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» varts de la liberté, ne peut être linitée que dans les » vernemens despotiques. » (1)

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» En effet, est-il vrai que la liberté de la presse consiste uniquement dans la suppression de la censure et de toutes les entraves qui peuvent arrêter l'essor de cette liberté? Je ne le pense pas, et vous ne le penserez pas non plus. La liberté de la presse n'existe pas dès que l'auteur d'un écrit peut être exposé à des poursuites arbitraires; et ici il faut saisir une différence bien essentielle entre les actes criminels et ce qu'on a appelé les délits de la presse. Les actes criminels consistent dans des faits palpables et sensibles; ils peuvent être constatés suivant les règles sûres et par des moyens infaillibles, d'après lesquels la loi peut être appliquée sans aucune espèce d'arbitraire; mais quant aux opinions leur mérite ou leur crime dépendent des rapports qu'elles ont avec des principes de raison, de justice et d'intérêt public, et souvent avec une foule de circonstances particulières; et dès lors toutes les questions qui s'élèvent sur le mérite ou sur le crime d'un écrit quelconque sont nécessairement abandonnées à l'incertitude des opinions et à l'arbitraire des jugemens particuliers; chacun décide des questions suivant ses principes, suivant ses préjugés, suivant ses habitudes, suivant les intérêts de son parti, suivant ses intérêts particuliers de là vient qu'une loi sur les délits qui peuvent être commis par la voie de la presse demande les plus grandes circonspections avant d'être portée; de là vient que cette loi, sous le prétexte de la liberté de la presse, produit presque toujours l'effet infaillible d'anéantir cette liberté en elle-même. Rappelez-vous, messieurs, ce qui s'est passé jusqu'ici lorsque le gouvernement, sous prétexte de l'ordre et de l'intérêt public, poursuivait les écrivains. Quels étaient les écrits objets de sa sévérité? C'était précisément ceux qui sont actuellement l'objet de notre admiration, et qui ont mérité de notre part des hommages à leurs auteurs. En effet, il est dans la nature des choses qui suivent les temps et les lieux qu'un écrivain essuie des persécutions ou reçoive des

(1) Constitution de la Virginie, article 14 de la déclaration des droits.

couronnes le Contrat social était il y a trois ans un écrit incendiaire; J.-J. Rousseau, l'homme qui a le plus contribué à préparer la révolution, était un séditieux, un novateur dangereux, et pour le faire monter à l'échafaud il n'a manqué au gouvernement que moins de crainte du courage des patriotes, et l'on peut ajouter, sans crainte de se tromper, que si le despotisme avait assez compté sur ses forces. et sur l'habitude qui enchaînait le peuple sous son joug pour ne pas craindre une révolution J.-J. Rousseau eût payé de sa tête les services qu'il voulut rendre à la vérité et au genre humain, et qu'il eût augmenté la liste des illustres victimes que le fanatisme, le despotisme et la tyrannie ont frappées dans tous les temps. Concluez donc, messieurs, que rien n'est plus délicat ni peut-être plus impossible à faire qu'une loi qui prononce des peines contre les opinions que les hommes peuvent publier sur tous les objets naturels des connaissances et des raisonnemens humains pour moi je conclus qu'on ne peut en faire. Vous en avez fait une ; c'est peut-être la seule qu'il soit possible de faire en la restreignant aux termes dans lesquels votre sagesse l'a exprimée ; c'est celle qui permet de prononcer des peines seulement contre celui qui provoquerait formellement, ce mot est bien. essentiel, à quelque crime ou à la désobéissance à la loi. Je ne crois pas que vous puissiez aller plus loin, que vous puissiez mettre des termes différens sans attaquer la liberté de la presse dans son essence et dans son principe. Ceci concerne les opinions que l'on peut publier sur les choses qui intéressent le bien de l'humanité.

» Une autre question non moins importante s'élève relativement aux personnes publiques. Il faut observer que dans tout état le seul frein efficace des abus de l'autorité c'est l'opinion publique, et par une suite nécessaire la liberté de manifester son opinion individuelle sur la conduite des fonctionnaires publics, sur le bon ou mauvais usage qu'ils font de l'autorité que les citoyens leur ont confiée. Or, messieurs, supposez qu'on ne puisse en exercer le droit qu'à condition d'être exposé à toutes les poursuites, à toutes les plaintes juridiques des fonctionnaires publics; je vous demande si

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ce frein ne devient pas impuissant et à peu près nul pour celui qui voudra remplir la dette qu'il croira avoir contractée envers la patrie en dénonçant des abus d'autorité commis les fonctionnaires publics: s'il est possible de soutenir une lutte contre lui, citoyen faible et isolé, qui ne voit pas quel est l'avantage immense qu'a dans cette lutte un homme armé d'un grand pouvoir, environné de toutes les ressources que donnent un crédit immense, une influence énorme sur la destinée des individus et sur celle même de l'Etat; qui ne voit que très peu d'hommes seraient assez courageux pour avertir la société entière des dangers qui la menacent?

>> Permettre aux fonctionnaires publics de poursuivre comme calomniateur quiconque oserait accuser leur conduite c'est abjurer tous les principes adoptés par tous les peuples libres. Chez tous les peuples libres chaque citoyen fut considéré comme une sentinelle vigilante qui doit sans cesse avoir les yeux ouverts sur ce qui peut menacer la chose publique et non seulement on n'érigeait point en crime une dénonciation fondée sur des indices plausibles, non seulement on n'exigeait pas que le citoyen qui prévenait ses concitoyens vint armé de preuvés juridiques, mais tous les magistrats - vertueux se soumettaient eux-mêmes avec joie à la liberté de cette mesuré publique : Aristide; condamné à un glorieux exil par le caprice de ses concitoyens, n'accusait pas la liberté que la loi donnait à tout citoyen de surveiller avec la plus grande sévérité les actions des magistrats, parce qu'il savait bien que si une loi plus favorable aux magistrats l'avait mis à couvert d'une téméraire accusation cette même loi aurait favorisé la foule des magistrats corrompus, et que par là le principal appui de la liberté aurait été renversé : Caton, cité soixaute fois en justice, ne fit jamais entendre la moindre plainte; mais décemvirs firent des lois contre les libelles, parce qu'ils craignaient qu'on ne dévoilât leurs complots. (Applaudissemens)

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» Qu'on ne croie pas que dans un état de choses où la liberté est solidement affermie la réputation d'un homme vertueux soit en proie aux caprices et à la malice du premier

dénonciateur : quand la liberté de la presse règne, quand on est accoutumé à la voir s'exercer en tous sens, elle fait par cela même des blessures moins dangereuses, et il n'y a réellement que les honimes dont la vertu est nulle ou équivoque qui puissent redouter la plus grande liberté de la censure de leurs concitoyens.

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Appliquez aux articles des comités les idées que je viens de développer, et vous verrez que ces articles sont conçus en termes vagues qui ouvrent tous les moyens possibles de sacrifier arbitrairement tous ceux qui auraient publié même les opinions les plus justes, soit sur les objets les plus essentiels pour le bien public, soit sur les abus d'autorité publique, Je remarque ici que l'Assemblée nationale avait adopté un amendement jugé par elle indispensable pour prévenir l'arbitraire (1); c'est le mot formeilement on avait très-bien observé alors qu'il n'y avait point d'écrit si raisonnable et si útile sur les vices de l'administration ou de la législation qui ne pût être regardé par des juges ignorans ou prévenus comme une provocation de désobéissance à la loi, puisqu'ils peuvent toujours prétendre que ce qui montre les vices de la loi inspire moins de respect pour la loi, et provoque à la désobéissance. Il est donc absolument nécessaire que l'amendement adopté à cet égard par l'Assemblée nationale soit restitué.

:

» Les comités ont ajouté des termes qui n'étaient point dans la loi que vous avez portée, et qui certainement forment la loi la plus arbitraire et la plus tyrannique qu'on puisse porter sur la presse; les voici l'avilissement des pouvoirs constitués. Qu'est-ce que provoquer l'avilissement des pouvoirs constitués? Cela signifie sans doute dire quelque chose qui soit contraire à un fonctionnaire public.... Mais si un fonctionnaire public a des torts, si l'on dévoile au public ses prévarications, cet homme, revêtu de pouvoirs constitués, est donc avili? C'est sûrement ce qu'ont voulu dire les comités;

(1) C'est à l'occasion d'un décret rendu un mois auparavant, par suite des troubles du Champ de Mars. Regnauit de Saint-Jean-d'Angely proposa le décret ; Pétion le fit amender avec le mot formellement. Voyez tome IV, pages 164 et 177.)

du moins cela peut s'interpréter ainsi, et cela ne peut subsister dans la loi.

(L'orateur lit le troisième paragraphe du premier article.)

» Nous sommes d'accord sur ce point.

» Mais il faut observer que les comités dans ce même projet non seulement engagent l'Assemblée à prononcer des peines trop arbitraires contre l'usage de la liberté de la presse, mais qu'ils vont même jusqu'à arrêter l'émission des écrits ; ce vice se trouve dans la seconde disposition. Voilà par conséquent une espèce de censure établie sur les écrits.... ( Murmures.)

» Je proposerais de décréter 1o que, sauf l'exception portée contre ceux qui provoqueraient formellement la désobéissance à la loi, tout citoyen a le droit de publier ses opinions sans être exposé à aucune poursuite; 2° que le droit d'intenter l'action de calomnie n'est accordé qu'aux personnes privées (murmures dans plusieurs parties de la salle); 3o qu'à l'exemple de l'Amérique, dont la constitution n'a pas été huée, les fonctionnaires publics ne pourront poursuivre les personnes qui les calomnieront. » (Nouveaux murmures; applaudissemens des tribunes publiques.)

M. Defermont. « Le préopinant convient de la nécessité d'une disposition constitutionnelle sur la presse; il faut donc admettre en tout ou en partie l'article qui est proposé. D'après cela il est inutile de discuter en grand sur l'article ; il faut le discuter par paragraphe.

» Sur le premier j'aimerais mieux dans mon opinion mettre la mot formellement que ceux à dessein; car les juges ne doivent jamais être juges des intentions. Mon second amendement porte sur ces mots : avilissement des pouvoirs constitués. Assurément demander des suppressions, des modifications dans les pouvoirs constitués, cela tend bien à faire regarder indirectement les auteurs de ces demandes comme voulant avilir les pouvoirs constitués, parce que demander la suppression d'une chose c'est nécessairement porter une influence fâcheuse sur la chose. Je demanderais donc que le premier paragraphe fût rédigé ainsi : nul homme ne peut être recher

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