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INTRODUCTION.

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On parle quelquefois du rôle qu'ont joué dans l'histoire de la civilisation les armées et les conquérants, mais après que le défrichement et la culture des terres eurent permis aux hommes de se propager, c'est le commerce qui a fait de l'humanité éparse sur ce globe une société de sociétés laborieuses. Nul instrument de progrès et de paix ne saurait lui être comparé. Si, depuis quatre siècles bientôt, les ténèbres du moyen âge se sont déchirées sur la tête de nos pères, c'est que les navigateurs ont été chercher le soleil levant dans l'Inde et le soleil couchant dans l'Amérique. Si, depuis 1789, le bien-être physique et moral de la vie a marché si vite, c'est qu'excité par la loi nouvelle du travail et de l'émulation, guidé par la science et soutenu par une politique chaque jour plus libérale, le commerce a plus fait encore pour les réparer que vingt-cinq ans de guerres n'avaient semé de ruines sur la face du monde.

Mais pour être digne des destinées que la vapeur, la télégraphie, et, dans un autre champ d'études, l'économie politique lui ont préparées, il faut que le commerce fasse de bien autres efforts. La lutte, la lutte pacifique est désormais engagée entre tous les peuples et ce n'est plus comme autrefois de quelques comptoirs et de quelques fabriques qu'il s'agit. L'industrie et le négoce de l'univers entier vont confondre leurs intérêts, et désormais la fortune ne sera plus le salaire de celui qui aura le plus sacrifié de son âme à la recherche grossière de l'argent, ce

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sera la récompense de l'homme qui, avec l'instruction la plus soignée, le coup d'œil le plus sûr, l'intelligence la plus complète, aura le mieux rempli dans l'intérêt de tous la grande tâche de la répartition et de la distribution des biens universels.

Les Anglais ont entrevu depuis longtemps déjà ce que cette ère nouvelle impose de devoirs à un négociant qui respecte sa fonction d'utilité publique; mais, à quelques exceptions près, il est avéré qu'en France on s'en est fort peu préoccupé et, quelque soin qu'on ait pris pour recommander à nos négociants et à nos industriels de sortir, au moins lentement, des ornières de la routine, et de s'affranchir de la traditionnelle ignorance géographique et économique qu'on nous reproche si souvent à l'étranger, il n'aurait pas dépendu d'eux que la France ne fût toujours bien en arrière de son émule, si enfin ceux qui gouvernaient n'avaient brusquement secoué cette indifférence et, par une résolution dont l'histoire leur tiendra compte, engagé la nation la mieux faite pour l'activité dans une carrière où il est de son honneur que personne n'agisse plus et mieux qu'elle.

Les nouveaux traités de commerce auront donc sur nous, il faut le croire, une influence décisive. N'eussent-ils dissipé que quelques erreurs, il faudrait encore s'applaudir qu'ils aient été conclus.

Autrefois l'industrie ne s'exerçait que par le bras des esclaves, comme cela se voit encore, à la honte de notre âge, en quelques pays d'outre-mer. Il a fallu bien du temps pour persuader les hommes de l'utilité, de la nécessité, de la noblesse du travail libre. Comme toute la politique était basée sur l'état de guerre et sur la conquête, il était admis en principe que pour faire beaucoup de commerce il fallait qu'un peuple s'emparât militairement d'un grand nombre de régions lointaines et y tînt assujettis non-seulement les naturels, mais aussi les colons qui partiraient de chez lui pour s'y établir. On commence à peine à comprendre qu'il est possible de se passer de colonies, et c'est seulement depuis que, sans avoir de colonies, les États-Unis sont devenus la première puissance commerciale de notre époque. Il en sera de même de cette malheureuse théorie de la « balance du commerce, » qui a tant retardé le mouvement utile des échanges. On s'était mis en tête que si, à la fin de l'année,

un peuple a plus acheté qu'il n'a vendu, il s'est appauvri, et, pour empêcher les consommateurs, c'est-à-dire ce peuple tout entier d'acheter au dehors, à bon compte, les marchandises dont il avait besoin, on n'imaginait rien de mieux que de prohiber ces marchandises, d'en réserver la fabrication à des industriels du pays qui, en l'absence de toute concurrence, faisaient payer cher à la nation les objets souvent les plus nécessaires. Mais au moins, disait-on, l'argent ne sortait pas; et, au contraire, plus on vendait au dehors, plus il entrait d'écus. Comme si ces écus, ce n'était pas avec du travail qu'on les avait acquis, comme si on n'en pouvait pas toujours acquérir plus en travaillant davantage! Et comme si, enfin, ce n'était qu'avec de l'or et de l'argent qu'on soit riche et qu'il n'y ait de capital que le capital monnayé!

On ne peut payer des produits qu'avec des produits ou avec des espèces. Si c'est avec des produits ou avec des revenus, il n'y a rien à dire; si c'est avec des espèces, comme notre sol n'en procure pas, elles représentent nécessairement des produits. échangés antérieurement, c'est-à-dire qu'elles sont un revenu du travail déjà fait. Pour s'en procurer d'autres, il n'y a qu'à recommencer à produire, c'est-à-dire à travailler. Ce n'est pas parce qu'on achète beaucoup qu'on s'épuise comme l'a fait l'Espagne après la découverte de l'or d'Amérique, c'est quand on consomme sans produire. Produisons, échangeons et consommons le plus possible. La misère du peuple ne disparaîtra que lorsque l'on aura atteint simultanément le maximum raisonnable de consommation, de production et d'échange.

Or, pour travailler beaucoup, bien et au meilleur marché possible, de façon à satisfaire aussi bien la consommation de l'intérieur que celle de l'extérieur, que faut-il? Des matières premières en abondance et des outils de choix. De deux choses l'une ou nous les avons et alors nous n'avons pas à craindre que l'étranger nous prenne tout notre or pour nous en vendre; ou nous ne les avons pas, et il est indispensable que nous nous les procurions.

L'étrange manière de comprendre les droits et les devoirs de l'humanité, de croire, comme on l'a fait si souvent jusqu'ici, que les peuples ne peuvent prospérer tous ensemble et qu'un État

ne peut être florissant qu'au prix de la misère des peuples voisins! Non-seulement c'était une erreur économique, commerciale, industrielle, que de vouloir vendre toujours et n'acheter jamais; mais c'était une pensée contraire à l'esprit de paix qui doit inspirer toutes les maximes générales de la politique humaine. La guerre serait l'état ordinaire des nations s'il était vrai que ce soit pour cette jalousie que Dieu les ait fait naître, et si, en effet, le patriotisme consistait à vouloir dominer et rançonner autour de nos frontières.

Ceux qui sont portés à se défier d'une science qui, par tous les moyens, veut encourager les échanges, seront bien étonnés d'apprendre que les barrières des douanes et les entraves des tarifs n'ont pas toujours existé, et que, sans remonter à l'histoire de l'antiquité, pendant toute la durée de l'empire romain, qui s'étendait de l'Écosse à l'Égypte et de Cadix à Constantinople, les marchandises circulèrent librement sur toutes les routes de l'Europe et d'une partie de l'Afrique et de l'Asie. Ils seront plus étonnés encore lorsqu'ils apprendront que, lorsque les douanes furent créées chez nous, ce ne fut pas pour interdire l'importation des produits de l'étranger, mais au contraire pour empêcher la sortie des nôtres. Tant il est vrai que, suivant les temps, surgissent des idées bien différentes!

Cette interdiction de la sortie des richesses d'un pays semble, au point de vue d'une politique d'égoïsme, plus naturelle que la prohibition des richesses de l'étranger; mais elle est, en réalité, aussi nuisible.

De tous les arguments qui ont été mis en avant pour donner une apparence de raison au système de prohibition ou de protection, le seul qui ait pu être considéré comme ayant quelque valeur, c'est qu'une nation doit posséder chez elle toutes les industries et toutes les productions qui sont nécessaires à sa défense, que, par exemple, il faut qu'en cas de guerre prolongée, la France ait du fer, du bois, du salpêtre, du soufre, et qu'il est essentiel d'encourager et de soutenir les propriétaires de hauts fourneaux, de forges, de salpétrières, de produits chimiques. On pouvait étendre cette protection nécessaire, et on le fit, en effet, à la plupart des industries manufacturières et même au travail agricole; car enfin un peuple que ses voisins assiégent, a besoin

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