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cette convention ne serait point aussi valable que la constitution de rente viagère. Au lieu d'aliéner ses capitaux pour hâter et multiplier ses jouissances, et de sacrifier l'avenir au présent comme l'acquéreur d'une rente viagère, celui qui fait assurer sur sa propre vie, retranche de ses jouissances présentes, pour créer par un placement productif, un nouveau capital ou le fonds d'une rente qui formera dans un avenir éloigné la ressource de sa famille, ou d'un être qui lui est cher. Dans cette convention entrent les mêmes élémens que dans le contrat de rente viagère, mais combinés d'une manière différente. La combinaison que présente l'assurance sur la vie, nous paraît fondée sur un principe beaucoup plus moral, et destinée à produire des résultats beaucoup plus avantageux pour les

familles.

Nous avons cru devoir traiter moins favorablement les conventions connues sous le nom d'annuités différées (1). Ces conventions ne nous ont paru autorisées ni par les règles du contrat de rente viagère, qui ne permettent pas que le débiteur de la rente soit libéré tout-à-fait gratuitement; ni par les principes du contrat d'assurance qui veulent que la somme assurée soit une indemnité, et non un bénéfice pour l'assuré.

Reste à examiner toutefois si les conventions d'annuités différées, en offrant aux assurés la per

(1) V. le Traité suivant, chap. 1er., pag. 15 et 16.

spective de recevoir à une époque avancée de leur vie, une rente qui remplacera pour eux les produits d'un métier, d'une profession, d'un emploi, que l'âge les aura forcés d'abandonner, ne répondent pas à un besoin réel et général; et conséquemment si l'utilité de ces conventions ne se rapproche pas de celle que présentent les contrats d'assurance, ct qui suffit pour légitimer en faveur des assureurs, le gain des primes à tout événement.

Le but d'utilité que l'on vient de signaler est, il faut en convenir, atteint d'une manière plus complète par les conventions entièrement aléatoires connues sous le nom d'annuités différées, que par les conventions qui imposent aux compagnies d'assurance envers chaque assuré l'obligation d'un remboursement plus ou moins tardif, mais certain. En effet, dans celles-ci chacun ne peut recevoir que le produit de sa mise bonifiée par l'accumulation des intérêts; au lieu que dans les conventions d'annuités différées, le produit des mises de ceux qui décèdent avant le terme fixé étant abandonné à la compagnie, lui permet de donner à ceux qui vivent audelà de ce terme, des annuités d'autant plus fortes ; de même que dans les tontines, la part des actionnaires survivans s'accroît de celle des prédécédés.

Néanmoins, quelques avantages qu'offrent ces conventions à certaines classes de personnes, il faut reconnaitre qu'une ligne de démarcation les sépare des assurances véritablement dignes de ce

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nom. En effet ces spéculations promettent aux souscripteurs des bénéfices qui doivent résulter du décès prématuré d'un grand nombre d'entr'eux; et même dans les tontines ces bénéfices demeurent incertains dans leur quotité pour chaque actionnaire, jusqu'à l'évènement du prédécès des autres actionnaires; ensorte que l'on ne peut guères voir, au moins dans cette dernière espèce de conventions, que des spéculations de profits sur des évènemens funestes.

L'assurance, telle que la loi la reconnaît et la consacre, n'est point destinée à faire profiter l'assuré du malheur d'autrui, mais à réparer les malheurs qui l'atteignent personnellement, et à l'indemniser des torts de la fortune. Au lieu de fournir comme les spéculations de jeu de nouveaux alimens à l'influence du haard, l'assurance a pour but de combattre et d'atténuer autant que possible son influence sur les destinées humaines. Au lieu d'opérer de brusques déplacemens dans les fortunes, elle en garantit la stabilité. Au lieu de fomenter les passions nuisibles à la société par l'espoir d'un gain aléatoire obtenu sans travail, elle inspire à chaque assuré cette calme et ferme confiance que donne la certitude d'échapper aux coups du sort, et qui permet de se livrer sans crainte à toutes les entreprises utiles. La société n'en retire pas seulement des avantages moraux en donnant aux propriétés un caractère de fixité, de certitude qu'elles n'avaient

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point par elles-mêmes, l'assurance crée en quelque sorte des valeurs nouvelles, et accroît la richesse sociale. « Car il y a dans la certitude de la propriété » une augmentation de valeur extrêmement remarquable. De deux biens d'un rapport égal, si l'un offre à l'imagination des hommes l'idée d'une jouissance imperturbable, la valeur de ce bien sera beaucoup plus grande que celle de l'autre (1) » . Ainsi lors même que les assurés ne doivent point à l'assurance la réparation d'une perte qu'ils n'ont point éprouvée, ils lui doivent une augmentation de la valeur de leurs biens. C'est ce qui explique pourquoi, même en cas d'heureux évènement, les assureurs gagnent légitimement la prime, en échange de laquelle ils procurent toujours un avantage réel.

Nous connaissons deux modes d'assurance, l'assurance mutuelle et l'assurance à primes. L'assurance mutuelle a lieu au moyen d'une association que forment entre eux des propriétaires d'objets exposés aux mêmes risques, dans la vue d'indemniser à frais communs, ceux des associés sur lesquels tomberait le sinistre. Par l'effet de cette association, chacun de ceux qui l'ont formée, ou qui depuis sa formation ont été reçus dans son sein, se trouve assureur en même temps qu'assuré : et l'engagement que chacun

(1) Extrait d'un discours prononcé par M. le baron Charles Dupin, à l'École spéciale du commerce et de l'industrie, le 13 juillet 1827.

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d'eux contracte envers la société comme assureur est le prix de l'assurance que la société lui promet. La valeur estimative de l'objet mis par chaque propriétaire dans la société, est la base de l'indemnité à laquelle il a droit en cas de sinistre, et c'est aussi pour une part proportionnée à cette valeur qu'il est tenu de concourir à la réparation de la perte commnne. Lorsque la contribution éventuelle de chacun n'a point été expressément limitée par la convention sociale, elle n'a d'autre limite que la valeur de l'objet mis en société, et la masse entière des valeurs associées répond de l'indemnité des sinistres. Mais dans la plupart des sociétés on a craint de se soumettre à une responsabilité éventuelle aussi étendue, et l'on a établi, pour la prestation contributive de chacun, un maximum fixé à un ou à un et demi pour cent de la valeur par lui soumise à l'assurance. Dans le cas où les prestations contributives sont ainsi déterminées, la garantie sociale qui se compose de la masse de ces prestations est également limitée. Si cette masse se trouve insuffisante pour couvrir toutes les pertes, elle est répartie au prorata des dommages entre les sinistrés.

Au contraire, l'assurance à prime n'admet ni société ni réciprocité d'assurance entre les assureurs qui font de l'assurance active une sorte d'entreprise commerciale, et les tiers dont ils prennent sur eux les risques. L'assurance à prime est un contrat aléatoire par lequel des assureurs ordinairement

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