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un auteur dramatique, un compositeur de musique, un peintre, un sculpteur d'un pays étranger à l'Union ne sera pas protégé par la Convention pour l'oeuvre représentée, exécutée ou exposée même pour la première fois dans un pays de l'Union. Pour avoir droit à la protection, il faudra qu'il y ait fait la première publication de son œuvre, et pour renforcer la différence de situation, on comprendrait que l'on fût plus rigoureux que pour le ressortissant au sujet de cette publication. Il a été dit plus haut que, pour l'application de l'article 2, la publication consistait essentiellement dans l'édition, abstraction faite de l'impression. Pour le non-ressortissant, la protection pourrait être subordonnée à la condition que l'œuvre eût été non seulement éditée dans un pays de l'Union, mais y eût encore été imprimée, gravée on reproduite suivant les cas. En quoi pourrait-on se plaindre d'une condition de ce genre? Les États unionistes qui voudront être plus généreux à l'égard des étrangers, pourront l'être. Quant aux États non-unionistes. nous leur dirons qu'il ne dépend que de leur volonté de faire disparaître les gênes dont peuvent souffrir leurs écrivains. leurs compositeurs ou leurs artistes. Les portes de l'Union leur sont ouvertes toutes grandes. Il ne faut donc pas confondre une disposition du genre de celle qui vient d'être indiquée comme possible avec les dispositions des législations qui subordonnent la protection à une fabrication dans le pays, tout en n'offrant pas de supprimer cette exigence pour les pays disposés à s'associer.

Si cette manière de voir prévalait. l'article 3 devrait préciser les faits qui. accomplis par un auteur non ressortissant dans un des pays de l'Union, lui assureraient la protection dans le territoire de celle-ci.

SIXIÈME ANNEXE

MÉMOIRE

PRÉSENTÉ PAR LA DÉLÉGATION ALLEMANDE

CONCERNANT

L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION DE BERNE

Ainsi que cela est généralement reconnu, l'article 3 de la Convention de Berne investit l'éditeur unioniste d'un droit personnel et direct à la protection, mais il ne fait aucune situation légale à l'auteur étranger à l'Union. Cette stipulation repose sur la conception que le droit d'auteur, purement virtuel dans la personne de l'auteur étranger et non protégé par des lois ou conventions, se transforme en un droit actuel et formel dans la personne de l'éditeur ressortissant à un pays de l'Union. La transformation de ce droit virtuel en un droit réel peut s'entendre de différentes manières. Ou bien, on reconnait à l'éditeur l'ensemble des droits d'auteur, en vertu du fait qu'il a effectué la première publication de l'oeuvre, ou bien, - puisque la protection de l'éditeur est toujours basée sur la supposition que la publication s'est faite avec l'approbation de l'auteur, on peut admettre que l'éditeur n'aura que les droits que l'auteur lui a réellement concédés conformément aux termes du contrat.

La teneur de l'article 3 de la Convention de Berne paraît permettre ces deux interprétations. Or, si l'idée fondamentale de l'article 3 doit être maintenue, il faudra trouver une solution claire et nette, écartant les doutes qui se sont élevés sur le véritable sens à donner à cet article.

A cet effet, il est bon de se rendre tout d'abord un compte exact de la situation juridique qui résultera, dans la pratique, de ces deux interprétations différentes en ce qui concerne les rapports entre l'éditeur et l'auteur.

La première interprétation de cet article, celle qui reconnaît à l'éditeur l'ensemble des droits d'auteur n'exclut pas, il est vrai, la faculté de l'auteur de restreindre. par contrat privé, les limites dans lesquelles l'éditeur pourrait exercer le droit d'auteur. Ici se présente la question de savoir si ces restrictions contractuelles apportées aux droits légaux de l'éditeur resteront sans effet juridique, ou bien si leur observation s'impose à l'éditeur à tel point que s'il passait outre, cela entrainerait sa poursuite, non pas, il est vrai, pour violation du droit d'auteur, mais pour violation de contrat.

Ce n'est que dans ce dernier sens qu'on parait pouvoir interpréter les termes de l'article 3 de la Convention de Berne. En effet, ceux-ci ne sont pas conçus de façon telle, qu'on puisse en conclure que les relations contractuelles entre l'auteur étranger et l'éditeur unioniste doivent reposer sur d'autres principes généraux que ceux établis par le droit civil. C'est en appliquant ces principes qu'on accordera une exception de dol quand, par exemple, l'éditeur allemand de l'œuvre dramatique d'un auteur suédois prétend, après la publication de l'oeuvre, interdire à un tiers la représentation de cette œuvre, bien que l'auteur, au moment de signer le contrat, ait déclaré à l'éditeur qu'il a déjà cédé à ce tiers le droit de représentation. Or. si l'on accorde l'exception de dol dans l'exemple ci-dessus, on ne pourra se refuser à la concéder à l'auteur lui-même et aux personnes qu'il a autorisées à représenter son œuvre, lorsque l'auteur, dans le contrat passé avec son éditeur. s'est simplement réservé le droit de représentation. La première conséquence juridique qui en découle est que l'éditeur aurait le droit d'organiser ou d'autoriser lui-même des représentations et d'interdire les représentations entreprises par des personnes non autorisées, mais qu'il se verrait, d'autre part. dans la nécessité de tolérer les représentations permises par l'auteur. C'est là une conséquence à laquelle on ne peut pas s'arrêter logiquement. Si les restrictions formulées dans le contrat peuvent servir de fondement à une exception de dol, il est impossible de concevoir pourquoi on ne leur reconnaîtrait pas une valeur légale permettant à l'auteur de les invoquer dans une action dirigée contre l'éditeur. Si on leur reconnaît cette valeur légale, l'auteur qui, dans son contrat avec l'éditeur, se sera réservé expressément le droit de représentation, pourrait donc, en cas de représentation organisée ou autorisée par l'éditeur, non pas, il est vrai, se prévaloir des lois spéciales sur les droits d'auteur. mais s'appuyer sur les termes de son contrat avec l'éditeur, pour interdire la représentation à l'éditeur et pour obtenir des dommages-intérêts. L'observation que nous venons de faire au sujet de la réserve du droit de représentation s'applique également à toutes les restrictions formellement énoncées dans le contrat.

D'après ce qui précède, l'auteur étranger qui aurait cédé à l'éditeur uniquement le droit de faire imprimer et de publier sa comédie en langue française. serait autorisé, en vertu du contrat, à lui interdire toute impression et publication dans une autre langue, ainsi que toute représentation. De la même manière, l'auteur qui n'aurait accordé à l'éditeur qu'une édition de mille exemplaires aurait le droit de lui interdire toute nouvelle édition; le compositeur russe qui aurait cédé à son éditeur à Paris un droit d'édition limité à la France et à l'Italie pourrait s'opposer à la mise en circulation des exemplaires dans les autres pays de l'Union.

Il suffit de citer ces quelques exemples pour montrer à quel point sont compliquées les questions juridiques qui se présentent en raison de la situation légale créée par cette interprétation de l'article 3 de la Convention, interprétation à laquelle semble s'opposer de prime abord la nécessité de faire reposer les rapports entre auteur et éditeur sur une base juridique sûre et solide. Ce qui s'y oppose encore davantage, c'est qu'on investirait légalement l'éditeur d'un droit dont les effets, dans la pratique, dépendraient pourtant complètement du contrat passé avec lui, ce qui serait contraire au but voulu. L'éditeur aurait bien, il est vrai. l'ensemble des droits d'auteur, mais il ne pourrait les exercer qu'avec les restrictions qui lui sont imposées par son contrat avec l'auteur, à moins de s'exposer, de la part de ce dernier. à une action en interdiction et en dommages

intérêts.

Si l'on veut réellement investir l'éditeur d'un droit légal d'auteur dont l'étendue ne serait pas réduite aux concessions qui lui ont été faites par l'auteur, il faudrait prescrire l'annulation de toutes les stipulations contractuelles tendant à limiter la protection que les lois ou conventions accordent à l'éditeur. Ce dernier serait alors autorisé à exercer également ceux d'entre les droits d'auteur que l'auteur n'a pas

entendu lui concéder. Si un auteur dramatique suédois, par exemple, dont la pièce non encore imprimée a été représentée avec succès, permet à l'éditeur allemand, sur sa demande, d'être le premier à imprimer et à vendre son œuvre, l'éditeur aurait le droit d'interdire, dans les pays de l'Union, toute représentation, même celle que l'auteur aurait autorisée. De même. l'auteur étranger qui n'aurait permis à son éditeur français qu'une édition de mille exemplaires et qui n'aurait touché que les tantièmes afférents à l'édition ainsi fixée, se verrait néanmoins dans l'impossibilité, d'un côté, d'empècher son éditeur de faire un nombre quelconque d'éditions à tirage illimité, contenant même des changements du texte, et, de l'autre côté, d'interdire toute autre publication de l'oeuvre dans les pays de l'Union. et cela pendant toute la durée du droit d'auteur.

Les difficultés qui se présenteraient dans l'exercice d'un droit d'édition limité d'une manière quelconque seraient encore plus considérables. Supposons qu'un compositeur russe cède le droit d'éditer son opéra en Allemagne à un éditeur allemand, le droit de l'éditer en Angleterre à un éditeur anglais et ce même droit pour la France et l'Italie à un éditeur français, c'est la date de la première publication qui pourrait seule décider de la question de savoir lequel de ces éditeurs est le détenteur réel du droit d'auteur. Si l'éditeur anglais a été le premier à faire imprimer et publier l'opéra, ce serait lui seul qui entrerait en possession du droit d'auteur, sans limites ni restrictions aucunes, c'est-à-dire, pour toute l'Union; il pourrait ainsi débiter ses exemplaires également dans les autres pays et interdire en même temps tout débit des éditions des autres éditeurs.

On ne saurait nier qu'une pareille réglementation, méconnaissant toute convention contractuelle, ne fût contraire aux principes de la morale commerciale. Il ne semble donc pas qu'on puisse, à juste titre. recommander de l'adopter dans la Convention de Berne. Il est même douteux qu'elle soit dans l'intérêt des éditeurs unionistes, puisque l'auteur étranger, réduit à la nécessité de leur céder tout ou rien, renoncera probablement, le plus souvent. à faire paraître son ouvrage dans l'Union, à moins que l'éditeur unioniste ne lui offre. dès la conclusion du contrat, les garanties et sûretés nécessaires.

Il reste à examiner les conséquences qui découlent de la seconde interprétation, d'après laquelle l'éditeur n'aurait que les droits que l'auteur lui a réellement cédés. Si on donne cette interprétation à l'article 3, les droits non cédés ne pourront être exercés dans l'Union, ni par l'auteur, ni par l'éditeur, et, par rapport à ces droits non cédés, l'œuvre en question tombera dans le domaine public. Par exemple. l'opéra d'un auteur russe, qui n'aurait été cédé à un éditeur unioniste qu'en vue de la publication par cet éditeur, pourrait être librement représenté par qui que ce soit dans les pays de l'Union. En cas d'extinction du contrat pour une raison ou pour une autre, l'oeuvre tomberait entièrement dans le domaine public, et il est bien douteux qu'une nouvelle protection puisse être obtenue à la suite de la conclusion d'un nouveau contrat entre l'auteur et l'éditeur. Si le droit d'édition était partagé entre différents éditeurs dans différents pays, la protection ne serait possible, pour tous les éditeurs à la fois, que si la publication avait lieu partout à la mème date. Il est évident qu'une réglementation qui repose sur une pareille interprétation ne répondrait pas non plus à des besoins réels et pratiques.

De tout ce qui précède, il résulte que, aussi longtemps qu'on cherche à maintenir l'idée fondamentale de l'article 3, c'est-à-dire le droit personnel et direct de l'éditeur, il est impossible de trouver une formule légale satisfaisante pour la protection qu'on désire également accorder, sous certaines conditions, aux œuvres non unionistes. Par contre, dès qu'on confère une protection directe à l'auteur étranger lui-même, on arrive à un résultat net, positif et incontestable. Des raisons d'utilité pratique ne s'y opposent pas non plus, du moment qu'on n'accorde cette protection qu'aux œuvres étrangères dont l'impression et la première publication auront été

opérées par un éditeur domicilié dans un des pays de l'Union. Par rapport aux œuvres ainsi publiées, l'auteur étranger se verrait donc assimilé à l'auteur unioniste. On objectera peut-être qu'on accorderait par là, sans équivalent, une nouvelle faveur aux pays restés en dehors de l'Union. Mais cette objection n'est qu'apparente, puisque, d'après le droit en vigueur chez ceux d'entre ces pays qui ont adopté le principe de la territorialité (Autriche, Hongrie, Danemark et Pays-Bas), l'auteur unioniste y jouit également de la protection, du moment qu'il y fait paraitre son œuvre. D'autre part et en nous plaçant au point de vue économique, les termes actuels de l'article 3 ne s'opposent pas à ce que l'auteur étranger s'assure le bénéfice de l'exploitation de son droit d'auteur, non pas directement, il est vrai, mais indirectement, au moyen d'amendes contractuelles, de stipulation de tantièmes pour chaque représentation, etc. Sans doute, la possibilité de tirer profit de cette situation légale dépendra toujours de la bonne volonté de l'éditeur à souscrire aux conditions posées. en d'autres termes, de la concurrence, de l'importance de l'œuvre et de la réputation de l'auteur.

C'est là un état de choses auquel l'adoption de notre proposition n'apporterait aucun changement. puisque l'auteur étranger qui cherchera à faire valoir son œuvre dans les pays de l'Union, sera toujours réduit à passer des contrats avec des éditeurs et des entrepreneurs de représentations domiciliés dans l'Union.

Il n'y a donc pas lieu de redouter qu'en introduisant dans la Convention une protection directe des auteurs étrangers, on rende l'accession à la Convention de Berne moins désirable aux États non encore signataires. Si l'absence d'une protection directe en faveur des auteurs étrangers n'a pas amené les accessions qu'on espérait, cela ne prouve qu'une chose, c'est que ce ne sont pas les intérêts des auteurs qui déterminent les États à entrer dans l'Union.

Le besoin d'une protection internationale du droit d'auteur ne se fait, en effet, sentir dans un pays. que dans la mesure où s'étendent et se développent le commerce des œuvres littéraires et artistiques et les industries qui s'y rattachent. Les États dans lesquels ce commerce et ces industries se sont suffisamment développés se verront dans la nécessité d'accéder à la Convention de Berne, soit pour mettre fin aux préjudices qu'infligent à leurs propres éditeurs les reproductions illicites et les contrefaçons des œuvres étrangères, soit pour éviter que leurs auteurs soient réduits à recourir aux éditeurs des pays de l'Union pour la publication de leurs œuvres.

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