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344. L'assureur a-t-il un privilége sur la chose assurée pour le paiement des primes qui lui sont dues? - Comme tout privilégé est une dérogation au principe naturel d'égalité`, suivant lequel le patrimoine du débiteur, gage commun de ses créanciers, doit se distribuer entre eux au prorata de leurs créances, il suit qu'aucun privilége ne peut être admis, s'il n'est formellement établi par la loi. Le législateur a déterminé d'une manière précise, les créances auxquelles il entendait assurer une préférence sur les autres. Ces préféFences ne peuvent être étendues d'une créance à une autre par raison d'analogie.

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Or, si le Code de commerce établit un privilége pour le montant des primes d'assurances faites sur le corps, quille, agrès, apparaux, armement et équipement d'un navire (1), aucune loi n'établit de privilége pour les primes des assurances terrestres; et on le répète, l'analogie n'autorise point à suppléer ou à étendre une disposition spéciale et de droit étroit par sa nature. Ce principe est tellement rigoureux, que l'on balance même à appliquer le privilége établi pour la prime d'assurance sur le navire à la prime d'assurance sur marchandises (2). A plus forte raison ne peut-on transporter ce privilége aux primes d'assurances terrestres, qui ne présentent point la même analogie avec

(1) Art. 191 du Code de commerce, no 10.

(2) Voy. le Cours de Droit commercial de M. Pardessus, tom. III no. 964.

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celles que le Gode de commerce, déclare privilégiées. En effet, il est un motif de faveur commun à toutés les assurances contre les risques de la mer; c'est qu'elles donnent le mouvement et la vie aux expéditions mari times, ensorte que l'on peut dire des assureurs, qu'ils concourent, avec les constructeurs, vendeurs et fournisseurs, à la création de ces expéditions que l'on n'oserait point tenter sans leur secours. On ne saurait faire valoir une aussi puissante considération en faveur des assureurs terrestresolve int top ander sui

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345. A défaut d'un privilége spécial à ces assureurs, quelques personnes pensent qu'on doit leur accorder le privilége attribué aux frais faits pour la conservation de la chose. Mais l'assureur ne conserve point la chose assurée, et ne la garantit point de la destruction que peut causer le sinistre. Seulement il s'oblige pour ce ças, à en payer la valeur au propriétaire, et cette valeur n'est la représentation de la propriété perdue que dans les rapports de l'assureur et de l'assuré. On ne peut assimiler ce résultat du contrat d'assurance, à la conservation même de la chose, quæ salvam facit totius pignoris causam. L'assureur n'a donc point le même titre au privilége sur la chose que celui qui fait subsister cette chose pour l'intérêt commun du propriétaire et des créanciers, et qui a le droit de la considérer comme sienne jusqu'à concurrence de ce qu'il y a mis. (1)

(1) Domat, Lois civiles, liv. III, tit. 1, sect. 5, no. 6.

346. Ce ne sera d'ailleurs presque jamais dans le cas où la perte de la chose assurée donnera lieu au paiement de l'assurance, que l'assureur viendra réclamer un privilége sur les débris de cette chose, qui ne lui offriraient qu'un gage insuffisant. Il pourra, dans ce cas, déduire du montant de l'indemnité les primes qui lui seraient dues, et s'en faire payer par voie de compensation. Ce sera dans le cas où il n'y aura point eu de sinistre, que l'assureur aura intérêt de réclamer, pour les primes qui lui seraient dues un privilége sur la chose assurée. Mais dans ce cas, l'assureur n'aura rien fait ni rien déboursé pour la conservation de cette chose. Il n'y aura donc point de motif pour lui accorder le privilége établi en faveur de celui qui a fait des frais pour la conservation de cette chose.

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347. Les assureurs n'ont-ils pas au moins, dans le cas où ils ont fait reconstruire ou réparer la chose assurée, un privilège sur la chose reconstruite ou reparée à leurs frais. D'après l'art. 2103 du Code civil, ceux qui ont fourni les deniers pour payer ou rembourser les architecte, entrepreneur, maçons, et autres ouvriers employés pour édifier, reconstruire ou réparer des bâtimens, etc., jouissent du même privilège que ces ouvriers, pourvu que l'emploi des deniers soit authentiquement constaté. Mais cette subrogation au privilège des architectes et entrepreneurs, ne peut avoir lieu qu'autant qu'il existe réellement un privilège au profit de ces derniers sur le bâtiment assuré. Dans le cas dont il s'agit, ce privilège existet-il? Nous ne le pensons pas: car aucun privilège ne

peut exister, qui ne soit l'accessoire d'une créance contre le propriétaire, ou contre ceux qu'il représente. Or les ouvriers qui ont travaillé sciemment, par l'ordre et pour le compte des assureurs, ne sont créanciers que de ces derniers.

348. Il a été décidé dans l'affaire de l'hôtel Galiffet (1) que l'usufruitier qui fait élever des constructions sur le terrain soumis à son usufruit, n'ayant point le droit de répéter la valeur de ces constructions contre le nu-propriétaire d'après la règle établie dans l'art. 599 du Code civil, les ouvriers constructeurs qui avaient travaillé pour le compte de l'usufruitier, ne pouvaient avoir plus de droits que lui contre le nupropriétaire, sans quoi la règle établie en faveur du nu-propriétaire serait illusoire.

Nous pensons que l'on doit appliquer ces principes au cas où des ouvriers constructeurs ou autres ont tra

vaillé par l'ordre et pour le compte des assureurs. Ils ne peuvent contraindre indirectement le propriétaire assuré au paiement de la valeur des constructions par eux.faites, paiement auquel il n'est obligé à aucun titre. Ils ne peuvent donc prétendre au privilège établi dans l'art. 2103 n.° 4, parce qu'ils n'ont point contre le priétaire le droit de créance auquel ce privilège est attaché. Ayant traité avec les assureurs, ils n'ont pu acquérir d'autres droits que ceux que les assureurs

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(1) Voy. le jugement, l'arrêt de la Cour royale de Paris, et l'arrêt de rejet de la Cour de cassation, dans le Journal du Palais, tom. III de 1825, pag. 15.

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étaient capables de leur transmettre, et les assureurs n'ont pu leur transmettre une créance et un privilège qu'ils n'avaient point-eux mêmes contre l'assuré pour la valeur de la reconstruction ou réparation des objets

assurés.

349. Mais si l'autorité législative venait à statuer sur la matière des assurances terrestres, elle trouverait sans doute assez de motifs dans les services rendus par les assureurs contre l'incendie, pour leur accorder un privilège analogue à celui que le Code du commerce attribue aux assureurs maritimes. L'établissement d'un semblable privilège serait de toute justice, dans le cas où l'on déciderait que le montant de l'assurance est réellement subrogé à la propriété assurée, pour l'exercice de tous les droits de privilège et d'hypothèque qui grevaient cette propriété. En effet, avec cette modification, le contrat d'assurance aurait pour résultat de conserver ou du moins de remplacer le gage commun dans l'intérêt du propriétaire et de ses créanciers tout à la fois. On pourrait donc appliquer à l'assureur ces paroles de la loi romaine, hujus pecunia salvam facit totius pignoris causam, paroles qui contiennent le motif du privilège attribué aux frais faits pour la conservation de la chose; et les créanciers, auxquels l'assurance ne serait pas moins utile qu'au propriétaire lui même, ne pourraient se plaindre de l'établissement d'un privilège en faveur de la prime d'assurance.

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