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pres expressions, à « organiser dans la France une sanglante anarchie pour la dégoûter de la république, lui faire détester la révolution, et pour effrayer tous les hommes de tous les peuples qui auroient la moindre idée de révolutionner » : ce sont les propres expressions de l'une des instructions qu'ils adressoient à leurs agens (1). Mais comme, en indiquant les moyens, elle recommandoit, entre autres expédiens, de «< choquer les opinions religieuses », notre écrivain devoit relever ces trois mots, afin de montrer au moins que la religion la religion catholique ne cessa jamais d'être en butte à la persécution.

Vainqueur du principal obstacle, il a surmonté de plus, en grande partie, celui qu'avoient élevé les précautions prises par beaucoup de nos tyrans, pour qu'il devînt impossible de compter leurs meurtres. Imitateurs de ces préfets de Dioclétien et de Domitien, qui défendirent de conserver dans les greffes de leurs tribunaux les procédures des Martyrs, et souvent

(1) Cette pièce, interceptée et déposée dans ce que le comité de sûreté générale appeloit sa Boîte noire, a été copiée par l'avocat Senart, principal secrétaire-rédacteur de ce comité, dans ses Mémoires encore manuscrits, dont M. Eckard, l'auteur des Mémoires historiques sur Louis XVII, connoissoit vaguement l'existence, et craignoit qu'on eût à regretter la perte. (Voy. pag. 415 de la 3* édition, Paris, 1818.) Les Mémoires de Senart étoient alors en autographe, entre les mains de notre annaliste: ses tableaux SEPTEMBRE et LOIS RÉVOLUTIONNAIRES en fourniront la preuve. Il est encore fait mention de Senart dans le Moniteur du 9 thermidor an II.

même de les écrire (1), nos proconsuls et leurs juges, afin que celles de leurs victimes ne pussent pas l'être, les envoyèrent souvent pêle-mêle à la mort, sans aucune sentence juridique; et la plupart des registres sur lesquels des jugemens se trouvoient inscrits, ont ensuite été détruits par eux-mêmes ou par leurs criminels adhérens. Mais la Providence vouloit, pour l'édification comme pour l'instruction des peuples, qu'il restât des monumens authentiques de la vertu des victimes religieuses, et qu'ils vinssent se réunir en des mains qui les transmissent ensemble à la postérité.

Notre historien pourroit dire, comme le vénérable Maruthas, évêque en Mésopotamie, lorsqu'il achevoit d'écrire l'histoire des Martyrs de Perse, à la fin du IV siècle : « Il en est que nous avons vu périr; et nous fùmes les témoins des actes judiciaires de leur mort. Quant

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(1) Quæ litterarum apicibus annotari judex non immeritò noluit (Dacianus præfectus in Hispania), quia victum se erubescebat audiri. Naturalis siquidem providentia est malè errantium auferre de medio testimonium probitatis. (Ruinart: Acta primorum Martyrum sincera et selecta; in Passione S. Vincentii levita). En Italie, les persécuteurs usoient de la même précaution, comme l'affirme l'auteur de la Passion de saint Anastase-le-Foulon, Martyr de Salone, en Dalmatie. Dans la dernière des persécutions de Dioclétien, les exécutions se faisoient si tumultuairement que la plupart des chrétiens étoient envoyés à la mort sans aucune procédure, et comme jure belli, suivant l'expression d'Eusèbe: ce qui a privé l'Eglise de la connoissance des particularités de leur Martyre, et même de celle de leurs noms.

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à ceux qui furent sacrifiés loin de nous, les récits qui nous en sont parvenus, ont été faits par des évêques ou des prêtres, très-dignes de Foi, qui ne nous ont raconté que ce qui s'est passé sous leurs yeux (1) » A l'exemple du rédacteur de l'admirable lettre de l'église de Smyrne sur le martyre de saint Polycarpe et de ses compagnons, notre historien, «plus généralement et plus sûrement informé que bien d'autres sur les faits de la persécution, a regardé comme un devoir imposé par Dieu même, de raconter tout ce qu'on lui en avoit fait connoître, d'exposer fidèlement les pieux trophées de chacun des soldats de J.-C., de rendre notoire à tout l'univers catholique la charité et la patience avec lesquelles ils ont souffert tant de maux, et sacrifié leur vie (2) ». De simples fidèles, ayant eu part à ce mérite, autant que les prêtres et les autres personnes consacrées au Seigneur,

(1) Quidam nostris temporibus martyrium subierunt, nobisque illos videre licuit: qui verò.... eorum nos gosta diligenter conscripsimus, secundùm notitiam nobis traditam à senioribus episcopis ac presbyteris, testibus fide dignissimis, qui res, suam sub ætatem, atque sub oculos suos gestas narrabant. (Steph. Evod. Assemanus: Acta SS. Martyr. Oriental. et Occidental., pars 1, pag. 208; in Actis SS. Martyrum Acepsimæ, et aliorum.)

(2) Undè oportet doctiores nos redditos omnia cum timore narrare, et singulorum militum Christi fidelia devotionum tropæa, ut gesta constat, exponere: quo amore circa Deum fuerint, quâ patientiâ cuncta pertulerint. (Epist. Ecclesiæ Smyrnensis de Martyrio SS. Polycarpi et sociorum ejus : no II.)

on ne le verra pas ici compter pour rien, comme on ne l'a que trop fait jusqu'à présent ceux des laïcs immolés pour leur Foi, qui n'avoient pas de rang distingué dans le monde, ou ne laissoient point de famille opulente. Le sang de l'homme le plus obscur, de l'artisan le plus ignoré, du dernier des villageois, lorsqu'il est versé pour J.-C., ne lui est pas moins agréable que celui d'un prêtre ou d'un patricien ; et le nom des premiers doit briller avec autant de gloire que celui des seconds dans les fastes de l'Eglise.

et

Quelque nombreux que soient les athlètes de la Foi, dont il est parlé dans notre Martyrologe, nous ne nous flattons cependant point qu'aucun de ceux qui ont péri pour elle en ces derniers temps, n'y soit omis. De même que les historiens des anciennes persécutions, nos annalistes sont encore dans l'impossibilité de connoître les noms de tous. Eh! comment les retrouver dans ces multitudes qu'on massacroit en masse, parmi cette foule de prêtres et de fidèles, qui, « forcés d'errer sur les montagnes et par des lieux déserts, y sont morts de faim ou de soif, de froid ou de maladie, par le fer des assassins ou la dent des bêtes féroces (1) »? Peut-être encore notre théologien a-t-il injustement exclus, par une sévère prudence, bien des prêtres qui lui sembloient avoir adhéré au schisme, et

(1) Multitudinem eorum qui in montibus ac per solitudinem oberrantes, fume et siti, frigore ac morbis, et latronum aut bestiarum incursu oppressi interiére. (S. Dionys. Alex. episc. Epist. ad Fab.; in Eusebii Hist., L. VI, c. xxxx1.)

qui n'étoient cependant plus schismatiques, lorsqu'ils moururent pour la religion; comme aussi de pieux laics, sacrifiés réellement pour la même cause, quand leur sentence de mort n'alléguoit que des motifs politiques. Peut-être même, au contraire, séduit quelquefois par les motifs religieux exprimés dans les jugemens, a-t-il admis parmi ses Martyrs des victimes qui ne méritoient pas ce titre. Ces omissions et ces méprises seront réparées dans les Supplémens que nous donnerons, dès que les renseignemens authentiques dont on daignera nous favoriser, se trouveront assez nombreux pour former un volume.

L'auteur vouloit d'abord, par un sentiment de profonde charité, s'abstenir de nommer les divers agens de la persécution, sous la cruauté desquels ont succombé les victimes dont il parle; mais quand on lui a représenté 1o que les évangélistes et les apôtres, de qui sans doute l'étendue et les règles de la charité étoient bien connues, puisqu'ils écrivirent sous l'inspiration de l'Esprit-Saint, avoient pourtant désigné par leurs noms propres, Judas, Hérode, Pilate; 2° que les historiens de l'Eglise, aux temps des premières persécutions, les SS. Pères, les rédacteurs des actes des Martyrs, ne s'étoient fait aucun scrupule de nommer les persécuteurs, les juges, et même les bourreaux, comme encore de les peindre dans toute leur noirceur; il a craint que ne pas imiter en cela ces respectables écrivains, ne fût les en blâmer du moins indirectement, et ne lui fît imputer la prétention de

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