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DE PHARMACIE.

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N° IX. -2° Année.-SEPTEMBRE 1810.

NOTICE

Sur les Médicamens usuels des Egyptiens;

PAR M. ROUYER, Pharmacien ordinaire de S. M. PEmpereur, membre de la Commission des sciences et des arts d'Egypte.

Les naturels de l'Egypte font usage d'un petit nombre de médicamens. Ils ne reconnaissent que trois espèces de maladies ils attribuent les unes à l'abondance de la bile, les autres au froid subit, d'autres enfin à la grande chaleur. Ils n'admettent également que trois sortes de médicamens, les purgatifs, les échauffans, et les rafraîchissans, qui, divisés en trois classes correspondantes à celles des maladies, indiquent de suite l'usage de chacun d'eux.

Les Egyptiens n'emploient que des drogues simples. Les réduire en poudre, les mêler avec du sucre, ou les incorporer dans du miel, sont les préparations ordinaires de toutes les substances médicinales qu'ils doivent prendre intérieurement. Ils ont rarement recours aux médicamens plus composés. Leurs manuscrits pharmaceutiques n'en indiquent presque aucun, quoiqu'on y trouve beaucoup de Ieme Année. Septembre.

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recettes tirées des principaux auteurs arabes, auxquels nous devons un grand nombre de compositions officinales. Leur science médicale ne conserve plus que quelques débris de celle des peuples qui les ont précédés. En Egypte, il en est aujourd'hui des nombreux médicamens des Arabes comme des arts et des monumens anciens; on n'y trouve plus que des ruines à peine reconnaissables ; le tems, l'ignorance et les préjugés les ont également détruits. On n'y recueille plus l'opium thébaïque (1), autrefois si estimé, et si vanté encore de nos jours dans beaucoup de Pharmacies. Le suc d'acacia (2), dont les Egyptiens ont fait longtems usage, qu'eux seuls préparaient pour l'Asie et pour l'Europe, ne se trouve plus parmi leurs médicamens, ni dans le commerce. Il en est de même de beaucoup d'autres substances très-usitées autrefois, et qu'ils n'emploient plus dans leur pratique médicale.

Les Egyptiens, devenus apathiques et indolens, ont laissé perdre insensiblement un grand nombre de leurs médicamens; et ils n'en conserveraient aucun, si le commerce qu'ils font de ces sortes de substances (3) ne leur en rap

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(1) Akhmym, petite ville de la haute Egypte, est le seul endroit où quelques Chrétiens Qobtes retirent de la plante entière du pavot (papaver somniferum, Linn.) un extrait de peu de qualité, qui ne sert qu'aux habitans de cette province, et qu'on porte rarement jusqu'au Caire.

(2) En Egypte, on recueille encore avec soin les siliques de l'acacia (mimosa Nilotica, Linn. ), non pour en tirer, comme autrefois, le suc d'acacia, mais pour les employer entières dans différens arts.

(3) Il se fait en Egypte un commerce considérable de drogues simples, qui y sont apportées des Indes, de l'intérieur de l'Afrique et de l'Asie, pour les envoyer en Europe. Lorsque les médicamens apportés de France pour le service des hôpitaux de l'armée furent totalement consommés, M. Boudet, membre de l'Institut d'Egypte et Parmacien en chef de l'expédition, forma, au grand Cairè, une Pharmacie centrale, dont je fus chargé ; je trouvai alors dans les magasins du pays les drogues nécessaires pour assurer le service courant des hôpitaux, et même pour plus d'une année d'avance.

pelait souvent l'usage et les propriétés. La plupart de ces prosélytes de l'islamisme, persuadés que tout est prédestiné, croient peu à l'efficacité des médicamens et aux autres moyens curatifs. Lorsqu'ils ont rempli les préceptes qui leur ordonnent la propreté et la sobriété, s'il leur survient une maladie, ils la regardent comme envoyée de Dieu; ils la supportent avec courage et sans murmure : souvent même ils n'ont recours aux médicamens que lorsque ceuxci ne peuvent plus s'opposer aux progrès du mal. Ces idées de fatalisme, dont presque tout le peuple est imbu, n'ont pas peu contribué à faire rétrogader la science médicale, ou au moins à en arrêter les progrès, dans ces mêmes contrées qui l'ont vue naître.

Les médicamens dont les Egyptiens ont conservé l'usage, sont presque tous tirés des végétaux ; ils emploient très-peu de substances minérales, et se servent rarement de matières animales. Le plus communément, chacun emploie le remède qu'il croit lui convenir, et ne consulte de médecin que pour les maladies graves et pour des cas extraordinaires. C'est toujours chez les marchands droguistes, qui sont trèsnombreux au Caire et dans toutes les villes de l'Egypte, que les naturels du pays vont chercher les médicamens dont ils ont besoin. Ils les préparent eux-mêmes, à l'instant où ils doivent s'en servir. Ils emploient rarement l'infusion pour obtenir les vertus des plantes médicinales; ils préfèrent de les prendre entières, ayant une espèce de dégoût pour tout les médicamens liquides. Le tamarin est presque le seul médicament qu'ils prennent en infusion; et c'est le plus souvent comme liqueur rafraîchissante, ainsi que plusieurs autres sorbets (4) dont ils font un usage plus parti

(4) Les Egyptiens préparent plusieurs espèces de sorbets, tels que ceux de réglisse, de caroube, de limon; ils en font à la rose, à la violette, à la fleur d'orange, aux pistaches, aux amandes, et beaucoup d'autres avec divers parfums agréables.

culier en santé. Dans les maladies, l'eau du Nil leur paraît préférable à toutes les boissons composées.

Leurs purgatifs sont ordinairement solides ; ils les préparent avec des pulpes de tamarin, de casse ou de myrobolans, dans lesquels ils font entrer des poudres de racine de jalap, de feuilles de séné, des graines de ricin et des résines. Quelques-uns se purgent en prenant une potion faite dans une coupe d'antimoine (5), où ils laissent séjourner de l'eau acidulée de suc de citron.

Les habitans des campagnes font aussi usage d'un purgatif liquide qu'ils préparent avec le fruit ențier d'une coloquinte après y avoir pratiqué une ouverture, ils la remplissent de lait ou d'eau; ces liqueurs acquièrent en peu de tems les propriétés de ce fruit. Les Egyptiens ont souvent recours aux purgatifs, et choisissent les plus violens. La gomme-gutte, l'aloès, l'euphorbe, la scammonée, le jalap, sont ceux auxquels ils donnent la préférence. Le séné, la casse, le tamarin et les myrobolans seuls seraient insuffi

sans.

Les émétiques sont peu employés : les Musulmans ont une si grande aversion pour le vomissement, qu'ils consentent difficilement à le provoquer. Leur répugnance pour les lavemens est presque égale ; ils n'en font usage que dans les cas les plus urgens : ils les composent d'huile, de lait, et de décoctions animales.

Les préparations mercurielles, si multipliées dans la médecine de l'Europe, sont presque toutes inconnues en Egypte. On y traite les maladies vénériennes par les purgatifs et par les sudorifiques; ces derniers, en y joignant l'usage fréquent des bains de vapeurs, sont employés avec succès. S'il arrive que la maladie y résiste, on a recours

(5) J'ai trouvé au grand Caire plusieurs de ces coupes chez les particuliers aisés; elles viennent toutes de Constantinople, où l'on en fait un grand usage.

aux purgatifs, qu'on réitère à fortes doses, pendant quinze, vingt et quelquefois trente jours de suite, jusqu'à ce que le malade soit tout-à-fait épuisé. Cet état d'affaiblissement est considéré comme un symptôme favorable et indiquant une prochaine guérison. Dans toutes les espèces de gonorrhées, on fait usage de rafraîchissans et d'astringens.

Les décoctions, dont les Egyptiens se servent rarement comme remèdes internes, sont souvent employées pour déterger les plaies et les ulcères, qu'ils pansent ensuite avec des toiles séches, préalablement préparées dans le produit de ces décoctions.

Les collyres dont ils font usage sont très-nombreux, et tous sous forme sèche. Ils se composent de poudres dessiccatives, de sels naturels ou factices, et de toiles qui ont séjourné dans des liqueurs astringentes. Quelques-uns sont apportés au Caire tout préparés; ce sont des espèces de trochisques composés de sels métalliques, de substances terreuses et alcalines. Il y en a d'une multitude de formes, et qui varient aussi par leur couleur. Ces compositions se font à la Mecque, où les pélerins les achètent pour les revendre à leur retour, ou en faire usage s'ils sont surpris de l'ophthalmie pendant leur voyage.

Les Egyptiens attribuent à d'autres collyres la propriété merveilleuse de préserver de l'ophthalmie. Ces derniers, ne s'appliquant que très-légèrement sur les paupières, ne m'ont paru avoir d'autre propriété que celle de les teindre en noir, agrément qui plaît beaucoup aux naturels de l'Egypte. Je ne parlerai pas d'une infinité de remèdes superstitieux dont ils préconissent les vertus, qu'ils emploient souvent, et auxquels il serait difficile de les faire renoncer je dirai seulement que là, comme aileurs, on ne voit que les esprits faibles et les ignorans ajouter foi à ces espèces de productions du fanatisme et du charlatanisme.

Les odontalgiques sont presque inconnus en Egypte.

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