Il n'est pas jusqu'à cette Gloire Nationale, dont vous êtes si jaloux, et qui se compose sans doute de vertus autant que d'exploits; il n'est pas jusqu'à cette gloire, qui ne vous ramène au souvenir de nos Martyrs. Quel Français, dont l'âme est élevée, ne se glorifiera pas de ce que, dans sa patrie plus que chez toute nation étrangère, il s'est rencontré, lors du débordement de la plus épouvantable impiété, un aussi grand nombre de personnes, tellement attachées à la vertu par les liens de la religion, qu'elles ont mieux aimé périr que de lui être infidèles? « Ce qui prouve le plus incontestablement la force des nations, dit saint Jérôme, c'est le triomphe des Mar tyrs; et nous avons lieu d'être fiers de la gloire des nôtres (1) ». L'honneur de la patrie, comme le bonheur futur de nos compatriotes, vouloit donc que nous rendissions publique et durable la gloire des nouveaux Martyrs que la France vient de donner à l'Eglise. N'ayant évidemment en cela que les vues des premiers apologistes de la religion, celles des saints Pères et des anciens Docteurs, qui tous nous en ont imposé le devoir par leurs exemples, nous n'aurons pas besoin de repousser le blâme indiscret de ceux qui, se trahissant eux-mêmes, exprimeroient la crainte que nous n'excitassions dans l'âme des fidèles quelques ressentimens contre les persécuteurs. Nous n'avons à préconiser que des victimes qui ont prié, et ne cessent de prier pour eux. « Si les chrétiens, dit Tertullien, observent le précepte d'aimer tous les hommes, sans en excepter leurs ennemis, contre qui pourroient-ils avoir des ressentimens? Et si, quand ils sont attaqués, ils n'usent pas même de représailles, de peur de participer au tort des agresseurs, qui donc peuvent-ils vouloir offenser (2) »? Notre premier but, en publiant ce Martyrologe, est (1) Fortitudo gentium triumphus est Martyrum; et nos in eorum gloriâ superbi sumus. (S. Hieron. : Comment. in Isaïam, L. XVIII, C. LXII.) (2) Si inimicos jubemus diligere, quem habemus odisse? Item si læsi vicem referre prohibemur ne de facto pares simus, quem possumus lædere? (Apologet. c. 37.) celui-là même que se proposoit saint Denis d'Alexandrie, lorsqu'en 250, il écrivit l'histoire des persécutions de son temps. C'est de « porter les fidèles, que celles de nos jours ont épargnés, à cette charité, à cette sainteté de conduite, qui peuvent seules leur faire mériter le bonheur dont jouissent déjà plusieurs de leurs frères, dont ils ont vu l'élection et la victoire (1) ». Notre second but est celui qu'avoient en vue et saint Eucher et Lactance, lorsque, publiant de semblables récits, ils disoient : « Si nous vous transmettons l'histoire de la passion de nos Martyrs, c'est de crainte que, profitant de l'insouciance de nos contemporains, le temps n'efface de la mémoire des hommes le souvenir de leur fin glorieuse (2) › - « Il y a de (1) Ex quibus hi qui superfuerunt incolumes, testes sunt electionis eorum atque victoria.... Atque hæc non frustrà frater carissime, à me commemorata sunt; sed ut scias quæ et quàm gravia nobis mala contigerint. Quæ profectò meliùs intelligunt ii qui magis experti sunt. (Epist. ad Fabium Antioch. in Euseb. Hist., L. VI, c. XLI et XLII.). Duo tibi commoda colliges, disoit un autre historien du même ordre; alterum quod corpus abluis; alterum quod animum ad resurrectionem innovas. Illuc nempè tuas intendere spes te oportet, heic præstolari quæ speras. Quæ heic, temporalia sunt; quæ illic sempiterna. (Asseman, Acta Martyr. Oriental., pars I, pag. 121: Passio Martyrum aliquot in Persiâ, anno 346.) (2) Mitto ad Beatitudinem tuam nostrorum Martyrum passionem verebar enim ne, per incuriam, tam gloriosi gesta martyrii ab hominum memoriâ tempus aboleret. (S. Eucher.: Epist. ad Salvium.) plus à craindre qu'après nous, des historiens trompés ou des plumes volontairement trompeuses, en racontant notre persécution, ne corrompent la vérité, à l'avantage des persécuteurs ou de ceux que leur faveur a élevés : c'est pourquoi nous qui avons été les témoins oculaires des événemens, nous croyons devoir les écrire tels que nous les avons vus (1) ». Cette crainte et ces motifs, qui décidoient Lactance, nous pressent nous-mêmes d'autant plus, que déjà nous ne sommes que trop environnés de ces espèces de mensonges officieux; et que d'une part, non contredits, ils sont de l'autre accrédités par les favoris de tous les équivoques gouvernemens auxquels la révolution a successivement donné le jour. Avouerons-nous que, même parmi les anciens du sacerdoce, il en fut un qui, sur l'annonce de notre Martyrologe, nous écrivoit en 1818 : « La révolution a fait, il est vrai, de nombreuses victimes, mais non des Martyrs: si la haine de la religion est entrée pour quelque chose dans les massacres, ce ne fut qu'autant que ses zélés défenseurs contrarioient les vues de nos cruels réformateurs; ce sont les délits politiques, et surtout l'attachement trop marqué à la royauté qu'on a (1) Quæ omnia secundùm fidem (scienti enim loquor) ita ut gesta sunt, mandanda litteris credidi, ne aut memoria tantarum rerum interiret, aut si quis historiam scribere voluisset, corrumperet veritatem, vel peccata illorum adversùs Deum, vel judicium Dei adversùs illos reticendo. (Lactan. : De Mortibus Persecutorum, n° LII.) voulu punir: il n'y a point eu de décret qui ait proscrit la religion catholique, et qui ait obligé personne à l'abdiquer: elle a seulement été mise sur la même ligne que toutes les autres religions pour lesquelles le gouvernement professoit la même tolérance, ou plutôt la même indifférence ». Eh! quoi! lorsque, non content d'avoir chassé de leurs diocèses, de leurs paroisses, de leurs institutions, les archevêques et évêques, les curés et vicaires, les supérieurs et professeurs, qui vouloient persévérer dans la Foi catholique, on bannissoit les uns, on massacroit les autres; quand on entassoit ceux-ci dans les fétides prisons du crime, ou dans le sombre entrepont des navires, comme en des fosses sépulcrales; et lorsqu'on traînoit juridiquement ceux-là devant le plomb des fusillades, ou sous la hache de la guillotine, parce qu'ils avoient refusé de faire de criminels sermens, ou d'abdiquer leur sacerdoce, n'étoient-ils donc ainsi traités que pour des délits politiques? La religion catholique ne fut-elle donc pas assez formellement proscrite, quand la Convention chargea, par un décret du 6 novembre 1793, son comité d'instruction publique de préparer un projet de loi, tendant à substituer un culte raisonnable au culte catholique; lorsqu'elle déclara, quelques jours après, que la loi ne reconnoissoit d'autre culte que celui d'une liberté fondée sur l'athéisme et la dissolution; lorsque l'athéisme et la dissolution, représentés par une idole impure, étant inaugurés sur les saints au |