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La séance du 15 se termina par la lecture et l'adoption successive des articles du proje! jusques et compris la pre mière section, chapitre II du titre III. Le lendemain en rouvrant la discussion le rapporteur fit à l'Assemblée la déclaration qui suit:

M. Thouret, au nom des comités de Constitution et de révision. (Séance du 14 août 1791.)

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par

Messieurs, avant de commencer l'ordre du jour je suis chargé par les comités dont je suis l'organe de faire à l'As semblée une observation qui n'interrompra pas la suite du travail, que je vais reprendre immédiatement après. L'Assem→→ blée veut certainement, tant pour son honneur que pour le salut de la France, établir la Constitution un gouver nement stable, et tel qu'il donne au pouvoir exécutif les moyens de concourir au maintien de la liberté publique sans pouvoir jamais l'opprimer, et qu'il ait cependant tous les moyens de sûreté et d'énergie nécessaires pour être capable de maintenir l'ordre public; c'est la difficulté d'atteindre ce double but qui a fixé principalement votre attention, et qui, j'ose le dire à l'Assemblée, a fait en quelque sorte notre tourment pendant tout le travail de la révision. Bien convaincus du désir de l'Assemblée d'étendre jusqu'au dernier terme possible toutes les précautions contre le danger des tentatives et des attributions du pouvoir exécutif, nous avons calculé sévèrement tout ce qui pouvait en être retranché, et nous n'avons laissé que les dispositions sans lesquelles il était démontré pour nous qu'il n'est point de gouvernement effectif et durable.

» L'observation sur laquelle les comités désirent fixer votre attention est que dans le plan qu'ils ont présenté tout était lié, tout était correspondant, et que, comme il n'y avait que le nécessaire très juste, tout changement important a dû en altérer les bases. Par exemple, c'était en compensant dans la main du roi l'affaiblissement des moyens de puissance par la restitution des moyens de confiance et de facilité dans le choix de ses agens que nous avions pensé qu'il pourrait remplir les fonctions difficiles du pouvoir cxécutif, et qu'avec un

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roi attaché à la Constitution nous pourrions avoir un bon gouvernement.

» Vos comités ont donc dù prendre en considération les résultats des changemens opérés depuis deux jours dans notre plan par les délibérations de l'Assemblée; et c'est après la méditation la plus approfondie, après un examen religieux et digne des hommes honorés tant de fois de votre confiance, et qui ont travaillé avec tant de persévérance à cet ouvrage même de la Constitution, que nous avons unanimement reconnu que les entraves mises à la rééligibilité, combinées avec l'interdiction au pouvoir exécutif de prendre dans les nembres d'une législature finissant les agens qui lui seront nécessaires, et que le peuple aura jugés dignes de sa confiance, détruisirent tous les moyens de force et d'énergie du pouvoir exécutif, et enlèvent réellement tout ce que nous avions laissé subsister de bases efficaces pour l'établissement d'un gouvernement actif et durable.

>> Notre unanimité sur ce point capital nous a fait penser aussi qu'il était de notre devoir, de notre honneur et de la courageuse persistance que vous devez attendre de nous, de vous faire cette déclaration de l'opinion des comités, que la Constitution telle qu'elle existe maintenant ne saurait aller et atteindre le but que nous nous sommes tous proposé.

» Nous ne cherchons pas à faire prévaloir notre opinion, quelque évidente qu'elle nous paraisse; mais lorsque nous touchons tous à une responsabilité commune, qui s'attachera plus particulièrement aux comités sur les parties de leur travail, chacun des membres de l'Assemblée doit méditer encore à part soi, froidement, impartialement, sur les grands intérêts de ses commettans, avant que l'acte d'où doit dépendre irrévocablement le bonheur ou le malheur du peuple français soit irrévocablement consommé. Je passe à l'ordre du jour. »

Cette déclaration fut accueillie avec froideur. On reprit aussitôt la discussion. De légers amendemens admis ou rejetés sans opposition, le renvoi aux comités de quelques propositions pour être examinées à la fin de la révision, permirent à l'Assemblée de décréter dans la même séance

un assez grand nombre d'articles (1); mais le lendemain la délibération fut interrompue par les débats qui s'élevèrent à l'occasion de l'article 10 du chapitre III ( toujours titre III. )

Sur la présence des ministres dans les assemblées nationales, et sur les cas dans lesquels ils peuvent y étre entendus. (Voyez tome V, pages 166 et suiv., la première discussion qui eut lieu sur le même point. )

Cet article 10 était ainsi conçu dans le projet :

" Les ministres du roi auront entrée dans l'Assemblée nationale législative; ils y auront une place marquée; ils seront entendus sur tous les objets sur lesquels ils demanderont à l'être, et toutes les fois qu'ils seront requis de donner des éclaircissemens. >>

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Les comités proposaient dans cet article une disposition déjà rejetée par l'Assemblée, quoique proposée et soutenue par Mirabeau on s'étonna de la retrouver dans le projet de Constitution. M. Robespierre fut le premier à la combattre comme étant subversive de tous les principes de la représentation nationale, de la séparation et de l'indépendance des pouvoirs ; il conclut au rejet le plus absolu. M. Barrère obtint ensuite la parole.

M. Barrère. ( Séance du 15 août 1791. ) « Je n'attaque dans l'article proposé que la trop grande latitude et le dangereux pouvoir qu'on me paraît donner aux ministres dans ces paroles ils seront entendus sur tous les objets sur lesquels ils demanderont à l'étre; c'est leur donner

(1) Lorsqu'on mit aux voix la section qui concerne les ministres MM. Guillaume et Saint-Martin firent la motion qu'on y ajoutât le décret du 6 avril 1791 (voyez tome V, pages 177 à 202), portant que le corps législatif pourra déclarer au roi que ses ministres ont perdu la confiance de la nation. M. Thouret s'y opposa au nom des comités :

« Il nous a paru, dit-il, que c'était une disposition qui ne méritait pas d'être dans l'acte constitutionnel, car aux termes du décret le roi peut garder ses ministres malgré la déclaration du corps législatif; or nous ne croyons pas digne de la Constitution d'y mettre de ces sortes de dispositions qui n'aboutissent à aucune exécution, »

Sur cette seule raison donnée par le rapporteur l'Assemblée laissa tomber la motion, qui d'ailleurs fut retirée par ses auteurs.

évidemment la voix consultative, c'est à dire les admettre dans la discussion sur tous les points de législation quelconques.

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» Sans doute il est sage, il est utile au gouvernement, son activité, à ses rapports avec le corps législatif, que les ministres y aient une place marquée; sans doute il est utile que quand ils seront requis ils puissent répondre; sans doute il est utile, lorsqu'il y a des conférences à avoir avec un ministre, qu'elles ne soient pas secrètes, qu'elles ne soient pas avec les comités, mais qu'elles soient en public; il est utile encore que quand les ministres des différens départemens ont à se plaindre de ce que quelques lois sont insuffisantes ou obscures , que le gouvernement ne peut pas marcher, ils viennent à l'Assemblée nationale présenter les obstacles, les vices de ces lois : ce sont toujours là des objets appartenans purement aux fonctions ministérielles.

>>

» Mais leur donner le pouvoir que le peuple seul peut conférer, que le pouvoir constituant ne peut pas donner, car il ne le tient lui-même que des assemblées primaires et des assemblées électorales, c'est à dire de voter.... (Murmures.) Je n'entends point par voter ce que vous appelez voter par assis et levé pour délibérer sur une affaire; le véritable vote, celui qui a de l'influence sur les esprits, c'est celui de l'orateur messieurs, supposez un homme qui a acquis une réputation quelconque de patriotisme; cet homme passe au ministère ; cet homme arrive dans l'Assemblée; il a l'initiative sur toutes les lois, initiative que votre Constitution refuse au roi lui-même hé bien, le ministre exerce avec cette réputation de popularité, avec le jeu d'intrigue qu'il saura faire, avec les places qu'il peut donner, l'influence la plus terrible et la plus dangereuse! (Applau dissemens.)

» Je prends pour exemple ce qui se passe en Angleterre, surtout depuis la moitié du règne actuel, et surtout depuis le ministère de Pitt.

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Qui est-ce qui ignore que M. Pitt est reçu dans la chambre des communes? et tout le monde sait qu'il y a une majorité constante.

» Hé bien, messieurs, ne craignez-vous pas que dans l'Assemblée nationale un Pitt obtienne la même influence, et entraîne la nation dans le même danger?

» D'ailleurs je soutiens que plusieurs de vos décrets s'y opposent le premier est celui par lequel vous déclarez que vous ne pouvez pas délibérer en présence du roi; or délibérer en présence du pouvoir exécutif et par son influence est bien plus dangereux.

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» Le second est celui qui porte que l'initiative de la loi appartient non pas au pouvoir exécutif, mais au roi ; et quelle initiative encore! Le roi demande pour un besoin du royaume, il demande pour un besoin de loi, il demande pour des objets que vous n'avez pas saisis; mais les ministres sont ici avec leurs cabales, leurs intrigues, leurs partisans, et là ils opinent, ils délibèrent, ils votent avec toute l'influence d'individus qui tiennent en leurs mains les rênes d'un grand pouvoir.

» Ici je rappelle ce qui fut dit hier par M. Duport relativement à l'admission des membres de la dynastie régnante à l'exercice des droits de citoyen actif (1).

» M. Duport a fait sentir qu'il pouvait être dangereux qu'un homme destiné à succéder au trône puisse faire partie du corps politique; pourquoi? Parce qu'il est ( ce sont ses propres paroles) trop voisin du pouvoir exécutif... Or je demande si les ministres ne sont pas bien voisins du pouvoir exécutif, puisqu'ils en sont les seuls agens, et si le danger de laisser quelques membres de la dynastie exercer les droits politiques de simple citoyen est comparable au danger de l'extrême influence qu'on propose d'accorder aux ministres dans la formation même de la loi ! »

M. Lanjuinais qui en 1789 s'était opposé de toutes ses forces à la proposition de Mirabeau dont l'objet était le même, s'éleva également contre celle des comités; il appuya les objections présentées par M. Barrère, et finit en pro

(1) Cette question fut renvoyée à la fin de la révision. Voyez plus

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